Il y a des questions de voisinage qui ont l’air modestes – un tronc au sol, quelques bûches, un hiver qui arrive – et qui, en réalité, mettent le juriste au défi : qu’est-ce qui fait qu’une chose devient vôtre ? Le sol sur lequel elle repose ? Le bon sens ? L’urgence ? Ou, plus froidement, le droit de propriété ?

L’hypothèse est simple : l’arbre était planté chez votre voisin, il se déracine et tombe sur votre parcelle. La tentation est immédiate : puisque c’est chez moi, je prends le bois. Sauf que le droit civil n’aime pas les tentations.


I) Le principe : la chute ne transfère pas la propriété du bois

En droit français, la propriété est un droit, pas une question de géographie. L’article 544 du code civil définit la propriété comme le droit de “jouir et disposer des choses” : elle ne change pas de mains au gré des intempéries.Autrement dit : le fait que l’arbre tombe sur votre terrain ne vous en rend pas propriétaire. Le tronc, les grosses branches, le bois de chauffage potentiel : tout cela demeure, en principe, la chose d’autrui.

Un indice utile est fourni par l’article 673 du code civil : le législateur n’a prévu qu’un seul “transfert” automatique… celui des fruits tombés naturellement des branches qui avancent chez vous (pommes, noix, etc.). 

S’il a fallu un texte pour donner les fruits au voisin, c’est bien que, pour le reste, la règle est la conservation de la propriété d’origine.

Conséquence pratique : sans accord, “se servir” dans le bois expose à une contestation civile (restitution, dommages-intérêts) et, dans les cas conflictuels, à une qualification pénale.


II) Les “portes de sortie” apparentes… et leurs pièges

A. “Et si j’invoque l’abandon ?”

L’idée est séduisante : si le voisin ne vient pas récupérer son arbre, n’est-ce pas un abandon ? En pratique, c’est une pente glissante.

La jurisprudence rappelle classiquement que la renonciation à un droit ne se présume pas : elle doit résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté d’y renoncer. 

Transposé au bois : l’abandon ne se déduit pas aisément d’un simple silence, d’un retard, d’une négligence, ou du fait que le propriétaire “a d’autres soucis”.

Ce qui sécurise, ce n’est pas “l’abandon supposé”, mais l’accord exprès, même bref : SMS, mail, mot signé, ou accord constaté (au besoin) par un conciliateur.

B. “Et si je dis que c’est un déchet ?”

Autre raccourci fréquent : “un arbre tombé, c’est un déchet, donc je peux l’éliminer / l’utiliser”.

Le code de l’environnement définit le déchet très largement : tout bien meuble dont le détenteur se défait ou a l’intention/l’obligation de se défaire. 

Mais attention : qualifier le bois de “déchet” sert surtout à organiser la gestion/évacuation. Cela ne crée pas, à lui seul, un droit d’appropriation immédiat au profit du voisin sur le terrain duquel il repose.

En clair : déchet ne signifie pas “chose sans maître” ; cela signifie “objet soumis à un régime de gestion”. Et l’appropriation opportuniste reste juridiquement risquée si le propriétaire n’a pas clairement renoncé.


III) Les vraies questions contentieuses : qui doit couper, enlever, payer ?

Ce que les tribunaux tranchent le plus souvent n’est pas “à qui appartient le bois” (question plutôt simple), mais qui supporte les coûts et quand la responsabilité du voisin est engagée.

A. La force majeure peut exonérer… mais pas toujours

  • Lorsque la chute est due à un événement d’ampleur exceptionnelle et irrésistible, la force majeure peut exonérer le propriétaire des arbres de sa responsabilité (ex. cyclones de 1999), la Cour de cassation ayant censuré l’idée d’un “trouble anormal” tiré du seul défaut d’enlèvement du bois sans lien pertinent avec un trouble de voisinage. 

  • Mais l’argument de la tempête n’est pas un talisman : si la dangerosité était connue (arbres inclinés, mises en garde antérieures), la force majeure peut être écartée ; la Cour de cassation a pu retenir un trouble anormal du voisinage lié au danger que représentaient les arbres et aux demandes restées sans effet (Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 5 février 2004, 02-15.206, Publié au bulletin). 

B. La responsabilité “du fait des choses” et la responsabilité pour faute : deux leviers classiques

Selon les situations, la victime peut se placer sur :

  • la faute (art. 1240 C. civ.) si l’on reproche un défaut d’entretien, une négligence, un refus d’agir, etc. 

  • la responsabilité du fait des choses (art. 1242 C. civ.), qui vise la chose sous la garde d’autrui, lorsque l’arbre a joué un rôle actif dans la réalisation du dommage. La Cour de cassation admet par exemple, dans une affaire de chute partielle d’arbre, que les juges du fond caractérisent le rôle actif de la chose.  Et elle a aussi cassé des décisions en rappelant le cadre de l’ancien 1384 (devenu 1242) dans des litiges liés à la chute d’arbres en tempête. 

C. La prévention : le “risque” lui-même peut devenir un trouble réparable

Point très stimulant (et utile pour les praticiens) : le trouble anormal du voisinage peut être retenu à titre préventif, lorsque le risque est certain et grave pour les biens. La Cour de cassation l’a affirmé pour des arbres de grande hauteur risquant d’endommager gravement la maison voisine. 

D. Et le bois, dans tout ça ?

Dans les dossiers de dommages, les postes de préjudice chiffrés intègrent souvent le débitage/évacuation du bois de l’arbre tombé, ce qui montre bien que le débat judiciaire se situe fréquemment sur le terrain des coûts et de l’imputabilité. 


En conlusion : “solution” ou “sanction” 

La solution la plus sûre : l’accord (simple, traçable, immédiat)

Un message suffit souvent :

« Votre arbre est tombé chez moi. M’autorisez-vous à le débiter et à conserver le bois, à charge pour moi de tout évacuer proprement ? »

Sans accord, la prudence conduit à :

  • mettre en demeure le voisin de procéder à l’enlèvement/débitage,

  • organiser une solution amiable (conciliateur, voisinage, assureur),

  • et, en cas de blocage, envisager une action adaptée (référé en cas d’urgence, demande au fond sur dommages/charges).

La sanction à ne pas sous-estimer : le risque pénal du “bois récupéré”

Le droit pénal est brutal dans sa simplicité :

  • Le vol, c’est “la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui”. 

  • Le vol simple est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

Évidemment, dans la vraie vie, un voisin qui prend quelques bûches finit rarement au pénal… mais le risque existe dès lors que le contexte est conflictuel, que les quantités sont importantes, ou qu’un autre litige de voisinage s’agrège (bornage, servitudes, nuisances, etc.). Et au civil, le propriétaire peut demander restitution/indemnisation.