I. La notion d’impropriété à destination

La plupart des décisions retenant l'application de la garantie décennale se fondent sur l'impropriété à la destination, notion suffisamment souple et évolutive pour laisser au juge une grande liberté d'appréciation.

En effet, l’article 1792 du Code civil : « dommages […] qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. »

Ainsi, l'impropriété à la destination de l'ouvrage peut résulter de la défaillance d'un élément d'équipement, sauf dans le cas où il s'agit d'un simple équipement de confort (Civ. 3e, 10 mai 2007, n°06-12.467).

L'extension voulue par le législateur trouve néanmoins une limite dans le fait que c'est l'ouvrage dans son entier qui doit être rendu impropre à sa destination, et non pas seulement l'élément constitutif ou l'élément d'équipement.

La Cour de cassation a souvent l'occasion de le rappeler (Civ. 3e, 9 janv. 1991, n° 89-15.446 et 89-15.463).

Finalement, il importe peu que l'impropriété affecte tel ou tel élément constitutif, ou tel ou tel élément d'équipement.

L'essentiel est que l'ouvrage lui-même soit rendu impropre à sa destination.

C'est ainsi qu'une maison n'est pas rendue impropre à sa destination par suite des défauts du sol de son jardin (Civ. 3e, 15 mai 2001, no 99-21.204).

En revanche est impropre à sa destination la maison qui doit être démolie parce que mal implantée au regard des règles d'urbanisme ou plus généralement de la réglementation (Civ. 3e, 12 juin 2013, n°12-19.103).

II. Appréciation par référence à la destination convenue

L'impropriété à destination s'apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation telle qu'elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties.

Ce principe a été rappelé relativement récemment par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n° 18-23.379).

En l'espèce des particuliers ont vendu une maison d'habitation comprenant un sous-sol composé initialement d'une cave qu'ils ont transformée en un appartement habitable.

Constatant la présence d'infiltrations dans ce local les acquéreurs ont après expertise assigné leur vendeur sur le fondement de la responsabilité décennale et le constructeur en indemnisation de leur préjudice.

La cour d'appel avait rejeté la demande fondée sur la garantie décennale à l'encontre des vendeurs au motif que le « débarras » désigné au compromis, siège des désordres

d'infiltrations et de moisissures, était une « cave au sens du permis de construire, destination toujours d'actualité en l'absence d'autorisation administrative et étant compatible avec l'humidité et les infiltrations présentes dans cet espace. »

Au visa des articles 1792 et 1792-1 du Code civil, l'arrêt est cassé, au motif « qu'en statuant ainsi alors qu'est réputé constructeur toute personne qui vend après achèvement un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire et que l'impropriété de cet ouvrage à sa destination s'apprécie par référence à sa destination découlant de son affectation telle qu'elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties, la Cour d'appel a violé les textes susvisés. ».

La responsabilité décennale peut être mise en œuvre en application de l'article 1792 du Code civil dès lors que la preuve d'une impropriété à destination peut être rapportée par le maître d'ouvrage.

Cette impropriété à destination s'apprécie par rapport à la destination convenue.

En réalisant des travaux d'aménagement d'une cave pour la transformer en local habitable, le vendeur en sa qualité de constructeur au sens de l'article 1792-1 a ainsi engagé sa responsabilité à l'égard des acquéreurs au titre des travaux qu'il a réalisés.

L'impropriété à destination, dans ces conditions, doit s'apprécier par rapport à la destination convenue tenant au caractère habitable du local indifféremment de toute autorisation administrative qui aurait eu pour effet de valider la transformation de cette cave en local d'habitation.

Telle est la position admise.

En matière de garantie décennale, et s'agissant de l'isolation phonique, l'impropriété à destination ne doit pas s'apprécier au regard des normes minimales, mais au regard de la qualité de construction promise.

Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt de principe rendu le 10 octobre 2012, par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 10 octobre 2012, n° 10-28.309, FS-P+B)

Ce principe jurisprudentiel est transposable au vendeur après achèvement.

Une telle position paraît logique à l'égard du vendeur réputé constructeur.

Par exemple, est impropre à sa destination :

· un immeuble d'habitation dont le chauffage ne fonctionne pas, ou qui est affecté d'infiltrations d'eau venant des murs ou de la toiture, ou de nuisances sonores( Civ. 3e, 8 avr. 1987) ;

· un garage dont la rampe ne permet pas un accès normal aux voitures d'un certain gabarit (Civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-15.107) ;

· une salle d'ordinateurs dont la climatisation est défaillante ( Civ. 3e, 12 mai 1982,).

· Allant plus loin, des arrêts ont admis que l'impropriété à la destination pouvait s'entendre :

- de la non-obtention des économies d'énergie promises grâce à un chauffage solaire (Civ. 3e, 27 sept. 2000, n° 98-11.986) ;

- ou de la non-obtention de l'isolation phonique convenue (Civ. 3e, 16 mars 2004, n° 01-17.726).

Mais en sens inverse, un arrêt a considéré que l'insuffisance des performances d'une installation de géothermie ne constituait pas nécessairement une impropriété à sa destination (Civ. 3e, 12 mai 2004, n° 02-20.247 , 02-20.621 et 02-20.887).

Tout ici est question d'espèce.

Certaines décisions font preuve d'un certain laxisme.

D'autres retiennent l'impropriété dans le cas où elle n'affectait que « pour partie » la destination de l'ouvrage (Civ. 3e, 8 oct. 1997, n° 95-20.903).

Même s’il s’agit d’une question relevant largement de l’appréciation des juges du fond, la Cour de cassation exerce un certain contrôle en cassant pour défaut de base légale les décisions qui lui paraissent manifestement mal rendues (Civ. 3e, 2 juin 2016, n°15-16.115).

III. La notion d’impropriété-dangerosité

L'impropriété-dangerosité concerne les hypothèses où l'ouvrage présente un risque de danger soit pour ceux qui l'habitent, soit pour les passants. Tel est le cas :

  • · de dénivellations du sol ou du carrelage susceptibles de provoquer des chutes ;
  • · d'une installation de gaz présentant un risque d'explosion (Civ. 3e, 10 mars 1981, Bull. civ. III, n° 49.) ;
  • · de panneaux ou revêtements de façade se décrochant ou se délitant (Civ. 3e, 12 janv. 2005, n° 03-16.813) ;
  • · d'une toiture dépourvue d'un dispositif de protection contre les chutes de glace ;
  • · du risque d'éboulement d'un talus sur une maison ;
  • · de l'accès dangereux pour les utilisateurs d'un parking ;
  • · de la non-conformité de l'immeuble aux règlements de sécurité (Civ. 3e, 30 juin 1998, n° 96-20.789) ; ou aux règles parasismiques, à la condition toutefois que ces règles soient en vigueur.

À ces hypothèses on peut assimiler le cas où un ouvrage cause des nuisances olfactives et auditives aux voisins et où des travaux de reprise sont nécessaires pour mettre fin à ces nuisances.