Enlèvement international : absence d’application de l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis en cas d’acquisition par l’enfant d’une nouvelle résidence habituelle dans un Etat tiers
Les faits
Des parents indiens résidant au Royaume-Uni (alors Etat membre) sont tous deux titulaires de l’autorité parentale sur leur enfant née en 2017.
En octobre 2018, la mère se rend en Inde avec l’enfant. Elle rentre après plusieurs mois sans l’enfant restée depuis auprès de sa grand-mère maternelle ; à l’exception d’un bref séjour au Royaume-Uni en avril 2019.
Le 26 novembre 2019, la mère introduit une demande devant les juridictions britanniques afin d’obtenir l’autorisation de changer le territoire de l’enfant.
Le 26 août 2020, le père introduit un recours, sollicitant le retour de l’enfant au Royaume-Uni et un droit de visite.
La juridiction de renvoi saisie considère que les faits de l’espèce peuvent s’assimiler à un déplacement illicite et pose à la Cour de justice la question suivante :
« Un État membre conserve-t-il sa compétence, sans limite dans le temps, au titre de l’article 10 du règlement [no 2201/2003], si un enfant qui avait sa résidence habituelle dans cet État membre a été illicitement déplacé vers (ou retenu dans) un État tiers où, à la suite d’un tel déplacement (ou non‑retour) il a ultérieurement acquis sa résidence habituelle ? »
Compétence spéciale en cas de déplacement ou rétention illicite
En matière de responsabilité parentale (c’est-à-dire les questions relatives à l’autorité parentale et son exercice), la compétence des juridictions des Etats membres relève, en premier lieu, du Règlement (CE) n°2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ou « Règlement Bruxelles II bis ».
Ce texte prévoit une compétence générale en son article 8 §1 donnée aux juridictions du lieu de la résidence habituelle de l’enfant.
Toutefois, en cas de situation d’enlèvement parental, il y a lieu de faire application de l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis, en tant que règle de compétence spéciale, afin que le parent rapteur ne puisse pas, suite à l’enlèvement, se prévaloir de l’intégration de l’enfant dans son nouvel environnement.
Aux termes de cet article, en pareille situation, la prorogation de compétence de l’Etat membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son enlèvement perdure « jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre » suivant les conditions posées par l’article
Se pose donc la question de l’enfant déplacé vers un Etat tiers.
Position de l’avocat général
L’avocat général a tout d’abord procédé par analogie.
Dans un arrêt du 17 oct. 2018 (affaire C-393/18), la Cour de justice a précisé que si l’article 8 §1 ne mentionne que les Etats membres, il a pour autant vocation à s’appliquer aux rapports juridiques impliquant des États tiers. Aussi, une même analyse peut être retenue en cas de déplacement illicite.
Au demeurant, l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis prévoit un changement de résidence qu’en faveur d’un Etat membre. Aussi, l’avocat général a considéré qu’en présence d’un Etat tiers, la condition de changement de compétence n’était pas remplie, de sorte que l’Etat membre dans lequel résidait l’enfant immédiatement avant l’enlèvement restait compétent, sans condition de durée.
Selon l’avocat général, cette interprétation est conforme aux principes essentiels du droit européen et notamment aux principes de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et de confiance mutuelle. Or, si de tels principes, lesquels permettent de s’assurer d’un socle de droits commun et d’une réciprocité dans les relations entre Etats, ne s’appliquent qu’entre Etats membres, il n’y a pas lieu d’admettre la compétence des juridictions d’un Etat tiers, en particulier dans le contexte spécifique du rapt parental.
Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 mars 2021
Cette position n’a toutefois pas été suivie par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 24 mars 2021 (affaire C-603/20 PPU).
La Cour de justice relève, notamment, qu’une règle de compétence spéciale est d’interprétation stricte ; de sorte qu’il n’y a pas lieu d’étendre son champ d’application à des hypothèses non prévues par le législateur. Aussi, l’article 10 réglant la seule question de l’attribution de la compétence en cas d’enlèvement entre Etats membres, ces règles ne s’étendent pas aux situations d’enlèvement vers un Etat tiers.
Au demeurant, un maintien illimité dans le temps de la compétence des juridictions de l’Etat membre, ne serait pas nécessairement conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel exige de porter une attention particulière au critère de proximité.
En conséquence, l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’enfant déplacé ou retenu illicitement dans un Etat tiers y a acquis sa résidence habituelle au jour de la demande relative à la responsabilité parentale.
Aussi, la juridiction saisie devra fonder sa compétence, en application de l’article 14 dudit règlement,
- soit en considération de convention internationales ou bilatérales applicables,
- soit, à défaut, au regard de sa propre loi.
Si la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, à laquelle la France est partie, «a pour objet :
a) d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ;
b) de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant » (Article 1er),
le retour de l’enfant peut, dans les faits, être retardé. Aussi, il ne peut qu’être conseillé au parent victime d’un déplacement ou d’une rétention illicite, en parallèle – le cas échéant - d’une procédure de retour, de diligenter rapidement une procédure au fond afin d’éviter que l’autre parent ne se prévale de la nouvelle résidence de l’enfant.
L’interprétation retenue par la Cour de justice dans l’arrêt ci-dessus cité du 24 mars 2021 pourra toutefois se révéler particulièrement dure lorsque le parent victime est dans l’impossibilité (physique ou matérielle) d’introduire une procédure au fond, avant que l’enfant n’acquiert sa nouvelle résidence.
En résumé : La compétence d’une juridiction d’un Etat membre ne peut pas être fondée sur l’article 10 du Règlement Bruxelles II bis, si l’enfant, déplacé illicitement, a acquis au jour de la demande relative à la responsabilité parentale sa résidence habituelle dans l’Etat tiers requis.
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