On peut se divertir de différentes façons. On peut pareillement se détendre de mille manières. 

La lecture de décisions est tellement riche en argumentation, en contradiction, qu'il est plaisant de s'y arrêter. 

En tant qu'avocat, on regarde ce que fait le confrère avec un certain scepticisme. Celui ci soulève tel et tel moyen, et on est sûr, que cela ne va pas marcher. L'échec est au bout de l'argumentation. Ou alors, on se dit zut, peut être qu'il va vers un échec, mais l'argumentation est intéressante. Intéressant ! Le scepticisme est de mise envers l'argumentation d'un confrère. 

La Cour de Cassation, par un arrêt en date du 18 décembre 2013, - FD 13 81 129 - a rejeté le pourvoi formé par Madame X  qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile du chef viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité, les faits présumés datant de 1977 et la plainte ayant été déposée, en 2011. Tout le monde aura noté que 32 années s'étaient déroulées entre la date des faits et la constitution de partie civile. 

L'avocat de la plaignante, sans doute, aucun, avait connaissance des règles de prescription et des différentes lois intervenues en matière de délinquance sexuelle, lois successives qui avaient pour but de permettre aux victimes mineurs de déposer plainte contre .. bien souvent, également, leur auteur. 

Le Juge d'Instruction avait rendu une ordonnance de refus d'informer pour cause d'extinction de l'action publique par la prescription. La Chambre de l'Instruction n'a pu que confirmer; 

Alors quelle a été la défense de cette Madame X ? Tout simplement, l'obstacle de fait, obstacle de fait qui interrompt la prescription ! C'est une notion qui existe : " l'obstacle insurmontable", c'était un moyen intelligent, intéressant. Pour tenter d'oublier le temps qui passe. Pour faire oublier ces 32 années d'absence de poursuites, de réaction de la plaignante.

Devant les juges, la plaignante avait produit un certificat émanant d'un médecin psychiatre qui indiquait " une amnésie lacunaire  fréqu  emement rencontrée dans les suitesde traumatisme infantile " . 

La Cour a, cependant, largement douté, que Madame X se serait trouvée pendant 32 années dans une situation de totale perte de conscience ! Totale perte de conscience de 1977 à 2011 !

La production d'un certificat médical émanant d'un médecin psychiatre n'a pas plus convaincu. Le pouvoir médical a ses limites. Etablir qu'une amnésie est totale relève plus de l'art de la divination que de l'art médical et comme les Juges excellent dans l'art de douter, le certificat médical ne pesait pas lourd.

S'agissant de la perte de mémoire, nos clients prévenus ne persuadent jamais le Juge qu'ils aient subi une perte de mémoire totale, avec ou sans certificat du Doc. Mais, là, c'était  une plaignante.

La justice a trop de mémoire pour croire en la perte fut elle totale de celle ci !

Argumentation intellectuellement intéressante, vouée à l'échec, mais interessante. Il fallait pouvoir se fonder sur une notion juridique peu usitée " l'obstacle insurmontable ", une sorte de force majeure qui interrompt la prescription. 

La difficulté est que la matière de la prescription n'est pas simple. Dans ces conditions, ce serait  des prescriptions à la carte. 

Mais, alors, la lecture des arrêts seraient bien plus intéressantes et pourraient mettre en valeur l'intelligence et l'imagination des avocats que nous sommes. 

Emmanuel GONZALEZ 

Barreau d'ORLEANS