Bail commercial : comment conclure un bail avec une société qui n’est pas encore immatriculée ?

 

Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 mai 2025, 24-13.370

 

Pour une société non encore immatriculée, au stade de l’identification des parties dans le bail commercial, la formule suivante est-elle valable :

 

« la  société L., SAS en cours de création, dont le siège social sera établi à Y, représentée par sa présidente Madame [R] qui s’engage à fournir sous 2 mois à compter de la signature du bail le Kbis de ladite société »

 

Faits :

 

En janvier 2016, un bailleur a consenti un bail commercial à la « société L., SAS en cours de création, dont le siège social sera établi à Y, représentée par sa présidente Madame [R] qui s’engage à fournir sous 2 mois à compter de la signature du bail le Kbis de ladite société ».

 

L’article 40 des statuts de la société L., signés le 4 février 2016, stipule que :

 

 « l’état des actes accomplis au nom de la société en formation, avec l’indication pour chacun d’eux de l’engagement qui en résulte pour la société, est annexé aux présents statuts (…) La signature des présents statuts emportera reprise de ces engagements pour la société, lorsque celle-ci aura été immatriculée au registre du commerce et des sociétés».

 

La société L. a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés en  mars 2016.

 

En août 2017, la société L. assigne le bailleur en annulation du bail.

 

Procédure :

 

La cour d’appel de PARIS (Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 9 novembre 2023, n° 20/09580) reprend les articles suivants :

 

 

selon lesquels :

 

  • les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés,

 

  • les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société.

 

La cour d’appel rappelle alors qu’un acte conclu par une société avant son immatriculation – donc dépourvue d’existence juridique – est nul de nullité absolue non susceptible de ratification, son irrégularité ne pouvant être couverte par des actes intervenus postérieurement à son immatriculation.

 

Raison pour laquelle la cour d’appel prononce la nullité absolue du bail commercial relevant que :

 

  • le bail a été signé avant l’immatriculation de la société,

 

  • la formulation du contrat de bail, selon laquelle le locataire est la sté L., représentée par sa présidente Mme [R], signifie sans ambiguïté que c’est cette société elle-même qui a conclu le contrat et non Mme [R] agissant pour son compte.

 

Qui dit nullité dit remise en l’état antérieur et donc restitution par le bailleur du premier loyer trimestriel et du dépôt de garantie…

 

Le bailleur forme un pourvoi.

 

Décision de la Cour de cassation :

 

Le fondement juridique est le même :

 

 

les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits.

 

 

MAIS, et c’est là toute la différence, la Cour de cassation précise qu’il appartient au juge d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation.

 

Cela signifie qu’il faut aller plus loin que la simple rédaction « défectueuse » du bail tirée de la mention « société en création » pour désigner le locataire.

 

Quelle était l’intention des parties au moment de la signature du bail ?

 

Qui devait s’engager et exploiter le fonds de commerce ? la société qui allait être immatriculée postérieurement ou Madame R à titre personnel ?

 

Il fallait donc rechercher la commune intention des parties et pour ce faire les échanges écrits préalables à la signature du bail sont indispensables pour pallier à une éventuelle carence rédactionnelle.

 

Rappelons que cet arrêt s’inscrit dans la lignée du revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation au travers des trois arrêts rendus le 29 novembre 2023 (RG 22-12.865, 22-18.295, 22-21.623).

 

La Cour de cassation avait auparavant une position rigoureuse en jugeant que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

 

Dès lors, étaient nuls les actes passés « par » la société, même s’il ressortait des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte.

 

Or, il était constaté que des locataires « détournaient » les dispositions légales pour prétendre que le bail était nul aux fins d’échapper à leurs obligations contractuelles.

 

Dans ces trois arrêts du 29 novembre 2023, la Cour de cassation avait ouvert la voie à la régularisation d’un acte ambigu s’il résultait de la commune intention des parties de conclure au nom et pour le compte de la société en formation.

 

En conclusion : les formules du type « la  société, en cours de création, dont le siège social sera établi à Y, représentée par X » sont à proscrire.

 

C’est bien Madame X qui doit s’engager au nom et pour le compte de la société à venir et la procédure de reprise des actes par la société une fois immatriculée doit être respectée.

 

 

Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 mai 2025, 24-13.370

 

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Nawal BELLATRECHE-TITOUCHE

Avocate spécialiste en droit immobilier

Formatrice en droit immobilier

Sous-traitance en droit immobilier

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NB : cet article n’est pas généré par l’IA