Brèves réflexions sur les potentialités de la jurisprudence d’assemblée plénière du 6 Octobre 2006 en droit des sociétés.

 

Depuis l’arrêt d’assemblée plénière de 2006 on sait que : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

Il était permis de se demander à la faveur des caractéristiques du droit des sociétés qui organise un écran entre les personnes physiques et la personne morale douée d’une personnalité juridique nouvelle, si cette jurisprudence devait y déployer ses effets ?

C’est précisément à cette question que répond l’arrêt Com 14 novembre 2018 n°17-16.153

Le pourvoi entendait combattre l’extension de l’audacieuse jurisprudence d’assemblée plénière au droit des sociétés et rappelait l’existence de cet écran crée à dessein.

Pour éviter cette identité de la faute contractuelle et délictuelle au profit du tiers, l’exposant argumentait :

« que le seul manquement à une obligation contractuelle ne suffit pas à caractériser une faute délictuelle ; qu'en se bornant, pour établir que la société B a commis une faute délictuelle envers M. et Mme Z... A..., à relever que la société B a manqué aux obligations résultant du contrat coopération que la société B a conclu avec la société A le 6 décembre 2006 (inexécution de l'obligation de préférence et manquement à la loyauté contractuelle »

Le pourvoi se fondait alors sur la théorie classique de l’effet relatif du contrat qu’il entendait cantonner aux deux sociétés contractantes, qui ne pouvait selon celui-ci ni profiter à la personne physique investisseur ni à la salariée, victimes en quelque sorte médiates de déloyauté.

La Cour de cassation rejette sèchement l’argument et continue à amenuiser l’effet relatif du contrat y compris de société et réaffirme la doxa de 2006 :

« Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »

Par l’arrêt Com 14 novembre 2018 n°17-16.153, on a désormais la confirmation que cette jurisprudence d’assemblée plénière trouve son plein effet en droit des sociétés. Là où la jurisprudence ne distingue pas, il n’y aurait alors pas lieu de distinguer.

Ainsi, la faute d’un contractant envers la société permet également d’indemniser la personne physique qui a y injecté des fonds et sa salariée dès lors que l’un et l’autre peuvent démontrer un préjudice personnel distinct du préjudice social.

                                                                                *

En outre, l’associé d’une société victime d’une déloyauté d’une autre société contractante pourrait également utiliser ce manquement contractuel pour obtenir indemnisation hors du contrat dès lors qu’un préjudice personnel lui en est résulté.

Tel est en effet l’enseignement de l’arrêt Com 8 février 2011 n°09-17034 qui pose sans ambages, beaucoup plus clairement que l’inférence résultant de Com 21 octobre 2008, n°07-18487 :

« Attendu que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même »

                                                                             ***

Finalement, ces décisions donnent à voir que le droit commun des obligations n’a jamais cessé d’exercer son empire sur le droit des sociétés.

Une telle entreprise mérite d’être saluée.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037644693&fastReqId=1826316822&fastPos=1