La Chambre Criminelle vient de se rallier à la position de la 1ère et de la 2ème Chambre de la Cour de Cassation et considère que la victime d’un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d’exercer une activité professionnelle (Cour de Cassation, Chambre Criminelle, arrêt du 23 avril 2024, n°23-82.44).

Il y a quelques mois, j’ai rédigé un article sur l’arrêt rendu par la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation le 21 décembre 2023, aux termes duquel la 2ème Chambre a exclu l’indemnisation intégrale des PGPF de la victime au motif que cette dernière ne rapporte pas la preuve qu’elle est privée à l’avenir d’exercer une activité professionnelle.

La 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation, au visa du principe de réparation intégrale, a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Bastia qui avait indemnisé les PGPF en totalité, estimant que la victime d’un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d’exercer une activité professionnelle.

Alors que durant plusieurs années, la Cour de Cassation a considéré de façon constante que l’indemnisation intégrale des pertes de gains professionnels futurs n’est pas conditionnée à l’inaptitude totale de la victime ou à la recherche d’un nouvel emploi, mais à l’impossibilité de reprendre son précédent emploi (Cass. Civ 1ère, arrêt du 20 septembre 2017, n°16-21367 : Cass. Civ 1ère, arrêt du 9 mai 2019, n°18-14839 ; Cass. Civ 2ème, arrêt du 8 mars 2018, n°17-10151), la 2ème Chambre Civile semble avoir opéré un revirement de jurisprudence en 2022 (Cass. Civ 2ème, arrêt du 24 novembre 2022, n°21-17323) :

Depuis, elle ne cesse de réaffirmer ce principe : - Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, arrêt du 6 juillet 2023, n°22-10347 ; - Cour de Cassation, 2ème Chambre Civile, arrêt du 21 décembre 2023, n°22-17.891

Quid des autres Chambres ?

La 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a suivi la 2ème Chambre et a opéré en 2023 un revirement de jurisprudence(Cass. Civ 1ère, arrêt du 8 février 2023, n°21-21283).

Lors de la rédaction de mon précédent article en mars 2024, la Chambre Criminelle semblait s’accrocher au principe fondamental de non-mitigation du dommage et indemnisait intégralement les PGPF dès lors que la victime n’est pas apte à reprendre son activité professionnelle dans les conditions antérieures :

- Cour de Cassation, Chambre Criminelle, arrêt du 14 janvier 2020, n°19-80108 :

« (…) il suffit de constater que la victime n’est pas apte à reprendre ses activités dans les conditions antérieures sans que cette dernière n’ait à justifier de la recherche d’un emploi compatible avec les préconisations de l’expert médical voire du médecin du travail. En évaluant comme elle l’a fait la perte de gains professionnels futurs et dès lors qu’il résulte de ses constatations que la partie civile n’est plus, depuis la date de consolidation fixée par l’expert, en mesure d’exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures, la cour d’appel a justifié sa décision. »

- Cour de Cassation, Chambre Criminelle, 22 novembre 2022, n°21-87313 :

« En se déterminant ainsi, alors que, d’une part, il résulte de ses propres constatations que la victime n’est pas apte à reprendre son activité professionnelle dans les conditions antérieures, d’autre part, elle n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé. »

Malheureusement, la Chambre Criminelle vient finalement de se rallier à la position de la 1ère et de la 2ème Chambre de la Cour de Cassation :

- Cour de Cassation, Chambre Criminelle, arrêt du 23 avril 2024, n°23-82.449 :

  • Les faits.

Monsieur K, âgé de 33 ans, a été victime en 2014 d’un accident de la circulation.

Lors de la survenue de son dommage, Monsieur K exerçait la profession de plombier-chauffagiste.

Un rapport d’expertise judiciaire a été rendu en 2016 aux termes duquel le déficit fonctionnel permanent de la victime a été évalué à 18%.

  • Position de la Cour d’Appel

Le 24 mars 2023, la Cour d’Appel de Caen a rendu un arrêt aux termes duquel elle a condamné le conducteur impliqué dans l’accident à verser à la victime la somme de 431.660,80 € au titre de ses pertes de gains professionnels futurs.

La Cour d’Appel a indemnisé les PGPF à hauteur de 50%, considérant que la victime serait en mesure de retrouver un emploi qui est certes différent de celui de plombier-chauffagiste, et « qu’une reconversion professionnelle s’impose dans une profession sans port de charge et de nature plutôt sédentaire ».

Monsieur K a formé un pourvoi, estimant « qu’il résultait de ses propres constatations que Monsieur K était devenu « inapte à l’activité » professionnelle de plombier-chauffagiste qu’il exerçait antérieurement à l’accident, de sorte qu’il devait être indemnisé de l’ensemble des pertes de revenus qu’il subissait en conséquence de celui-ci, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »

  • Position de la Chambre Criminelle.

La Chambre Criminelle a rejeté le moyen, considérant que la victime d’un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de sa survenue, elle se trouve privée de la possibilité d’exercer une activité professionnelle :

« Pour fixer le montant de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 431.660,80 €, l’arrêt attaqué énonce qu’à la suite de l’accident, Mr K est inapte à poursuivre l’activité de plombier chauffagiste. Le juge ajoute qu’une reconversion professionnelle s’impose dans une profession sans port de charge et de nature plutôt sédentaire et que M K, âgé de plus de 35 ans au jour de la consolidation et souffrant d’un déficit fonctionnel permanent évalué à 18%, est en mesure de retrouver un emploi. Il en conclut que cette perte doit être évaluée à 50% des ressources auxquelles aurait pu prétendre celui-ci. En l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d’appel a justifié sa décision. »

La Chambre Criminelle reprend ainsi in extenso la motivation de la 2ème Chambre Civile.

Certes, les arrêts cités ne sont pas publiés au Bulletin.

Cependant, au regard de la multiplicité des arrêts rendus depuis 2022 par les différentes Chambres de la Cour de Cassation, la position de la Haute Juridiction de l’ordre judiciaire est désormais très claire (et assurément non satisfaisante !).

Aurore Roussel, Avocat en dommage corporel et responsabilité médicale au Barreau de Nantes https://www.rousselavocat.com/