L'article L 228, I du  Livre des procédures fiscales rend obligatoire la dénonciation au procureur de la République des contrôles fiscaux ayant conduit à des rappels d'impôt supérieurs à un certain montant et assortis de majorations fiscales élevées. Pour la Cour de cassation, une déclaration rectificative rejetée n’empêche pas la dénonciation de l’infraction au Parquet (Cass. crim. 23-5-2024 n° 23-80.025 FS-B).

Aux termes de l’article L228 du Livre des procédures fiscales, l’administration fiscale est tenue de dénoncer au procureur de la République tous les faits qu’elle a examinés dans le cadre d’un contrôle fiscal et qui ont abouti à des rappels de droits de plus de 100 000 € ainsi qu’à l’application de pénalités fiscales égales à 100 % ou à 80 %, ou même à 40 % en cas de réitération.

Toutefois, une exception est prévue pour les contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative. En effet aux termes de son huitième alinéa, les dispositions ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.

Mais pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, cette exception doit être appréciée strictement et ne doit s’appliquer que si cette déclaration rectificative n’a pas été rejetée par l’administration fiscale. Ainsi, seule une déclaration non rejetée par l’administration fiscale peut faire exception à l’obligation de dénonciation des infractions fiscales. La Cour de cassation précise également que la validité du rejet de la déclaration rectificative relève du contrôle du seul juge de l’impôt, et ne peut être appréciée par le juge pénal.

Au cas particulier, des époux contribuables ont informé, le 23 février 2017, l'administration fiscale de leur intention de procéder à la régularisation fiscale d'avoirs détenus sur un compte suisse. Le 16 juillet 2017, ils ont adressé à l’administration fiscale une déclaration rectificative de leurs revenus pour l'année 2016, prenant en compte les revenus perçus sur ce compte, et le 2 août 2017, ils ont transmis à l’administration fiscale un dossier de régularisation fiscale concernant l'impôt sur les revenus des années 2014 et 2015 précisant que les avoirs détenus sur le compte correspondaient aux encaissements de sommes facturées au titre de prestations informatiques par une société américaine dont le contribuable est le gérant.

En janvier 2018, l'administration fiscale a avisé le contribuable qu'il faisait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2015 et 2016, et le 19 décembre 2018, elle lui a adressé deux propositions de rectifications relatives à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices non-commerciaux et à la TVA afférente, indiquant que la demande de régularisation déposée au service de traitement des déclarations rectificatives était irrecevable dans la mesure où les avoirs régularisés sont constitutifs d'une activité occulte et que, concernant les années 2011 à 2013 et 2016, aucune demande de régularisation n'avait été déposée.

En janvier 2020, l'administration fiscale a dénoncé au procureur de la République, sur le fondement de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales, les faits de fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt au titre de l'impôt sur le revenu, et par omission déclarative des bénéfices non commerciaux et de TVA pour les années 2011 à 2016, retenus à l'égard du contribuable et son épouse.

Le contribuable a donc été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur le revenu et de la TVA, mais le tribunal correctionnel a fait droit à l'exception de nullité qu’il a soulevée et a annulé la convocation en justice qui lui a été délivrée ainsi que la totalité de la procédure pénale, et a ordonné la restitution des biens et avoirs saisis.

Le procureur de la République et l'administration fiscale ont relevé appel du jugement. La Cour d’appel de Versailles,  dans un arrêt du 8 décembre 2022, rappelant que le dernier alinéa de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales exclut du dispositif de dénonciation obligatoire la situation du contribuable ayant déposé spontanément une déclaration rectificative, a confirmé le jugement et annulé la convocation par officier de police judiciaire du 9 février 2021 et tous les actes subséquents.

Le procureur de la République et l'administration fiscale se pourvoient alors, critiquant l'arrêt de la Cour d’appel en ce qu'il a déclaré non conforme à la loi la dénonciation de l'administration fiscale, annulé la convocation en justice du prévenu et ordonné la restitution des biens et avoirs saisis, alors que l'administration fiscale est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts en cas de découverte d'une activité occulte.

La Cour de cassation a saisi l’occasion pour juger que l'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement, de sorte qu’une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d'une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale qui remplissent les critères énoncés aux alinéas 1 à 6 de l'article L. 228, I, du livre des procédures fiscales. Pour la Cour de cassation, il convient d'interpréter l'alinéa 8 de l'article L. 228,  en ce sens qu'il n'exclut l'application des dispositions du I aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative que lorsque celle-ci n'a pas été rejetée par l'administration fiscale.

Si la Cour d’appel a constaté que la déclaration faite par les contribuables présentait un caractère spontané, elle ne pouvait juger pour ce motif la dénonciation obligatoire irrégulière et annuler les actes de la procédure subséquente, alors que l'administration fiscale avait, préalablement à la transmission de ladite dénonciation au procureur de la République, rejeté la déclaration rectificative dont le contribuable l'avait saisie.

La cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles est, par conséquent, encourue, et c’est en toute logique que la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 décembre 2022, et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

Cette position de la Cour de cassation qu’une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d'une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale est tout de même sévère ; le contribuable qui a pris l’initiative d’une déclaration rectificative spontanée ne pouvant pas savoir la suite que lui donnera l’administration fiscale. Or, l’initiative d’une déclaration rectificative spontanée peut aussi être prise dans le but de ne pas faire l’objet de dénonciation.

Il faut rappeler que jusqu'à l'intervention de la loi du 23 octobre 2018, l'administration fiscale disposait du monopole d'engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale. La mise en mouvement de l'action publique était donc subordonnée au dépôt d'une plainte par l'administration.

Depuis la loi du 23 octobre 2018, l'article L 228, I du LPF rend obligatoire la dénonciation au procureur de la République des contrôles fiscaux ayant conduit à des rappels d'impôt de plus de 100 000 € ainsi qu’à l’application de pénalités fiscales égales à 100 % ou à 80 %, ou même à 40 % en cas de réitération, étant entendu que sont pris en compte l'ensemble des droits rappelés dans le cadre d'une procédure de contrôle dont a fait l'objet un même contribuable, et qu’en cas de rappels d'impôt de nature différente issus d'un même contrôle, les droits rappelés pénalisés sont cumulés pour apprécier le seuil de 100 000 €. De même, lorsqu'une procédure de contrôle a donné lieu à l'application de majorations de nature différente, l'appréciation du seuil s'effectue toutes majorations cumulées.

Lorsqu’il est informé, c’est  le parquet qui apprécie les suites judiciaires à donner, en jugeant de l'opportunité d'engager des poursuites pénales, car si la loi impose que les fraudes fiscales les plus graves soient portées à la connaissance du procureur de la République, elle ne lui accorde pas pour autant le pouvoir de poursuivre d'office le délit de fraude fiscale, sauf en cas de délits connexes, conduisant le parquet à engager des poursuites, sans nouvelle dénonciation à l'égard de nouveaux faits de fraude fiscale découverts postérieurement qui concernent le même contribuable et portent sur d'autres impôts ou taxes ou sur une période différente.

En termes de peines encourues, les infractions sont punies d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 €, sachant que la loi prévoit aussi des circonstances aggravantes. Les peines sont ainsi portées à 3 000 000 € et sept ans d'emprisonnement lorsque la fraude a été commise en bande organisée ou réalisée au moyen de comptes à l'étranger, ou par l'interposition de personnes établies à l'étranger, ou encore par l'usage d'une fausse identité ou de faux documents ou toute autre falsification. Le juge peut également prendre en compte le montant du produit de l'infraction pour fixer l'amende à un montant supérieur à 500 000 ou 3 000 000 €.

Cass. crim. 23-5-2024 n° 23-80.025 FS-B.

Arnaud Soton

Avocat fiscaliste

Professeur de droit fiscal