La fraude dite « au président » et les escroqueries aux faux conseillers financiers constituent aujourd’hui des menaces majeures pour les entreprises et les particuliers. Ces manœuvres reposent sur une tromperie psychologique : l’escroc usurpe l’identité d’un dirigeant ou d’un conseiller pour inciter la victime à effectuer des virements ou des paiements urgents. La question centrale est la suivante : ces opérations peuvent-elles être qualifiées de “non autorisées” au sens du Code monétaire et financier, ouvrant droit à remboursement automatique par la banque ?

Une clarification essentielle : autorisation juridique vs consentement psychologique

Par quatre arrêts du 19 novembre 2025, la Cour de cassation tranche avec fermeté. Elle distingue la validité juridique de l’ordre de paiement de son origine frauduleuse :

  • Lorsque le virement ou le paiement est initié par le titulaire du compte ou par une personne habilitée, en respectant les dispositifs d’authentification convenus, l’opération est juridiquement autorisée, même si la décision résulte d’une tromperie.
  • Conséquence : le régime spécial des paiements non autorisés (articles L.133-18 et suivants CMF) ne s’applique pas. La banque n’est donc pas tenue à un remboursement automatique.

Le litige relève du droit commun de la responsabilité contractuelle (article 1231-1 C. civ.), fondé sur l’obligation de vigilance, mais non sur une garantie générale contre toute fraude.

Parmi les quatre affaires jugées, l’une ne concernait pas une fraude au président classique mais une escroquerie aux faux conseillers en investissement : un dirigeant âgé, après une vente immobilière, a été abusé par des escrocs se présentant comme des experts financiers, autorisant plusieurs virements pour un montant total de 1,4 million d’euros.
Cette inclusion est significative : la Cour applique la même logique. Dès lors que le titulaire du compte initie lui-même les virements ou paiements par carte, en utilisant les dispositifs convenus, l’opération est autorisée au sens des textes. Elle ne peut donc relever du régime de garantie institué par le Code monétaire et financier.

À notre sens, cette jurisprudence a vocation à s’étendre à toutes les fraudes aux faux conseillers bancaires. Elle met à juste titre un terme à un courant jurisprudentiel qui confondait autorisation de l’opération et consentement au bénéficiaire. La Cour rappelle que la fraude psychologique ne « contamine » pas la qualification juridique de l’ordre.

Le pivot du raisonnement : l’anomalie apparente

Une fois écarté le régime des opérations non autorisées, la question devient : dans quelles conditions la banque peut-elle être jugée fautive ?
La Cour articule sa réponse autour d’un critère central : l’anomalie apparente, définie par quatre caractéristiques cumulatives :

  1. Objectivité : perceptible par un professionnel normalement diligent.
  2. Matérialité : lisible dans les caractéristiques de l’opération (montant, fréquence, bénéficiaire).
  3. Évidence : sans investigation complexe.
  4. Immédiateté : visible au moment de l’examen de l’ordre.

Ne suffisent pas : la naïveté du client, la pression psychologique ou l’imprudence interne. Exemple : la répétition de virements n’est suspecte que si elle rompt avec les habitudes du compte.

Une vigilance contextualisée et équilibrée

La normalité s’apprécie par rapport au profil du client. Une série de virements internationaux peut être banale pour une société de négoce, mais suspecte pour une petite structure. La faute bancaire suppose des indices objectifs contemporains, non une reconstruction a posteriori fondée sur la gravité du préjudice.