Le Business analyst senior de Cargill France obtient 51 000 euros pour licenciement économique sans cause et rappel de prime de transition (CPH Nanterre, depart 4/04/2024, RG : 19/01357).

1) EXPOSE DU LITIGE

Monsieur X a été engagé par la société CARGILL FRANCE par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 octobre 2006, en qualité de Consultant en développement,

En dernier lieu, il occupait le poste de « Business Analyst Senior ».

Le département IT au sein des filiales du Groupe CARGILL de la zone EMEA a fait l'objet d'une réorganisation.

A compter du 3 mai 2018, la société a notifié à Monsieur X sa dispense d'activité.

Par courrier du 1er juin 2018, une proposition de reclassement au poste de « Service Owner France » lui a été faite, qu'il a refusé.

Par courrier du 18 juin 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 26 juin 2018.

Par lettre du 4 juillet 2018, Monsieur X s'est vu notifier son licenciement pour motif économique.

La lettre de licenciement était rédigée en ces termes :

« (...) Comme vous le savez, le Groupe CARGILL dans son ensemble et la société CARGILL France SAS en particulier procèdent à une réorganisation de ses activités et services partagés.

Cette réorganisation a fait l'objet d'une procédure d'information - consultation du Comité d'Entreprise au cours de laquelle la Société a exposé les motifs de sa réorganisation de la Société, rappelés ci-après.

Le marché des matières premières alimentaires, sur lequel le Groupe Cargill et la Société CARGILL France SAS interviennent, est un marché au sein duquel les acteurs rencontrent de grandes difficultés en raison de :

  • Sa complexité : le marché des matières premières est en réalité composé de plusieurs machés très différents les uns des autres (céréales, soja, cacao, huile, etc.…) ;
  • Son exposition : le maché des matières premières est exposé à la saisonnalité ainsi

qu'aux phénomènes climatiques ;

  • Sa volatilité : la volatilité des prix des matières premières est une composante structurelle de ce marché :
  • Son étroitesse : le marché des matières premières est un marché « nationalisé » dans lequel la grande majorité de la production mondiale est consommée directement dans les pays producteurs, ce qui oblige à une diminution des prix afin de s’exporter.

Sur ce marché difficile, la Chine est devenue le premier consommateur mondial et donc le premier influenceur pour la santé du marché.

Or, l’économie chinoise est en crise depuis le crash de la bourse de Shangaï à l'été 2015. Cela impacte directement la situation de Cargill puisque la chute de la demande chinoise a pour effet de faire chuter grandement les prix des matières premières. L'indice des matières premières a ainsi baissé fortement au cours des derniers mois.

Mais encore, le Yuan ayant atteint son niveau le plus bas face au dollar depuis 6 ans, les entreprises chinoises se tournent vers les acteurs locaux plutôt que vers les acteurs traditionnels comme Cargill qui traitent en dollars.

Cette situation est d’autant plus grave qu’il n’existe pas d’autres puissances économiques susceptibles de prendre la place de la Chine afin de stimuler le marché des matières premières :

  • La Russie fait face à une crise importante depuis 2014 ;
  • Le Brésil est entré en crise en 2015 ;
  • D'autres pays émergents comme le Chili ou le Venezuela ne pourront pas non plus stimuler la demande d'importation de matières premières en raison de leurs politiques de nationalisme des ressources ;
  • L'Afrique n'est pas encore suffisamment développée pour constituer un marché de premier plan à court ou moyen terme ;
  • Le marché européen sur lequel Cargill intervenait traditionnellement n’est plus un marché porteur en raison de la demande faible liée au niveau insuffisant de la croissance.

Face à ces difficultés, tous les acteurs du secteur du négoce de matières premières ont entamé des restructurations. En 10 ans, le nombre de négociants internationaux en grains présents en Frances a été divisé par deux et dans la même période, le nombre d'entreprises du secteur de l'alimentation animale a chuté de 45%.

Comme pour l'ensemble des autres acteurs du secteur, les résultats du Groupe Cargill ont été fortement impactés par la baisse du prix des matières premières débutée en 2011.

Dès l'année 2012 et le début du nouveau cycle de crise du marché des matières premières, les résultats de Cargill ont chuté de façon très importante. Malgré un très léger regain depuis quelques années, le Groupe ne parvient pas à retrouver le niveau de 2011.

Pour l'année fiscale 2016 (juin 2015 à mai 2016), le résultat d'exploitation a chuté de 15% par rapport à l'année fiscale 2015-juin 2014 à mai 2015). Cette chute est particulièrement marquée au 4ème trimestre de l'année fiscale 2016 au cours duquel le Groupe a enregistré une perte d'exploitation de 19 millions $ tandis qu'à la même période en 2015 le Groupe avait enregistré un bénéfice d'exploitation de 230 millions S.

Concernant la Société CARGILL France SAS, les résultats se sont fortement dégradés

depuis Juin 2015.

Il convient à ce titre de noter que :

  • Le chiffre d'affaires de la société a diminué de 3 178 228 972 euros en 2015 à 2 977 232 604 euros en 2016 puis à 2 240 743 308 euros en 2017.
  • Le résultat d'exploitation a chuté de 24 941 767 euros en 2015 à 9 534 893 euros en 2016. Le résultat de 2017 serait négatif dans la plus-value résultant de la cession du site de Brest et ne permet pas de revenir à une situation satisfaisante.

De même, les résultats après impôts de la société ont chuté de manière considérable passant d’un bénéfice de 20 451 142 euros en 2015 à des pertes de – 1 803 472 euros en 2016.

Comme le mentionne l'expert-comptable du comité d'entreprise de Cargill France SAS, « en 2017, le chiffre d'affaires total recule de 25,4%. Tous les segments de ventes sont affectés, mais surtout les ventes de marchandises et plus particulièrement à l'exportation qui diminuent de -44%, quand au niveau mondial la baisse est moins prononcée (-19,5%) ».

Confronté à la crise du marché des matières premières et à des résultats insuffisants depuis plusieurs années, Cargill n'a pas attendu pour prendre des mesures correctives.

C'est ainsi que le plan d'actions mondial « Fit to Grow » a été mis en œuvre dès 2012. Ce projet reposait sur les ambitions suivantes :

  • Rationnaliser le portefeuille d'activité afin d'optimiser les capacités de production en se concentrant sur les produits à plus forts potentiel et valeur ajoutée ;
  • Réduire les coûts afin de retrouver un levier de compétitivité en disposant de la capacité à s'aligner sur les offres des nouveaux concurrents du secteur, principalement ceux chinois.
  •  

Dans la continuité de ce plan et de la simplification du groupe annoncée en novembre 2015, le Groupe Cargill a entamé une réorganisation de ses fonctions support en transférant plusieurs d'entre elles au sein de centres de services partagés, notamment celui de Sofia pour l'Europe.

Toutefois, dans le contexte économique décrit ci-dessus, la compétitivité du Groupe Cargill reste menacée aujourd'hui.

Afin de conserver des parts de marché, le Groupe doit poursuivre son effort vers une excellence opérationnelle qui lui permettra d'être plus efficace et donc plus compétitif. Le Groupe doit s'assurer que ses fonctions supports assurent une excellence opérationnelle au service du business et de la stratégie définie.

C'est ainsi que la Société CARGILL France SAS (et plus largement le Groupe) envisage aujourd'hui de réorganiser les équipes informatiques en charge du développement des applications (le département « IT Applications »).

L'objectif de ce projet est bien évidemment de tendre vers l'excellence opérationnelle tout en diminuant les coûts mais également de permettre aux équipes informatiques en charge du support des applications de se recentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée.

Ce projet de réorganisation des équipes « IT Applications » devrait engendrer une économie annuelle de 20 millions de dollars au niveau mondial. Sur ces 20 millions, les économies devraient être de l’ordre de 9 millions de dollars par an pour la zone EMEA.

Vous êtes concerné par ce projet de réorganisation car la suppression du poste de Senior Business Analyst que vous occupez est envisagée dans ce contexte. Ce poste appartient à la catégorie professionnelle Cadre Informatique / Responsable Applications et Développement à laquelle vous êtes rattaché.

Tous les postes de cette catégorie étant supprimés, vous êtes impacté par cette suppression de poste.

C'est dans ces conditions que nous avons été amené à rechercher activement les éventuelles solutions de reclassement interne pouvant vous être proposées. Nous avons tout mis en œuvre afin de procéder à votre reclassement conformément aux obligations qui nous incombent.

Dans ce cadre, nous vous avons reçu en entretien le 30 mai 2018 pour faire le point de votre situation. Nous avons à cette occasion passé en revue l'ensemble des postes disponibles et susceptibles de vous convenir, et nous avons à ce titre identifié ensemble le poste de PRTP Service Owner France (H/F) Responsable France : Process Fournisseur.

Un compte-rendu de cet entretien vous a été adressé par LRAR le 1er juin 2018.

Par un courriel du 11 juin 2018, vous avez finalement décliné cette proposition. (...)

Malheureusement, à l'issue des échanges que nous avons pu avoir au sujet de votre reclassement et des recherches actives que nous avons pu mener, il s'est avéré qu'aucun autre poste n'était susceptible de vous être proposé au titre du reclassement interne au sein du Groupe.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous n'avons pas d'autre choix que de prononcer votre licenciement pour motif économique (...) ».

La relation de travail était soumise à la Convention collective nationale des industries chimiques.

La rémunération moyenne mensuelle de Monsieur X était de 8 137,26€ bruts (moyenne de 12 derniers mois).

Contestant son licenciement, Monsieur X a saisi le Conseil des prud'hommes par requête reçue au greffe le 2 juillet 2019.

Les parties ont été convoquées à l'audience devant le bureau d'orientation et de conciliation du 21 avril 2020, convocation dont la partie défenderesse a eu connaissance le 5 septembre 2019.

Cette audience n'a cependant pas pu se tenir compte tenu de l'épidémie de COVID-19.

Les parties ont été convoquées devant le bureau de jugement à l'audience du 10 novembre 2022.

Un jugement de départage partiel a été rendu le 21 février 2023 selon lequel le Conseil

  • S'est déclaré en partage de voix concernant les chefs de demande sur le licenciement économique :
  • Renvoyé les parties devant le juge départiteur concernant les demandes sur le licenciement économique :
  • Débouté Monsieur X de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
  • Débouté Monsieur X du surplus de ses demandes ;
  • Débouté la société CARGILL de sa demande conventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
  • Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

L'audience de départage s'est tenue le 7 février 2024.

Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous :

https://www.legavox.fr/blog/frederic-chhum-avocats/licenciement-consultant-cargill-france-obtient-35395.htm

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

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