Le 15 juin 2017, la cour d’appel de Nancy (RG n° 16/01009) a rappelé dans un arrêt qu’un gérant d’une SARL qui encaisse deux fois une même somme pour une même vente commet une faute intentionnelle, dont il doit personnellement répondre envers son client en le remboursant du trop perçu.




Résumé des faits

Un particulier signe avec la société Eurofrance Solaire un bon de commande portant sur la fourniture et l’installation de panneaux photovoltaïques pour un montant de 18.000 euros.

Le même jour, elle a contracté un crédit affecté auprès de la société Sofemo pour un montant de 18.000 euros remboursable en 120 mensualités avec intérêts au taux de 5,51%.

Une fois le matériel livré et installé, l’acquéreur signe sans réserve un bon de livraison, qui se révèle être également une autorisation donnée à Sofemo de payer Eurofrance Solaire de la somme de 18.000€.

L’acquéreur contracte ensuite un second prêt de 20.802,02 euros auprès du Crédit Mutuel Enseignant pour la même installation et adresse à la société Eurofrance Solaire un chèque de 18.000 euros pour le règlement de sa facture.

La société Eurofrance Solaire est placée en liquidation judiciaire et l’acquéreur déclare alors sa créance auprès du mandataire liquidateur de la société.

L’acquéreur rembourse par anticipation le prêt souscrit auprès de la société Sofemo par chèque de 18.430,20 euros afin de ne pas avoir à réglé les intérêts.

Soutenant que la société Eurofrance Solaire a perçu deux fois le montant de sa facture et que son gérant a commis une faute grave de gestion, l’acquéreur fait assigner ce dernier devant le tribunal de grande instance d’Epinal aux fins de le voir condamner à lui verser 20.796,93 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement outre des dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité.

Par jugement du 15 mars 2016, le tribunal a condamné le gérant à verser à la victime la somme de 20.666,53 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement.

Le tribunal a considéré, au visa des articles L.223-22 du Code de commerce et 1850 du Code civil, qu’en sa qualité de gérant de la société Eurofrance Solaire, ce dernier avait été l’interlocuteur de l’acquéreur.

Ensuite, le tribunal a relevé que la société venderesse avait perçu directement les fonds du prêt souscrit auprès de la société Sofemo et avait encaissé 20 jours plus tard le chèque adressé par l’acquéreur en règlement de la facture, mais que le gérant s’était engagé à faire annuler le prêt Sofemo par mails. Faute de ce faire, l’acquéreur a été prélevé de deux mensualités ce qui l’a contrainte à solder le crédit directement.

De là, le tribunal en a déduit que la société Eurofrance Solaire avait perçu deux fois le règlement de sa facture et que le gérant avait commis une faute de gestion en ne régularisant pas la situation comme il s’y était engagé.




Procédure

Le gérant a interjeté appel de ce jugement et soutenu :

  • n’avoir commis aucune faute de gestion
  • avoir indiqué à l’acquéreur qu’il tenterait de faire annuler le contrat de prêt souscrit par elle-même auprès de la société Sofemo alors qu’aucune obligation contractuelle ne lui incombait.
  • n’avoir pas eu connaissance du déblocage de la somme de 18.000 euros sur les comptes de la société Eurofrance Solaire par Sofemo, ni des courriers échangés entre l’acquéreur et l’organisme de prêt.

L’appelant fait encore valoir que ce n’est que postérieurement à la liquidation judiciaire de la société que l’acquéreur a informé le liquidateur des difficultés liées au financement de son installation.

Il estime que la somme de 18.000 euros ne lui a pas été versée personnellement et que si cette somme a été versée à la société Eurofrance Solaire, il n’est pas établi qu’il a eu connaissance d’un double paiement de facture, de sorte que l’intimée ne démontre pas l’existence d’une faute distincte de celle pouvant être mise à la charge de la société Eurofrance Solaire.

L’acquéreur conclut quant à elle, à la confirmation du jugement.




Motifs juridiques de la décision

Selon l’article L. 223-22 du Code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.

En outre, la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.

Dans la présente affaire, il résulte que le gérant a commis intentionnellement une faute en encaissant le règlement par chèque de la facture alors que la société Eurofrance Solaire avait déjà perçu les fonds débloqués par la société Sofemo et qu’il s’était engagé, en sa qualité dé gérant de la société et seul interlocuteur de l’acquéreur, à annuler le prêt avec Sofemo par 3 mails.

Lesdits mails étaient particulièrement clairs et sans ambiguïté sur le fait que le gérant s’engageait à faire annuler le prêt Sofemo et non simplement à essayer de le faire, étant précisé que dans un mail, cette annulation était liée à l’encaissement du chèque, de sorte qu’il avait parfaitement conscience du risque de double paiement de la prestation de sa société ;

En outre, Eurofrance Solaire était une SARL unipersonnelle et le gérant ne pouvait ignorer le déblocage de la somme de 18.000 euros sur les comptes de sa société par Sofemo.

En conséquence, il a commis une faute de gestion d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales, en encaissant le chèque de sa cliente plus d’un mois après l’avoir reçu et alors que la facture de sa prestation avait déjà été réglée par le transfert de fonds par Sofemo.

De fait, la cour d’appel a confirmé le jugement et condamné le gérant à verser 1.500€ de plus à sa cliente.




Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS

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