Aux termes de a loi Pacte du 22 mai 2019, la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La loi impose ainsi à chaque société d’être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux. La société ne doit donc pas tenir compte que des considérations financières.
Mais pour l’administration fiscale, cette attention portée aux enjeux sociaux et environnementaux ne doit pas avoir d’incidence sur la théorie jurisprudentielle de l’acte anormal de gestion.
Ainsi, le fait pour une entreprise de choisir d’allouer une fraction de son bénéfice à des actions socialement ou écologiquement responsables ne justifie pas, en soi, que le montant des dépenses réalisées soit déduit du résultat imposable.
L’administration souligne que de telles dépenses peuvent être éligibles, sous réserve du respect des conditions prévues à l’article 238 bis du CGI, au régime du mécénat. De même, les dépenses engagées dans le cadre d’actions de solidarité, et pour lesquelles une contrepartie ou un intérêt commercial direct peut être identifié pour l’entreprise versante, peuvent faire l’objet d’une déduction du résultat imposable.
L’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui la prive d’une recette sans être justifié par les intérêts de l’exploitation. D'une manière générale, l'acte anormal de gestion est celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt (CE plén. 21-12-2018 n° 402006). C’est une construction jurisprudentielle qui déroge au principe de la liberté de gestion.
Ainsi, si en principe, le dirigeant d’une entreprise doit pouvoir juger de l’opportunité de sa gestion, sans que l’administration fiscale puisse critiquer son choix (par exemple décider de financer un investissement par l’emprunt plutôt que sur ses fonds propres), cela n’empêche pas l’administration fiscale de faire référence à la notion d’acte anormal de gestion et de procéder à la rectification de certaines opérations. C’est le cas par exemple des sommes facturées à l’entreprise pour des prestations fictives (CE 2 mars 1988 n° 45625), de prise en charge de frais incombant à des entreprises tierces sans aucune contrepartie (CE 18 novembre 1985 n° 51321), des dépenses dont le montant est excessif, ou encore, la cession d’un élément de l’actif à un prix minoré.
Ont été qualifiés d’actes anormaux de gestion, des travaux effectués par l’entreprise dans des locaux appartenant à son dirigeant, dès lors que ces travaux ne sont pas utiles ou affectés à l’exploitation (CE 24 juin 1987). Il y a acte anormal de gestion lorsque des rémunérations sont versées à un salarié attaché au service personnel du dirigeant de l’entreprise (CE 27 octobre 1986). Le fait de renoncer à obtenir une contrepartie lors de la signature d’une concession de licence de marque (CE 26 septembre 2011), ainsi que l’acquisition par une société d’un brevet, dont l’inventeur est son propre PDG, alors que la société n’est pas en position d’exploiter le brevet du fait de son objet social et de ses difficultés financières (CE 17 octobre 2003), constituent des actes anormaux de gestion. Un surprix payé sans justification à un fournisseur étranger constitue un a acte anormal de gestion (CE 25 mars 1983).
Il faut noter que lorsque l’administration invoque le caractère anormal d’un acte de gestion, c’est à elle d’apporter la preuve que cet acte n’a pas été accompli dans l’intérêt de l’entreprise.
Dans un arrêt du 4 juin 2019, le Conseil d’Etat a jugé que pour démontrer le caractère anormal d’une cession à prix minoré d’un élément de l’actif circulant, l’administration fiscale doit établir non seulement l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente, mais aussi, et surtout l’intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt. Cette décision rendue à propos de la cession d’un élément de l’actif circulant ne prend pas la même la position que celle adoptée par le Conseil d’Etat concernant la cession d’une immobilisation. Le Conseil d’Etat ne transpose donc pas la solution retenue en cas de cession d’une immobilisation.
Ainsi, s’agissant d’une cession d’un actif circulant, il appartient, en règle générale, à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
Or, dans sa décision Société Croë Suisse, (CE plén. 21-12-2018 no 402006), le Conseil d’Etat a jugé qu’en démontrant l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale d’un actif immobilisé et son prix de cession, l’administration établit le caractère anormal de la transaction de façon suffisante, et qu’il appartient ensuite à l’entreprise de renverser cette présomption en justifiant que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans son intérêt, soit que l’entreprise se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.
Cette position qui rend les choses plus simples pour l’administration fiscale, lorsque la cession porte sur une immobilisation, n’est donc pas retenue dans l’affaire dans laquelle la cession porte un élément de l’actif circulant.
Dans tous les cas, l’administration précise, dans une réponse ministérielle du 10/02/2022 (Rép. Bascher : Sén. 10/02/2022 n° 25359), que la nouvelle définition de l’intérêt social issue de la loi Pacte n’a pas d’incidence sur la définition, en droit fiscal, de l’acte anormal de gestion.
Rép. Bascher : Sén. 10/02/2022 n° 25359
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal
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