De la rigueur de l’extradition entre la France et un pays non-membre de de l’U.E ou non lié par une convention de l’extradition. 2/2

L’exemple du droit commun de l’extradition sous l’empire des articles 696-4 et 696-15 du Code de procédure pénale, le cas d’une extradition franco-chilienne.

 

Observations sous Cour de cassation, chambre criminelle du 7 août 2019 (18-86297).

3ère branche du moyen

 

 

  • Les faits

 

Un mandat d’arrêt international fut émis par les autorités chiliennes en raison d’un meurtre commis sur dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions (carabinier).

Après que la France eut localisé l’intéressé sur son territoire, le chili émit une demande d’extradition en exécution d’une décision chilienne.

Comparant devant le Parquet général de la Cour d’appel de Colmar, le suspect fit connaître son opposition à l’extradition. La chambre de l’instruction rendit alors un avis favorable.

 

Conformément à l’article 695-15 al 5 du Code de procédure pénale « le pourvoi formé contre un avis de la chambre de l'instruction ne peut être fondé que sur des vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale. »

 

C’est en conséquence, les conditions essentielles de l’existence légales de l’arrêt de la chambre de l’instruction que le pourvoi entendait attaquer. La critique était double. Elle est ici analysée sur la 3ème branche du moyen.

 

  • Le moyen pris en sa 3ème branche : absence de vérification suffisante du respect des garanties fondamentales dans l’État requérant.

 

L’argumentation sous-tendue par le moyen pouvait se résumer ainsi : la chambre de l’instruction n’avait pas correctement justifié l’absence de risques de traitements inhumains ou dégradants.

 

Était alors en question le niveau de contrôle idoine à opérer par la chambre de l’instruction avant de rendre un avis favorable à l’extradition.

 

L’exposant pointait dans son mémoire ampliatif des risques de mauvais traitement dans les prisons chiliennes. Au soutien, il produisait le rapport 2017 du Département d’État américain (Bureau of democracy), le rapport 2017 de l’association Human Rights Watch ainsi que des articles de presse récents relatant de mauvais traitements dans les prisons chiliennes.

 

Il faisait remarquer que, suspecté de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique, un tel risque était renforcé à son encontre.

 

La Cour de cassation rejette le pourvoi en approuvant la motivation de chambre de l’instruction, laquelle avait relevé que « selon l’autorité requérante, la compétence des juridictions militaires a été transférée en 2011 aux tribunaux ordinaires, de sorte que M. X... sera jugé par la justice pénale ordinaire et pourra à ce titre, bénéficier de toutes les garanties du procès équitable, qu’il disposera du droit à l’assistance d’un avocat défenseur, à toutes les étapes du procès, à l’indépendance et l’impartialité du tribunal chargé de juger le prévenu, ainsi que le droit d’exercer les voies de recours contre le jugement qui éventuellement pourrait être prononcé à son encontre ; 

 

Et la Cour régulatrice de conclure :

 

« Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations, la chambre de l’instruction ayant elle-même recherché si la personne réclamée bénéficiera des garanties fondamentales relatives à sa sécurité, à la procédure et à la protection des droits de la défense, l’arrêt satisfait, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ; »

 

Il est alors permis d’observer que la chambre criminelle se contente d’exiger une motivation formelle, tenant dans l’ensemble de garanties procédurales inhérentes au procès. Elle refuse de casser l’arrêt déféré alors que celui-ci ne s’était pas prononcé réellement sur les conditions de détentions au chili au regard des rapports et articles de presse produits par l’exposant.

 

Tel est le standard de contrôle en droit commun de l’extradition sous l’empire de l’article 696-4 al 7 du Code de procédure pénale.

 

Ainsi, d’aucuns pointeront le contraste avec le standard de protection imposé par la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) relativement à la question voisine du mandat d’arrêt européen.

 

En effet dans l’affaire Aranyosi Cāldāru du 5 avril 2016 la Cour de justice de l’union européenne a jugé que : « les articles 1er, paragraphe 3, 5 et 6, paragraphe 1, de la décision-cadre doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés témoignant de l’existence de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention en ce qui concerne les conditions de détention dans l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier, de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée par un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales ou de l’exécution d’une peine privative de liberté courra, en raison des conditions de sa détention dans cet État membre, un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, en cas de remise audit État membre »

 

Trois (3) ans plus tard, dans un arrêt OG PI, du 27 Mai 2019, la même Cour, refuse la transmission d’un suspect d’Irlande en Allemagne au motif que l’autorité d’émission du mandat d’arrêt européen, le Parquet de Lubeck en Allemagne, ne présente pas des garanties suffisantes d’indépendance. Celle-ci énonce au §88 : «  Il résulte de ce qui précède que, dans la mesure où les parquets en cause au principal sont exposés au risque d’être influencés par le pouvoir exécutif dans leur décision d’émettre un mandat d’arrêt européen, ces parquets ne paraissent pas répondre à l’une des exigences requises pour pouvoir être qualifiés d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, à savoir celle de présenter la garantie d’agir de manière indépendante dans le cadre de l’émission d’un tel mandat d’arrêt.

 

  • Analyse

 

Le 1er arrêt de la CJUE exige de l’État requis qu’il contrôle de manière concrète et précise « un risque réel de traitement inhumain ou dégradant ».

Le 2nd affirme que le Parquet allemand de Lubeck, qui peut être influencé par le pouvoir exécutif (car ne présentant pas toutes les garanties d’indépendance), ne peut être qualifié d’autorité judiciaire d’émission de sorte que l’Irlande est fondée à ne pas déférer au mandat d’arrêt européen émis par l’Allemagne.

 

Le cadre procédural (décisions cadre de 2002 et jurisprudence de la CJUE concernant le mandant d’arrêt européen) n’est évidemment pas le même que le droit commun de l’extradition dans le code de procédure pénale. Il n’en reste pas moins que cette différence de niveaux de protection laisse perplexe.

 

Ici, elle se veut concrète, car la CJUE impose de vérifier les doutes nés de rapports internationaux relativement aux conditions de détention, prenant en comptes la théorie de l’apparence d’indépendance) pour le mandat d’arrêt européen.

 

Là, en revanche, elle se fait formelle, se cantonnant à lister les conditions nécessaires à la tenue d’un procès équitable au Chili, sans imposer des juges du fond qu’ils vérifient concrètement les conditions de détention du suspect dans l’État requérant.

 

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Gageons que le « dialogue des juges » permettra, à terme, d’harmoniser ces niveaux de contrôle actuellement largement dissonants.

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/1566_7_43375.html