De l’importance de la mesure et de la définition préalable d’une stratégie dans les procès de diffamation. 

Observations sous Cour de cassation, chambre criminelle du 26 novembre 2019 (19-80.360). 

LOI DU 29 JUILLET 1881 / PRESSE / DELIT / DIFFAMATION / DEFENSE / FAIT JUSTIFICATIF/ BONNE FOI / AGRESSION SEXUELLE / HARCELEMENT SEXUEL 

                                                                                        https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/2357_26_43959.html*

Quid ?

Un salarié d’une association destinée à promouvoir l’enseignement confessionnel avait adressé un e-mail mettant en cause le vice-président de celle-ci tant au directeur général, directeur spirituel de celle-ci, le fils du pris à parti que son mari. Dans cet e-mail adressé à ces 4 personnes, la salariée de l’association accusait le vice-président d’agression sexuelle, d’harcèlement sexuel et moral. 

Après que le mis en cause fut informé de cette accusation électronique, il répliqua en faisant citer la rédactrice de l’e-mail devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un particulier. 

Les juges du 1erdegré entrèrent en voie de condamnation. L’arrêt d’appel confirma le jugement. Pourvoi en cassation fut formé selon 3 moyens. 

Quels moyens ?

Les 1er et 2ème moyens

Ceux-ci n’appellent pas d’observation particulière en ce qu’ils se bornaient à contester la précision de la citation introductive conformément à la procédure particulière en matière d’infraction de presse. 

Le seul enseignement à en tirer est qu’une erreur de date dans le dispositif de la citation n’est pas de nature à entrainer la nullité de celle-ci dès lors qu’au vu de l’ensemble de la citation, il n’existe aucune incertitude sur les faits. Ainsi la chambre criminelle de la Cour de cassation réduit l’erreur de date quant aux faits incriminés à une simple erreur matérielle. 

D’un intérêt plus prononcé est le 3 ème moyen en ce qu’il interrogeait le droit substantiel. 

Le 3 ème moyen

L’exposant revendiquait la protection de la cause objective d’irresponsabilité pénale prise de l’article 122-4 du Code pénal aux termes duquel : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives et pénales ». 

Se fondant sur celui-ci, l’exposante reprochait aux juges du second degré une inversion de la charge de la preuve dès lors que l’exposante tombait sous la protection de l’article 122-4 du Code pénal : 

 

« qu’en imposant à Mme X…, qui avait dénoncé, dans le courriel du 7 juin 2016 adressé tant à son employeur (en l’occurrence au directeur général de l’association et à des cadres de celle-ci) qu’à l’inspecteur du travail, un harcèlement sexuel et moral et une agression sexuelle commis par M. Y…, de rapporter la preuve de la réalité de ces faits pour établir sa bonne foi, quand il incombait, au contraire, à la partie poursuivante de démontrer la connaissance par Mme X… de la fausseté de ces faits au moment de la dénonciation, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, s’est prononcée par une motivation impropre à exclure la bonne foi de la prévenue faisant obstacle à la déclaration de culpabilité »

 

Quelle solution ?

La Cour régulatrice opère ici une appréciation stricte de la protection offerte par l’article 122-4 du Code pénal (C.Pen). Elle rappelle qu’ au regard de la qualité de salariée de la dénonciatrice, celle-ci ne pouvait revendiquer la protection du fait justificatif de 122-4 (C.Pen) que si celle-ci avait été effectué conformément aux articles spéciaux désignant spécifiquement les personnes auxquels la dénonciation de tels accusations devait être effectuée conformément aux lois applicables à la salariée (1152-2 ; 1153-3 & 4131-1 du Code du travail). 

Dit autrement, la dénonciatrice aurait pu bénéficier de cette protection de la cause d’irresponsabilité pénale ménagée par 122-4 (C.Pen) que si elle s’était cantonnée à écrire à l’inspecteur du travail et son employeur.

Ainsi, si elle avait fait preuve de plus de modération, la protection de cette loi lex specialis lui aurait permis de transférer la charge de la preuve sur la partie poursuivante qui eût été alors contrainte d’établir la connaissance de la fausseté de l’accusation. 

Or on connait l’importance de la charge de la preuve dans ces affaires pénales ; bien souvent celle-ci conditionne la victoire ou la défaite lors du procès. 

La Cour de cassation fournit une précision louable dans l’articulation de la protection de 122-4 du Code pénal et partant de la charge de la preuve : 

« Toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail ». 

Quel apport ?

Il y a ici une tension bien connue entre la dénonciation de faits potentiellement infractionnels et la protection de la réputation des droits d’autrui. À ce stade, précisément, la vérité judiciaire n’est pas connue. Le procès est là pour y parvenir. Seulement, le gain ou la perte du procès en ces occurrences dépend de la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve. Ainsi, le seul moyen pour les victimes de relater ces faits est de ne dénoncer ceux-ci qu’aux personnes habilitées par la loi à en prendre connaissance, ici l’employeur et l’inspecteur du travail. 

De fait, tout e-mail largement diffusé est alors à proscrire. Si celui-ci peut légitimement permettre à la victime de se délester d’un poids par une diffusion massive d’une telle accusation, cette démarche saborde pourtant les chances de succès en matière judicaire. 

La mesure, dans un premier temps, est le meilleur moyen de conserver la protection de l’article 122-4 du Code pénal ; d’imposer une preuve très difficile à la partie poursuivante en diffamation ; par voie de conséquence de maximiser les chances de gains du procès. 

Ainsi, est-il recommandé, avant d’envoyer une dénonciation d’agression sexuelle, d’harcèlement sexuel ou moral de bien réfléchir aux destinataires de l’e-mail. Cela, bien souvent, passe par la consultation d’un professionnel du droit et permet ainsi de préserver l’avenir et de maximiser les changes de gain au procès. 

Dans un second temps ensuite, le jugement rendu en audience publique est la meilleure forme des justices à rendre aux victimes. 

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