Dans son arrêt du 29 mai 2024, n°489337, le Conseil d’Etat a censuré l’ordonnance n°2308430 du 27 octobre 2023 rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, rejetant une demande de suspension d’une décision de préemption.

La haute juridiction administrative y rappelle que le nom du bénéficiaire d’une promesse de vente (ou le nom de l’acquéreur pressenti), n’a pas à figurer obligatoirement dans la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) transmise en mairie par le vendeur d’un bien soumis à droit de préemption.

 

1-

Il en résulte que le bénéficiaire d’une telle promesse de vente dispose d’un intérêt à contester une décision de préemption portant sur le bien objet de la promesse, même si son nom ne figure pas dans la DIA :

« l’acquéreur évincé a intérêt à contester une telle décision, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance qu’il ne soit pas celui dont le nom a été mentionné par la déclaration d’intention d’aliéner »

Par ailleurs, il convient de relever que l’intérêt à agir contre une décision de préemption ne se limite pas aux titulaires d’une promesse de vente, mais peut être reconnu à ceux qui bénéficient d’un « droit suffisamment certain et direct sur le bien préempté » (Conseil d’Etat, 1er juillet 2009, n°319238).

Disposent également d’un intérêt direct à agir, les signataires d’une promesse d’achat, même assortie d’une clause « stipulant que l’exercice du droit de préemption rendrait le contrat caduc » (Cour administrative d’Appel de Marseille, 23 novembre 2015, n°14MA00592).

Si l’intérêt pour agir à l’encontre d’une décision de préemption apparaît admis de façon assez large, relevons qu’en matière de référé, l’acquéreur évincé bénéficie même d’une présomption d’urgence pour demander la suspension de la décision de préemption, sauf à ce que le titulaire du droit de préemption « justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption » (Conseil d’Etat, 13 novembre 2002, n°248851). C’est ce que rappelle la haute juridiction administrative dans l’arrêt présentement commenté.

 

2-

Autre conséquence de l’absence d’obligation de mentionner le nom de l’acquéreur pressenti dans une DIA : si un vendeur conclut une promesse de vente avec un premier bénéficiaire, auquel se substitut un second bénéficiaire, mais que la promesse porte sur le même bien, au même prix et se trouve assortie des mêmes conditions, le vendeur n’a pas à renouveler sa déclaration d’intention d’aliéner.

En définitive, si les mentions obligatoires (fixées par les articles L.213-2 et R.213-5 du Code de l’urbanisme) restent inchangées, aucun renouvellement de DIA n’est imposé (Cour de cassation, 3e civ, 8 octobre 2008, n°07-15.935).

3-

La décision commentée comporte non seulement certains rappels en matière de contestation d’une décision de préemption par l’acquéreur évincé / le bénéficiaire d’une promesse de vente, mais vient également préciser, comme le souligne le rapporteur public dans cette affaire, que «  lorsque le titulaire du droit de préemption a demandé, avant l’expiration du délai légal de deux mois, à la fois la production de pièces complémentaires et une visite du bien, la suspension de ce délai induite par la première de ces demandes n’est pas levée par la seule visite de ce bien ou par la seule production de ces pièces mais lorsque ces deux demandes sont satisfaites ou, pour la visite, refusée » (conclusions de M. Thomas JANICOT, Rapporteur public, page 4), et ce, pour que l’autorité bénéficiaire du droit de préemption, dispose des éléments fondamentaux relatifs aux bien convoité.

 

4-

Enfin, le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 29 mai 2024, a considéré que le moyen tiré de l’absence de justification, à la date de la décision de préemption, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, était propre à créer un doute sur la légalité de la décision.

En effet, il est de jurisprudence constante, que le projet visé dans la décision de préemption doit être réel et antérieur à la décision de préemption (par exemple, Conseil d’Etat, 6 juin 2012, n°341534).

En application de ce principe, est insuffisant le fait, notamment, de faire état dans la décision de préemption « de la nécessité d'assurer la maîtrise du développement de cette partie de la commune […] d'encadrer l'accueil et l'extension des activités économiques (Cour Administrative d'Appel de Nantes, 2ème Chambre, 06/05/2008, 07NT02733).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a relevé que la décision de préemption attaquée se bornait à faire état de la situation « stratégique » de la propriété préemptée, à un carrefour nécessitant de « mener une réflexion pour un aménagement de qualité » et de l’intérêt pour la ville d’acquérir cette propriété, en se référant aux seules orientations du PADD.

  • Ainsi, la contestation d’une décision de préemption, notamment par le bénéficiaire d’une promesse de vente, même non mentionné dans une DIA, mais également par toute personne bénéficiant d’un droit suffisamment certain et direct sur le bien préempté, peut mener à la suspension -puis à l’annulation- de la décision de préemption devant le juge administratif, en particulier lorsque la réalité du projet justifiant cette préemption ne semble pas établie. 

 

Aurélia Michinot - Juriste

Ronan Blanquet - Avocat Associé

 

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