Dans un bail commercial, la clause de destination du bail permet aux parties de se mettre d’accord pour que les locaux soient affectés à un usage particulier. En la matière, il existe globalement deux solutions : soit la clause limite l'usage des locaux à une activité en particulier, soit au contraire la clause est dite "tous commerces", ce qui signifie que le locataire peut y exercer toutes les activités qu'il estime utiles à son commerce.

L'importance de cette clause ne doit pas être négligée dans un bail commercial, car elle peut avoir des conséquences inattendues notamment sur le montant du loyer ou la cession du bail.

Je vous propose une étude rapide sur ces questions, afin d'en comprendre les avantages et les inconvénients.

 

1. Du côté du bailleur

Le bailleur a tout intérêt à décrire avec soin l’activité envisagée par le preneur dans ses locaux, car cela lui permet non seulement de contrôler précisément l’activité qu'exerce son locataire, mais également de bénéficier d’une augmentation de loyers.

En effet, dans l'hypothèse où la destination du bail est limitée à certaines activités, le preneur peut toujours demander au bailleur la possibilité d'ajouter à son bail d'autres activités qui n'étaient pas initialement prévues ; par exemple, l'ajout d'une restauration rapide à celle d'une activité de bar. Dans ce cas, le preneur doit négocier cet ajout avec le bailleur. Plusieurs conséquences en découlent.

En premier lieu, presque changement d’activité par le preneur doit suivre une procédure dite de "déspécialisation" prévue aux articles L. 145-47 et suivants du Code de commerce. Le preneur doit informer le bailleur de sa volonté de modifier ou d’ajouter des activités et le bailleur pourra accepter ou refuser. À cet égard, il existe trois modalités de déspécialisation : la déspécialisation partielle (ajout d'activités), la déspécialisation plénière (changement intégral d'activités) sous diverses conditions et la cession-déspécialisation qui autorise le locataire souhaitant partir à la retraite à céder son droit au bail pour l’exercice d’un autre commerce.

En deuxième lieu, à l'issue d’une négociation entre les parties ayant abouti à une despécialisation, cette extension donne au bailleur un levier pour négocier une augmentation du loyer car cela lui permet de faire jouer le "déplafonnement".

Une autre déspécialisation dite "incluse" a pris beaucoup d'essor avec l'épidémie de Covid-19. Il s'agit d'étendre une activité à celles qui lui sont objectivement incluses, car se rattachant à l'activité initiale. Il s'agit, selon les auteurs, d'une évolution normale, qu'elle soit technique ou commerciale et peut s'adjoindre implicitement à celles initialement stipulées. Le cas typique est celui d'un restaurant traditionnel qui s'adjoint l'activité de restauration à emporter comme on l'a vu pendant la pandémie et qui perdure pour bon nombre d'établissements.

Ainsi, dans un arrêt du 13 février 2021, la Cour d'appel de Paris a considéré que "La clause doit s'interpréter au regard des deux activités combinées d'alimentation générale et de restaurant pour apprécier si la vente à emporter et la livraison par internet peuvent être considérés comme des activités incluses dans la destination contractuelle.". Après de nombreuses hésitations en jurisprudence, l'appréciation semble plus clair avec la crise sanitaire et considère que ces activités sont "conformes à l'évolution des usages en matière de commerces d'alimentation générale.", ajoutant que " Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l'espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l'intermédiaire de plate formes.".

Cette déspécialisation incluse ne donne pas lieu à l'application de la procédure de l'article L. 145-47 du Code de commerce, mais vous devez faire attention à ce que l'activité de livraison ne soit pas  prépondérante par rapport à la restauration sur place et à emporter, car dans cette hypothèse, la requalification de cette activité en activité connexe ou complémentaire est tout à fait possible. Bref, on ne peut pas faire n'importe quoi.

Attention, le bailleur doit impérativement vérifier que les lieux loués soient  conformes à l’activité projetée, et donc à la destination contractuellement fixée ; il doit permettre l’activité prévue au contrat. S’il ne le fait pas : • c’est un manquement à son obligation de délivrance conforme (C. civ., art. 1719, 1°). C’est le cas, par exemple, lorsque le bailleur n’a pu obtenir l’autorisation d’effectuer les travaux nécessaires à l’exercice de l’activité. En effet, comme dans la vente, la chose doit être conforme aux stipulations du contrat de bail. Cette obligation ne peut pas être écartée par une clause contraire, car elle est une obligation essentielle au contrat de bail ; • et par conséquent c’est un cas d’engagement de la responsabilité civile professionnelle du conseil du bailleur (avocat, notaire, etc.) qui pourra donc se retourner contre lui.

2. Du côté du preneur.

Du côté du preneur, il doit aussi veiller à négocier une rédaction la plus large possible dès le début, afin de bénéficier de souplesse dans la gestion de son entreprise. De telles clauses sont communément appelées clauses de « tous commerces ». Il faut toutefois s’attendre à "payer" cette faculté au bailleur.

La difficulté d'une activité trop précise intervient, non pas lors de la signature du bail, mais bien plus tard, lorsqu'un jour, le preneur veut quitter les locaux. S'il veut céder son bail pendant les 9 ans, son successeur doit avoir la même spécialité que lui, puisque c'est une simple cession de bail qui se poursuit avec le nouveau. C'est là que les difficultés commencent, et elles peuvent aller loin si, en plus, le bail contient une clause d'agrément obligatoire du successeur par le bailleur. Vous pourriez très bien trouver difficilement un successeur, mais avoir un bailleur qui vous refuse le nouveau locataire proposé.

Il faut donc passer idéalement par un avocat qui va négocier, tant la clause de destination, que la clause d'agrément.

Sur le plan financier, la clause de destination plus précise permet de négocier un prix de loyer inférieur, alors que généralement, la clause tous commerces permet au bailleur d'imposer un loyer un peu plus cher.

Tout est donc une affaire de négociations.

Frédéric CUIF
DESCARTES AVOCATS
Poitiers