Dans un arrêt discutable du 14/11/2025, le Conseil d’Etat juge que la circonstance que le rejet d’une réclamation présentée sur le fondement de l’article L. 190 du LPF soit formalisé dans une proposition de rectification ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que les délais de saisine du juge soient opposables au contribuable, dès lors que l’existence d’une décision expresse de rejet ressort sans ambiguïté de ce document (Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 14/11/2025, 498880).
Cette décision du Conseil d’Etat, sévère pour le contribuable, participe de la vision restrictive du juge administratif quant au délai de recours dont dispose le contribuable pour contester devant le juge, une décision administrative qui n’est pas assortie de la mention des voies et délais de recours.
Une demande de remboursement de crédit TVA rejetée dans une proposition de rectification.
Dans l’affaire commentée, à la suite d’une demande faite par une société à l'administration fiscale concernant le remboursement d'un crédit TVA dont elle s'estimait titulaire au titre du quatrième trimestre 2017, pour un montant de 69 263 euros, l’administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité portant sur la période de 18 novembre 2016 au 31 décembre 2017. A l'issue de cette vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause l'existence de ce crédit TVA, dans une proposition de rectification du 28 septembre 2018 ; le document étant expressément intitulé " proposition de rectification ".
Logiquement, la société n’a pas contesté la proposition de rectification devant le juge de l’impôt, mais elle a reporté le montant de ce même crédit sur les déclarations de TVA qu'elle a souscrites postérieurement et formulé une nouvelle demande de remboursement de crédit TVA le 21 janvier 2020, puis une autre le 21 janvier 2021.
Ces dernières demandes ont été rejetées par l’administration fiscale, en tant qu'elles portaient, selon l’administration, sur le crédit de 69 263 euros ayant précédemment fait l'objet d'une décision de rejet, et donc, dans la proposition de rectification.
C’est dans ces conditions que la société a saisi le tribunal administratif de Versailles pour lui demander de prononcer le remboursement du crédit TVA en question et dont elle s'estimait titulaire au titre du quatrième trimestre 2020. Le tribunal administratif a rejeté, par un jugement du 4 avril 2023, la demande comme étant introduite tardivement, car selon la tribunal, la décision de rejet de cette demande de remboursement de crédit, c’est la proposition de rectification du 28 septembre 2018, et la contestation de cette décision intervenait hors du délai de recours contentieux, qui est en principe de deux mois à compter de la notification de la décision lorsque celle-ci contient la mention des voix de recours, ou un an, en l’absence de cette mention, d’après la position déjà connue du Conseil d’Etat.
Estimant, à juste titre, qu'une proposition de rectification n'a en principe pas de caractère décisoire, de sorte qu'elle a pu être induite en erreur par l'absence de mention des voies et délais de recours, la société a fait appel du jugement devant la cour administrative d'appel de Versailles, qui par un arrêt du 17 septembre 2024, a rejeté l'appel formé par la société. Cette dernière se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, et le Conseil d’Etat rejette le pourvoi en jugeant que la circonstance que le rejet d’une réclamation présentée sur le fondement de l’article L. 190 du LPF soit formalisé dans une proposition de rectification ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que les délais de saisine du juge soient opposables au contribuable, dès lors que l’existence d’une décision expresse de rejet ressort sans ambiguïté de ce document. Cette position du Conseil d’Etat qui n’est pas surprenante, est très discutable.
Calcul des délais de recours contentieux
Aux termes du premier alinéa de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, l’action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation.
Aux termes de l’article R. 421-5 du code de justice administrative, les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. Ainsi, conformément à ces dispositions, lorsque la notification d’une décision administrative ne mentionne pas les délais et voies de recours, cette décision peut être contestée sans qu’aucun délai soit opposable au requérant.
Cependant, le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 13/07/2016, s’était écarté de cette règle en posant le principe selon lequel le recours doit être exercé dans un délai raisonnable, délai qui ne peut, en règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, excéder un an (CE ass. 13/07/2016 no 387763). Dans cette décision de 2016, rendue en matière de contentieux général, le Conseil d’Etat, indiquait déjà que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Le Conseil d’Etat en avait conclu que si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, et que sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.
Dans un autre arrêt du 31/03/2017, le Conseil d’Etat a étendu sa jurisprudence au contentieux fiscal, tant en matière d’assiette que de recouvrement (CE sect. 31/03/2017 no 389842). Il a donc saisi l’occasion pour étendre son principe de délai raisonnable de recours à la matière fiscale en jugeant que le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R 196-1 ou R 196-2 du LPF, prolongé d’un an ; que, dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l’année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l’existence de l’imposition ; que le contribuable peut justifier de circonstances particulières susceptibles de prolonger le délai de réclamation au-delà du supplément d’un an ; que le recours juridictionnel doit être exercé, comme la réclamation, dans un délai raisonnable.
Rappelons que prenant expressément le contre-pied de la jurisprudence du Conseil d’Etat, la Cour de cassation a jugé qu’en l’absence de notification des voies et délais de recours dans une décision administrative, celle-ci peut être contestée sans qu’aucun délai soit opposable au requérant ; ce dernier pouvant ainsi contester un titre exécutoire sans avoir à respecter un délai raisonnable institué par le Conseil d’Etat.
En effet, par une décision rendue en Assemblée plénière (Cour de cassation, Assemblée plénière, 8 mars 2024, Pourvoi n° 21-12.560), la Cour de cassation a refusé de transposer la règle prétorienne du délai raisonnable aux recours relevant de la juridiction judiciaire. Pour la Cour de cassation, en l’absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut ainsi saisir le juge judiciaire pour contester un titre exécutoire sans être tenu, ni par le délai de recours fixé par la loi, ni par le délai raisonnable défini par le Conseil d’Etat. La Cour de cassation précisait d’ailleurs dans cet arrêt que si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu'il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Nous faisions déjà remarquer qu’au moment où certaines décisions du Conseil d’Etat ont pour conséquences de réduire les droits et garanties du contribuable, cette décision de la Cour de cassation est une belle victoire pour le contribuable, car en matière de contentieux fiscal, et plus encore qu’en matière de contentieux général, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause, sans condition de délai, des situations consolidées par l’effet du temps, ne doit pas conduire le contribuable à supporter les conséquences des erreurs commises par l’administration fiscale.
Le délai de recours lorsqu'une demande est rejetée dans une proposition de rectification
En jugeant que la circonstance que le rejet d’une réclamation présentée sur le fondement de l’article L. 190 du LPF soit formalisé dans une proposition de rectification ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que les délais de saisine du juge soient opposables au contribuable, dès lors que l’existence d’une décision expresse de rejet ressort sans ambiguïté de ce document, le Conseil d’Etat considère qu’une proposition de rectification peut tenir lieu de décision de rejet, et qu’en l’absence de la mention des voies et délais de recours, le contribuable devrait saisir le juge dans un délai raisonnable d’un an. Certes, le Conseil d’Etat indique que l'existence d'une décision expresse de rejet ressort sans ambiguïté de la proposition de rectification, sauf que comme le soutient, à juste titre la société, une proposition de rectification n'a en principe pas de caractère décisoire, car comme l’indique son nom, il s’agit d’une proposition et non d’une décision.
À réception d’une proposition de rectification, le contribuable dispose d’un délai de 30 jours pour faire parvenir à l’administration son acceptation ou ses observations ; le délai pouvant être prorogé de 30 jours supplémentaires à la demande du contribuable, lorsque la procédure appliquée est contradictoire.
Avec cette position du Conseil d’Etat qui assimile la proposition de rectification à une décision de rejet, estimant que l'existence d'une décision expresse de rejet ressort sans ambiguïté de ce document, les contribuables et leur conseils doivent être attentifs quand aux délais de recours devant le juge de l’impôt, surtout en matière administrative. L’administration fiscale aurait dû, en plus de la proposition de rectification, prendre une décision de rejet spécifique à la demande de remboursement de crédit TVA, d’autant que dans une proposition de rectification issue d’une vérification de comptabilité portant sur une période de 18 novembre 2016 au 31 décembre 2017, peuvent figurer d’autres rectifications, en dehors du crédit TVA qui a fait l’objet de rejet.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal
Auteur du livre "Procédures Fiscales en France"

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