Depuis le passage de l'an 2000, les différents dispositifs enregistreurs, photos, vidéos ou sonores, sont toujours plus performants, plus accessibles et miniaturisés. Si bien que dans le contentieux judiciaire du travail, les salariés peuvent produire en justice des supports numériques et les enregistrements qu'ils contiennent pour défendre leur cause.

Poursuivant son important travail sur la recevabilité des preuves en matière civile, la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juillet 2024 (n° 23-14.900) se concentre sur la question de l’admissibilité des enregistrements clandestins réalisés par les salariés dans le cadre de contentieux prud’homaux, en particulier en matière de harcèlement moral. Il illustre un revirement important en matière de preuve et ses conséquences pour les employeurs.

 

L’arrêt précise que la déloyauté dans l’obtention d’un moyen de preuve, tel qu’un enregistrement clandestin, n’entraîne pas automatiquement son exclusion des débats. Le juge doit procéder à une évaluation proportionnée des droits en jeu, notamment en mettant en balance le droit à la preuve du salarié et le respect de la vie personnelle des autres salariés et des dirigeants de l'entreprise.

Pour être recevable, un enregistrement clandestin doit être "indispensable" pour l’exercice du droit à la preuve, et l’atteinte aux droits de l’employeur doit être strictement proportionnée au but poursuivi.

Les juridictions, et en premier lieu les Conseils de prud'hommes doivent donc se livrer à une analyse concrète du contenu et des conditions d'obtention de l'enregistrement obtenu sans autorisation.

 

Dans ce cas particulier, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de Montpellier d’avoir écarté l’enregistrement clandestin du salarié sans examiner s’il était indispensable à la preuve du harcèlement moral allégué. Le salarié invoquait des pressions pour accepter une rupture conventionnelle et soutenait que l’enregistrement de l’entretien avec l’employeur était le seul moyen de prouver ces agissements.

 

Cet arrêt :

 

  • Réaffirme et étend le droit à la preuve : Un salarié peut produire des éléments obtenus de manière déloyale, comme des enregistrements clandestins, dès lors que ceux-ci sont indispensables à la défense de ses droits, particulièrement en cas de harcèlement moral.

  • Contrôle la mise en balance des droits : Le juge doit procéder à une analyse fine entre le droit à la preuve du salarié et le respect des droits de l’employeur, notamment son droit à la vie personnelle. Il ne s’agit pas d’accepter de manière systématique les preuves illicites, mais de les évaluer au cas par cas.

  • Encadre de la preuve illicite avec critère supplémentaire et déterminant : la production de l'enregistrement obtenu clandestinement doit être indispensable à l'exercice du droit à la preuve. Ce critère pourrait dès lors être invoqué par les juges pour écarter l'enregistrement des débats, notamment lorsque le salarié dispose d'autres preuves plus classiques.

 

Un mouvement de fond de la Cour de cassation :

 

C'est depuis fin 2023 que la Cour de cassation admet que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments de preuve déloyalement obtenus, sous conditions de nécessité et de proportionnalité.

Quelques semaines seulement avant l'arrêt du 10 juillet, la Cour avait suivi le même raisonnement en matière de démonstration de la faute inexcusable d'un employeur.

(Cour de cassation, Chambre civile 2, 6 juin 2024, 22-11.736, Publié au bulletin)

Une salariée d'une société avait subi un accident du travail et faisait état de violences physiques et verbales. Elle avait produit en justice l'enregistrement d'une l'altercation avec le gérant de l'entreprise.

Usant de la même grille d'analyse, la Cour de cassation avait examiné le caractère indispensable du procédé (les certificats médicaux et le dépôt de plainte auraient été insuffisants à démontrer les violences, et les témoins présents n’avaient pu produire de témoignages, eu égard à leur lien de subordination vis-à-vis de l'employeur).

 

Un risque multiforme pour les employeurs :

 

  • Les salariés et leurs avocats sont encouragés à recourir plus fréquemment à des enregistrements clandestins pour prouver des faits de harcèlement ou de pressions. Les directions des ressources humaines et les managers devront nécessairement prendre des précautions et faire preuve de vigilance lors des entretiens formels (entretien préliminaire à une sanction disciplinaire, entretien professionnels, enquête interne) mais aussi informels (conversations téléphoniques, autour de la machine à café, sur les messageries privées).

  • Cette nouvelle donne peut favoriser un climat de méfiance dans les entreprises, où les employeurs se sentiront davantage surveillés et exposés à des procédures basées sur des preuves déloyales.

  • Rappelons que les employeurs sont eux étroitement encadrés dans la mise en place de dispositifs de surveillance des salariés, dont ceux-ci doivent avoir été préalablement informés.

  • De manière plus pragmatique, quand bien même une preuve devait être écartée dans une procédure prud'homale après un débat sur son caractère indispensable et proportionné, elle sera passée entre les mains des juges, et aura sans doute été vue ou écoutée...

     

Cet arrêt de cassation marque donc la confirmation d'un tournant en matière de recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale dans les litiges, ici sur dénonciation de faits de harcèlement moral. Il ouvre la voie à de nouvelles pratiques de collecte de preuves par enregistrement clandestin, ce qui constitue un enjeu de sécurité juridique important pour les employeurs.