Le covoiturage détourne-t-il les Certificats d’Economie d’Energie? Par Ariel DAHAN
La presse économique a publié ce 6 avril 2024 une information qui sous-tend la possibilité d'un scandale financier de grande envergure autour de l'utilisation des Certificats d'Economie d'Energie par les entreprises de covoiturage, et notamment la plus-connue d'entre elles Blablacar. Selon un article d’Adrien Sénécat et Maxime Vaudano publié dans Le Monde repris ensuite par Le Figaro, ce serait plusieurs dizaines de millions d’euros qui auraient été reversés, principalement à BlaBlaCar, et quelques miettes aux autres covoitureurs, en toute opacité.
Certificats d’Economie d’Energie - Le mécanisme des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) est un système de taxation parafiscale qui pèse sur les entreprises polluantes fournisseurs d’énergie, sociétés pétrolières pour l’essentiel, et qui leur impose de compenser leurs activités émettrices de #GES Gaz à Effets de Serre en finançant des projets d’économie d’énergie. Chaque projet financé permet d’éviter de payer la taxe, au prorata de l’énergie économisée, selon un ratio d’équivalence en kWh. Les principaux redevables de ces taxes, et financiers de ces CEE sont les fournisseurs d’énergie, au rang desquels Total-Energie. Les principaux bénéficiaires de ces aides sont les constructeurs d’immeubles neufs et les rénovateurs. Ces financements portent pour l’essentiel sur des travaux d’amélioration de l’habitat (isolation des habitations, pose de panneaux photovoltaïques, rénovation de chaudière, pompe à chaleur…). Autant de solutions connues, documentées et accessibles notamment via les sites publics tels que l’ANIL ou l’ADEME-CEE site officiel permettant de calculer l’aide susceptible d’être obtenue par ce moyen de financement sur fonds publics.
Opacité des montants affectés ? Un rapport est régulièrement publié par le Ministère de la Transition Ecologique et accessible ici https://www.ecologie.gouv.fr/dispositif-des-certificats-deconomies-denergie). Au titre du programme se terminant en 2021, 23,16 M€ ont été versés aux entreprises de covoiturage. (page 35 du rapport Bilan CEE P4 Integral (dont je recommande chaleureusement la lecture) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/VF CEE Bilan P4vIntegrale.pdf.
Pour l’année 2022, le rapport pour 2022, publié fin 2023, ne précise plus le montant des fonds versés aux entreprises de covoiturage. Bilan CEE P5 2022. Mais il est facile de faire une extrapolation linéaire. Cette opacité programmée pourrait sembler étrange…
DE QUI SE MOQUE-T’ON ? Des principes de comptabilité publique peut-être ?
Parasitisme de bon aloi ? Ce que le rapport n’indiquait pas c’est que des entreprises parasites ont été autorisées à détourner à leur profit des CEE, sans fournir aucune prestation réelle en compensation : les entreprises de covoiturage ! Rappelons que ces entreprises ont une activité essentiellement limitée à gérer une plateforme de mise en relation d’opérateurs individuels privés. Plateforme fortement consommatrice d’énergie électrique et de bande passante de données numériques. Ces entreprises prélèvent sur l’activité de covoiturage une rémunération considérée jusqu’à présent comme « juste » puisque supposée être modique, et tournée autour d’une double économie win/win : économie de coûts pour le passager, et partage de frais pour le conducteur…. Telle était toute la promesse de la loi sur le covoiturage du 17 août 2015, (2ème loi Macron) qui a réglementé le covoiturage sous le quinquennat Hollande, en instituant dans le nouveau Code des Transports créé par Nicolas Sarkozy les articles L3132-1 et suivants sur le covoiturage dans les transports privés routiers de personnes. La modicité supposée de la commission prélevée par la plateforme de covoiturage entre le prestataire de transport occasionnel et le passager occasionnel était la justification morale à cette opération qui autrement aurait pu s’apparenter à du travail dissimulé et à des opérations de transport public de passagers.
Blablacar et consorts, Parasite, Symbiote ou Saprophyte ? Au-delà du caractère quasi-symbiotique de ces plateformes qui permet, par son interaction, le développement d’un écosystème économique, il semblerait à la lecture de ces articles que ces entreprises aient en fait un comportement plus proche de celui d’un proxénète. Mieux encore, un proxénète qui se refinancerait sur des fonds publics… En plus de se nourrir sur la bête en profitant du temps de travail du conducteur, de son investissement capitalistique (le véhicule) et de la redevance versée par le passager, ces entreprises apparaissent en définitive subventionnées par des fonds quasi-publics, grâce au reversement des taxes parafiscales.
Cause du reversement ? Ce reversement pourrait s’apparenter à un détournement de fonds publics, en ce qu’il semble largement détourné de son but initial qui était de financer des opérations d’économie d’énergie. Pourtant dans le cas présent, aucune économie d’énergie n’est financée par ce versement. En effet : Le conducteur génère toujours la même dépense énergétique, Le conducteur bénéficie de la même économie de frais en ouvrant sa voiture aux passagers covoiturés. Les passagers bénéficient de la même économie de frais de transports, Il n’y a que la plateforme qui s’enrichit au-delà de la contrepartie de sa prestation, sans réelle corrélation avec la valeur des services rendus puisque ces services sont déjà payés par le covoitureur et les covoiturés.
Explication : Les plateformes reversent jusqu’à 100 € de bonus aux conducteurs. 25 € en prime de bienvenue et 75 € après le 9ème voyage. Elles conservent le reste sans aucune autre prestation complémentaire. Dès lors ce reversement aux plateformes ne paraît plus causé. Mais s’il n’est pas causé, il faut analyser ce paiement comme un détournement de taxes parafiscales qui auraient dû être versées à l’Etat par les producteurs de Gaz à Effet de Serre ou reversés dans des opérations d’économie d’énergie. En réalité aucune économie d’énergie supplémentaire n’est produite par les plateformes de covoiturage. Si l’on conserve cette analogie graveleuse avec le proxénète qui vivrait sur le travail de ses filles de joie, la situation dénoncée plus haut correspondrait à celle d’un proxénète qui ferait financer son opération par la sécurité sociale et les associations de lutte contre la prostitution tout en reversant une prime modique à ses gagneuses… Cela difficile de goûter tout le sel de cette plaisanterie, sans savoir qui est celui qui se moque. S’il s’agissait de l’Etat, pourquoi pas. Mais il y a fort à parier que ce soit plutôt les opérateurs qui rient tout bas. L’innovation en matière de détournement de fonds publics n’a visiblement pas de limite surtout lorsqu’elle est initiée d’en haut. Et la victime c’est toujours toi, lecteur, qui t’interroge avec moi sur cette question primale : De qui se moque t’on ?
Ariel DAHAN pour 2kismokton ! Première publication le 7/04/2024 sur Miroir Social - Le covoiturage détourne-t-il les Certificats d’Economie d’Energie ? Modifié le 30/12/2024
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