L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 février 2025 (n° 23-13.228) s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence récente, notamment celle de l'arrêt du 15 janvier 2025 (n° 22-17.817), qui rappelle avec force le principe de nécessité gouvernant les mesures de protection juridique.

Ces deux décisions soulignent l'impératif d'une justification actuelle et concrète de la mesure, tant lors de son instauration que lors d'une demande de mainlevée.

1. Rappel de l'arrêt du 15 janvier 2025 : le principe de nécessité réaffirmé lors d'une demande de mainlevée.

Cette première décision concernait une demande de mainlevée d'une curatelle renforcée. La Cour de cassation avait cassé l'arrêt d'appel qui avait maintenu une curatelle simple, en rappelant que le juge doit impérativement constater, au moment où il statue, la persistance de l'altération des facultés de la personne protégée et justifier son besoin d'assistance continue pour les actes importants de sa vie civile.

Cet arrêt mettait en exergue :

  • L'obligation de constatation actuelle de l'altération des facultés.
  • Le rôle essentiel, bien que non exclusif, du certificat médical.
  • La nécessité de justifier le besoin d'assistance continue dans le cadre d'une curatelle simple.
  • Le renforcement du principe de nécessité à tous les stades de la mesure.
  • Le renversement de la charge de la preuve, incombant au juge de prouver la nécessité du maintien de la protection.

2. Le prolongement par l'arrêt du 5 février 2025 : une exigence de motivation spécifique pour la curatelle renforcée.

Contexte et procédure : Dans cette affaire, un fils, préoccupé par la situation de sa mère, avait saisi le juge des tutelles qui avait rendu une ordonnance de non-lieu à mesure de protection.

La cour d'appel infirmant cette décision, avait opté pour une curatelle renforcée d'une durée de soixante mois, confiant la mesure à une association tutélaire. C'est cette décision qui a fait l'objet d'un pourvoi en cassation.

La décision de la Cour de cassation : une cassation pour défaut de base légale.

La Cour de cassation a censuré l'arrêt de la cour d'appel au visa de l'article 472, alinéa 1er, du Code civil. Elle a reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme il leur incombait, « si l'intéressée était, ou non, apte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale ».

3. Analyse et implications pour le droit des majeurs protégés :

Cet arrêt met en lumière plusieurs points essentiels pour la compréhension et l'application du droit des majeurs protégés :

  • Le caractère subsidiaire de la curatelle renforcée : La Cour de cassation rappelle indirectement que la curatelle renforcée, mesure "hybride" entre la curatelle simple et la tutelle, ne se justifie que lorsque la simple assistance ou le contrôle continu des actes importants de la vie civile ne suffisent plus.
  • Le critère déterminant de l'inaptitude à la gestion budgétaire : L'arrêt souligne avec force que la justification d'une curatelle renforcée repose avant tout sur l'incapacité de la personne à gérer ses revenus de manière autonome et normale. Ce critère financier devient central dans la motivation de cette mesure spécifique.
  • L'insuffisance des motifs généraux : La simple constatation de la vulnérabilité et du besoin d'assistance dans les actes importants de la vie civile ne suffit pas à justifier une curatelle renforcée. Les juges doivent spécifiquement examiner et motiver l'inaptitude de la personne à la gestion de ses finances.
  • La nécessité d'une évaluation concrète : Cet arrêt invite les juges à une analyse factuelle précise de la situation financière de la personne à protéger. Il ne suffit pas de présumer cette inaptitude ; elle doit être étayée par des éléments concrets.
  • La distinction claire entre les mesures de curatelle : La Cour de cassation insiste sur la nécessité de distinguer clairement les seuils justifiant une curatelle simple, aménagée ou renforcée, conformément à la volonté du législateur de 2007 de graduer les mesures de protection.

4. Le lien entre les deux arrêts : une même exigence de justification concrète et actuelle.

Bien que portant sur des étapes différentes de la mesure de protection (instauration pour l'un, mainlevée pour l'autre), ces deux arrêts convergent sur un point fondamental : la nécessité d'une motivation rigoureuse et actuelle de la décision du juge des tutelles.

  • Pour l'instauration d'une curatelle renforcée (arrêt du 5 février) : Le juge ne peut se contenter d'une appréciation générale de la vulnérabilité. Il doit spécifiquement motiver l'inaptitude de la personne à gérer ses revenus, condition essentielle de la curatelle renforcée.
  • Pour le maintien d'une curatelle (arrêt du 15 janvier) : Le juge ne peut se fonder sur l'existence d'une mesure antérieure. Il doit vérifier au moment où il statue la persistance de l'altération des facultés et, dans le cas d'une curatelle simple, le besoin d'assistance continue.

Conclusion : vers un renforcement du principe de nécessité et de l'autonomie des majeurs protégés.

Ces deux arrêts marquent une orientation claire de la Cour de cassation vers un renforcement du principe de nécessité et une protection accrue de l'autonomie des majeurs vulnérables.

Ils rappellent que la capacité juridique est le principe et que toute mesure de protection doit être justifiée par une altération des facultés actuelle et un besoin de protection avéré, spécifiquement motivé par le juge.

La simple existence d'une vulnérabilité ne saurait suffire à justifier une curatelle renforcée, tout comme le maintien d'une mesure ne peut se fonder ni sur une évaluation ancienne, ni sur une présomption d'inaptitude.

Ces décisions encouragent une approche plus individualisée et respectueuse des droits des personnes protégées.


Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


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