Peut-on conseiller un client anonyme ?

Analyse juridique et déontologique

La question revient régulièrement : un avocat peut‑il accepter de recevoir et de conseiller un client qui refuse de donner son identité, puis émettre une facture au nom de « client anonyme » ? En droit français, la réponse est claire : cette pratique est risquée, souvent irrégulière et généralement incompatible avec les obligations légales et déontologiques de l’avocat.

 

1. L'obligation d'identifier son client

Les avocats sont soumis aux obligations de vigilance et d’identification prévues par le Code monétaire et financier (CMF) dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Les articles L. 561‑2 et L. 561‑3 du CMF imposent l’identification du client lorsqu’il existe une relation d’affaires, ce qui inclut notamment :

  • création de sociétés ;

  • cession ou acquisition d’entreprises ou de fonds de commerce ;

  • opérations financières ;

  • constitution ou gestion de structures juridiques.

Le Conseil national des barreaux précise que cette identification doit être effective, documentée et vérifiable (pièce d’identité, extrait K‑bis, identité des bénéficiaires effectifs).

Le guide pratique du Conseil national des barreaux (CNB) explicite les modalités : collecte de justificatifs d’identité (pièce d’identité, extrait K-bis pour les personnes morales), nature/objet de la relation d’affaires, devoir de documentation et conservation des informations.

Sans identification fiable, l’avocat doit tout simplement s’abstenir de nouer la relation d’affaires.

 

2. Les obligations de conservation et de traçabilité

Le CMF impose également une conservation des documents d’identification pendant cinq ans (art. L. 561‑12 et suivants). Cette obligation s’inscrit dans le devoir général de traçabilité.

Facturer sous le nom « client anonyme » empêche l’avocat de respecter ces exigences. En cas de contrôle, une telle facture serait irrégulière du point de vue comptable et incompatible avec les obligations LCB‑FT (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme).

 

3. Les règles déontologiques : connaître son client

Au-delà des obligations issues du CMF, les principes essentiels de la profession imposent à l’avocat de connaître son client.

Le Règlement intérieur national (RIN) rappelle :

  • l’exigence d’indépendance ;

  • l’exigence d’absence de conflit d’intérêts ;

  • la nécessité de vérifier l’identité, la qualité et le mandat de la personne qui sollicite l’avocat.

Travailler pour un client anonyme rend impossible la vérification de l’existence d’un éventuel conflit d’intérêts, l’évaluation du mandat, et compromet la sécurité juridique de la relation avocat‑client.

 

4. Les exceptions possibles : la consultation « hors relation d’affaires »

Le CMF prévoit toutefois que certaines activités ne relèvent pas des obligations de vigilance, notamment :

  • les consultations juridiques ponctuelles ne donnant pas lieu à une relation d’affaires durable ;

  • les activités directement liées à une procédure juridictionnelle.

Dans ces cas, l’identification formelle au sens LCB‑FT n’est pas obligatoire. Toutefois :

  • ces exceptions doivent être interprétées strictement ;

  • l’avocat reste tenu de connaître la personne à qui il donne un conseil individualisé ;

  • la facturation anonyme demeure irrégulière.

Ainsi, même lorsqu’une consultation n’entre pas dans le champ du CMF, l’anonymat complet n’est pas compatible avec la déontologie ni avec les obligations comptables.

 

5. Facturer « client anonyme » : une pratique à proscrire

D’un point de vue juridique et fiscal, une facture doit mentionner l’identité du client. Émettre une facture au nom « client anonyme » est incompatible avec :

  • les règles comptables ;

  • les obligations fiscales ;

  • les exigences de traçabilité professionnelle.

En cas de litige ou de contestation, l’avocat serait dans l’incapacité de prouver à qui le service a été rendu.

 

Conclusion

Accepter un rendez‑vous avec un client refusant de révéler son identité, puis émettre une facture sous l’intitulé « client anonyme », est contraire aux obligations légales et déontologiques de l’avocat. Les textes imposant l’identification, la vérification, la prévention des conflits d’intérêts et la traçabilité rendent cette pratique largement prohibée.

Une consultation très ponctuelle, ne relevant pas du champ LCB‑FT, peut être donnée sans vérification formelle d’identité, mais elle ne peut pas donner lieu à une facturation anonyme.

L’avocat doit toujours savoir pour qui il intervient.

 

Justine HENRY

CJH Avocat - Droit des affaires

Notre cabinet consulte en droit des sociétés et procédures collectives.