http://roussel-avocat-victime.com/presomption-de-faute-perte-dossier-medical-victime/

 

Cass. 1ère Civ, 26 septembre 2018, n°17-20143 (publié au bulletin)

La question de l’accès au dossier médical du patient constitue un pan extrêmement important de la responsabilité médicale.

En effet, les éléments contenus dans le dossier du patient permettent de déterminer l’origine de son dommage corporel et de faire toute la lumière sur les éventuelles fautes médicales commises à son encontre.

L’accès au dossier médical est garanti par plusieurs textes législatifs et réglementaires, dont les articles L.1111-7 alinéa 1 et R.4127-45 du Code de la Santé Publique.

Si, en principe, il appartient au patient de rapporter la preuve des circonstances de la survenue de son dommage, quid lorsque l’établissement de santé invoque la perte du dossier ou refuse de communiquer certaines pièces médicales ?

Par cet arrêt, la Haute Juridiction est venue rappeler le régime de responsabilité des établissements de santé en cas de perte du dossier médical et préciser, en outre, l’étendue des préjudices indemnisables du patient.

 

  •  Les faits

A la suite d’un accouchement réalisé par un Gynécologue Obstétricien exerçant à titre libéral au sein d’une clinique privée, une patiente a présenté une lésion du périnée, entraînant des incontinences urinaires et anales.

Cette dernière a saisi une Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux (C.C.I.), qui a ordonné une expertise médicale.

Au cours de l’accédit, le Médecin- Expert a constaté la perte du dossier de l’accouchement et du séjour de la patiente au sein de l’établissement.

La C.C.I. a rendu un avis aux termes duquel elle a estimé que la réparation des préjudices incombait à l’établissement de santé et à son assureur. Cependant, l’assureur a refusé d’indemniser la victime et l’ONIAM, après s’être substitué à l’assureur, a indemnisé intégralement la patiente.

Subrogé dans les droits de la victime en vertu des dispositions de l’article L.1142-15 du Code de la Santé Publique, l’ONIAM a assigné l’établissement de santé et son assureur en remboursement des sommes versées.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence a condamné l’établissement de santé et son assureur à rembourser à l’ONIAM 75% des sommes versées à la patiente en raison de sa perte de chance d’obtenir la réparation de son dommage.

L’ONIAM, l’établissement de santé et son assureur se sont pourvus en cassation.

Le 26 septembre 2018, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu un arrêt aux termes duquel elle s’est prononcée à la fois sur le régime de responsabilité de l’établissement en cas de perte du dossier médical du patient et sur l’étendue des préjudices indemnisables.

 

  • Présomption de faute de l’établissement en cas de perte du dossier médical

La Cour de Cassation a rappelé le principe de la présomption de faute de l’établissement de santé en cas de perte du dossier médical du patient :

« Les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de perte d’un dossier médical dont la conservation leur incombe ; qu’une telle perte, qui caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement, place le patient ou ses ayants-droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge ; que dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés. »

En d’autres termes, il n’appartient pas au patient de rapporter la preuve de la faute médicale dont il a été victime, mais c’est à l’établissement de santé de prouver que les soins qui ont été prodigués ont été conformes aux règles de l’art.

A défaut de communiquer un dossier médical complet, l’établissement de santé est présumé avoir commis une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service, dont il ne pourra se défaire qu’en rapportant la preuve que le dommage n’est pas imputable à une faute du praticien (ex : un accident médical non fautif, échec thérapeutique).

Comme le rappelle très justement la Haute Juridiction, la conservation du dossier médical du patient incombe à l’établissement de santé.

Par conséquent, la perte du dossier médical constitue une faute, qualifiée de défaut d’organisation et de fonctionnement.

La seule cause d’exonération possible pour l’établissement de santé est de rapporter la preuve que le praticien n’a pas commis de faute dans les soins qui ont été délivrés au patient.

Cette solution peut sembler étonnante voire incohérente puisque cela revient à apprécier les actes réalisés par le praticien alors que l’absence du dossier médical prive justement le patient de cette possibilité.

 

  • Préjudices indemnisables

L’établissement de santé n’est pas condamné à réparer l’intégralité des préjudices subis par le patient, mais seulement à l’indemnisation d’une perte de chance de prouver que la faute médicale du praticien est à l’origine de l’entier dommage du patient.

En effet, la Cour de Cassation considère que la perte du dossier médical prive seulement le patient d’une chance de prouver l’existence d’une faute commise par le gynécologue lors de son accouchement :

« Lorsque l’établissement de santé n’a pas rapporté une telle preuve et que se trouve en cause un acte accompli par un praticien exerçant à titre libéral, la faute imputable à cet établissement fait perdre au patient la chance de prouver que la faute du praticien est à l’origine de l’entier dommage corporel subi. Que cette perte de chance est souverainement évaluée par les juges du fond. »

Cette position de la Cour Régulatrice est critiquable à plusieurs égards.

Premièrement, le patient n’a pas à pâtir de la perte de son dossier médical, ni à être tributaire du bon vouloir des établissements de santé dans la communication d’informations médicales le concernant.

En effet, il est aisé pour un établissement de santé de faire disparaître des éléments compromettants susceptibles d’engager sa responsabilité.

Or, l’absence de réparation intégrale des préjudices fait injustement peser sur la victime une partie du poids de la faute de l’établissement de santé dans la conservation de son dossier médical.

En outre, derrière le concept de l’indemnisation d’une perte de chance se cache nécessairement le spectre d’une évaluation arbitraire.

Comment déterminer si le patient a 20%, 30%, 80% de chance d’établir la faute du praticien grâce à son entier dossier médical ?

Quel critère retenir pour évaluer cette perte de chance ?

Là encore, il convient d’apprécier les actes réalisés par le praticien alors que justement, l’absence du dossier médical prive le patient de prouver que les actes médicaux n’ont pas été réalisés conformément aux règles de l’art.

Si on ne peut qu’approuver le raisonnement de la Cour de Cassation dans la consécration de la présomption de faute de l’établissement de santé en cas de perte du dossier médical du patient, il est en revanche regrettable que l’établissement ne soit pas condamné à réparer l’intégralité des préjudices de la victime.

En effet, il est important de protéger les patients contre les établissements de santé et les praticiens qui disposent d’un libre accès aux dossiers médicaux et qui pourraient aisément, pour échapper à l’engagement de leur responsabilité, prétexter la perte du dossier médical ou faire disparaitre des pièces médicales litigieuses.

 

Maître Aurore ROUSSEL

Avocat au Barreau de NANTES

http://roussel-avocat-victime.com/