Après le revirement de jurisprudence concernant la notion du « nécessaire préjudice ». (Voir notre Article sur l’arrêt du 13 avril 2016 intitulé : « Retour pour le salarié à l'obligation de justifier de son préjudice »), la Cour de cassation procède, par un Arrêt du 1er juin 2016 n°14-19702, à un autre revirement en matière de responsabilité de l’Employeur en cas de harcèlement moral.

Mais est-ce un revirement « franc et massif » ?

Rien n’est moins sûr.

Ce qui est certain, c’est que la Cour de Cassation infléchit sa jurisprudence antérieure en matière de responsabilité de l’Employeur en cas de harcèlement moral entre collègues.

Jusqu’alors, l’Employeur encourait une responsabilité automatique fondée sur son obligation de sécurité de résultat.

La responsabilité de l’employeur était assimilable à une responsabilité sans faute ou à une responsabilité pour faute présumée (dont la présomption apparait irréfragable).

Ainsi, le simple constat de l’existence d’un Harcèlement suffisait à engager la responsabilité de l’Employeur même si ce dernier justifiait ne pas avoir été informé ou avoir mis en place des mesures de nature à faire cesser ledit harcèlement.

L’Arrêt de la Cour de cassation constitue un infléchissement de cette jurisprudence plutôt qu’un revirement.

L’infléchissement consiste à permettre à l’employeur d’échapper à sa responsabilité automatique.

La Cour de Cassation pose ainsi dans un attendu de principe que :

« (…) ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ; »

Ainsi, la Cour de Cassation admet qu’un Employeur puisse échapper à sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention et toutes les mesures de nature à faire cesser le harcèlement lorsqu’il en a eu connaissance.

La Cour de Cassation pose ici un principe qui est en rupture avec sa jurisprudence antérieure : c’est en cela que l’on pourrait qualifier cette position de revirement de jurisprudence.

Mais en pratique, ce principe est grandement tempéré par les exigences de la Cour de Cassation qui n’accepte d’exonérer la responsabilité de l’employeur que si :

  • D’un part, et à titre préventif, celui-ci a pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail,
  • D’autre part, celui-ci a pris les mesures de nature à faire cesser le harcèlement lorsqu’il en a eu connaissance.

C’est à ces deux conditions cumulatives que l’Employeur aura la chance de se voir exonérer de sa responsabilité, si tant est que les Juges estiment que les mesures prises sont suffisantes.

C’est pourquoi dans l’Arrêt du 1er juin 2016, la Cour de Cassation censure les Juges d’appel qui avaient « simplement » retenus que l’Employeur avait pris les mesures de nature à faire cesser le Harcèlement, sans constater si l’Employeur avait pris toutes les mesures de prévention.

« Qu’en statuant ainsi, sans qu’il résulte de ses constatations que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment, avait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

Ainsi, il ne suffit pas à l’Employeur de réagir lorsqu’il a connaissance du Harcèlement, il doit agir préventivement de manière à prévenir tout fait de Harcèlement.

La Cour de Cassation rappelle ici l’importance de mettre en œuvre des mesures de prévention telles que prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Article L4121-1 du code du travail :

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Article L4121-2 du code du travail :

L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

Il n’en demeure pas moins que même si la brèche est encore minime ; elle existe et autorise les Employeurs à s’exonérer de leur responsabilité.

                                                                              ***

Les Employeurs savent désormais ce qu’ils ont à mettre en œuvre pour éviter que leur responsabilité ne soit engagée.

Avant cette décision du 1er juin 2016, quoi qu’ils fassent, leur responsabilité était automatique.

Cette automaticité pouvait avoir un effet pervers, les Employeurs ne voyant pas l’intérêt d’engager des actions de prévention alors que leur responsabilité était engagée quelle que soit les mesures prises.

Désormais, ils ont un intérêt à mettre en œuvre les mesures des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail.