Brèves réflexions sur une issue possible de l’élection présidentielle américaine de 2020 devant le juge.

Christophe D. Fabre, 

Avocat à la Cour d’appel de Paris, Lecturer à Sciences Po Paris

L’heure est indécise. 

Comme il y a vingt ans, l’issue de l’élection présidentielle américaine est très serrée. 

Comme, il y a 20 ans par l’arrêt Bush v. Gore de la Cour suprême fédérale, elle sera possiblement arbitrée par le juge. 

Aussi, sans pouvoir préjuger de l’issue de cette élection, les deux arrêts les plus récents de la Cour suprême fédérale sont riches d’enseignements. Il convient de les examiner tour à tour. 

Le premier est intervenu le 26 octobre à une majorité de 5-3. 

Le second par un vote 4-4, refusant la demande présentée mais ne fermant en aucun cas le prétoire du juge suprême pour l’avenir.

  • Le 1er Enseignement : L’arrêt Democratic national Committee v. Wisconsin state legislature

L’enjeu. Il est classiquement enseigné qu’à la faveur d’un double mouvement, - les démocrates groupés dans des zones urbaines et plus enclins à voter par correspondance - le comptage des votes après le jour de l’élection est souvent favorable aux démocrates.

En conséquence, cet arrêt favorise les républicains en ce qu’elle refuse de compter les bulletins arrivés par la poste après le 3 novembre 2020, même si le cachet de la poste prouve l’antériorité de l’envoi ou porte la date du jour électoral. 

Il convient de rappeler que trente États fédérés - qui organisent eux-mêmes le règles du jeu électoral sous condition de conformité avec le droit fédéral - ont une règle selon laquelle les votes par correspondance doivent être arrivés le jour de l’élection. Une décision dans un État fédéré par des juges fédéraux tient compte d’implications possibles dans d’autres états fédérés sans pour autant constituer le cœur du raisonnement juridique. 

La procédure, la problématique juridique et la solution inachevée

En raison de la pandémie, un juge fédéral avait jugé que la loi du Wisconsin, qui oblige le vote par correspondance soit reçu avant ou le jour du 3 novembre, était inconstitutionnelle. 

Le juge fédéral avait permis le décompte des votes reçus jusqu’au 9 novembre si cachet de la poste était daté du 3 novembre 2020 ou antérieur. 

La Cour d’appel fédérale décide le contraire du premier juge. La question est transmise à la Cour suprême par le comité national du parti démocrate qui a intérêt à ce que les votes puissent être comptés au- delà du 3 novembre. 

Ainsi la Cour suprême doit déterminer la validité des votes reçus après le jour de l’élection.

Celle-ci, dans une décision à la majorité 5-3 -en l’absence du Juge Barrett- raisonne schématiquement en 3 points énoncés par le juge Kavanaugh. 

D’abord, la Cour estime qu’il implique contradiction avec de nombreux précédents de changer les règles du jeu si proche de l’élection, fût-ce en période de pandemie. 

Ensuite, elle explique que le juge fédéral de premier degré a dénaturé l’autorité reconnue au pouvoir législatif de l’État du Wisconsin. Il est rappelé que, même en période de pandémie, il appartient aux représentants élus, le corps législatif de l’État fédéré, et non au juge de prendre les décisions touchant à la santé et sécurité du peuple. C’est d’ailleurs le texte fédéral suprême de 1787 qui organise cette répartition des pouvoirs. En effet, l’article I section 4 confie aux Parlements des Etats le pouvoir de définir les règles du jeu électoral dans chacun des États fédérés. 

Enfin, la Cour suprême juge que le caractère raisonnable des limites temporelles fixées par les États fédérés n’est traditionnellement pas une question de droit fédéral (Anderson v. Celebrezze, 460 U.S 780 (1983) et Burdick v. Takushi, 504 U.S. 428 (1992)

Nonobstant cette solution favorable au parti Républicain, le Wisconsin a basculé du coté démocrate.

  • Le second enseignement : L’arrêt Republican party of Pennsylvania v. Boockwar, secretary of Pennsylvania.

Le cadre pertinent.  Il convient de rappeler que la Constitution américaine donne compétence aux parlements des États de définir les règles du jeu électorales selon l’article I section 4 clause 1). 

L’article II section 1 cl 2 fixe le mode de calcul nombre d’électeurs pour chaque État fédéré. 

C’est ainsi que sont attribués les électeurs par État et notamment ceux des États pivots : Pennsylvanie (20), le Michigan (16), le Wisconsin (10) et l’Arizona (11) sont décisifs pour cette élection de 2020. 

La procédure, la problématique juridique et la solution inachevée

Par la loi fédérale n°77, le parlement de Pennsylvanie avait décidé qu’un vote par correspondance était en effet possible mais que les bulletins devaient être reçus avant 8 heures le jour de l’élection. 

Ensuite la Cour suprême de Pennsylvanie (État fédéré) entreprît un léger changement.  

Elle décida de la validité des bulletins reçus jusqu’à 3 jours après le jour de l’élection en raison de la pandémie et en interprétant la Constitution de l’État de Pennsylvanie comme reconnaissant un droit de vote égal pour tous. 

En réaction, le parti Républicain de Pennsylvanie transmît la question à la Cour suprême fédérale elle-même. 

Quelle était leur argumentation juridique ?

Les républicains arguaient de la violation par la Cour suprême de Pennsylvanie d’une loi fédérale selon laquelle une date unique pour les élections fédérales doit être instituée. 

C’est par conséquent cette question que devait trancher la Cour suprême.

Si celle-ci ne fit pas droit à l’argumentation, elle ne préjugea pourtant pas de la solution sur le fond, elle reconnut simplement qu’elle n’avait pas assez de temps pour décider. 

Toutefois, elle recommanda d’accepter que l’on distingue les votes en présence des votes reçus par correspondance dans ces conditions dans l’hypothèse d’une contestation.  

Elle ne ferma donc pas la porte à toute contestation et indiqua que rien n’interdisait aux plaignants de saisir à nouveau la plus haute juridiction du pays. 

L’absence de la nouvelle juge à la Cour suprême dans cette décision et la question de sa possible implication dans les arrêts à intervenir.

Il convient par ailleurs de noter que la nouvelle juge Barrett, investie officiellement la veille n’avait pas pris part à une telle décision. Arithmétiquement, son vote, dans une affaire ultérieure, briserait donc le vote à 4-4 intervenu dans cette occurrence. 

Toutefois, même si la juge Barrett n’a pas pris l’engagement devant le Sénat de se récuser pour tout délibéré qui concernerait l’issue de l’élection, il n’est pas sûr qu’elle participera. En effet, le droit américain connaît une doctrine équivalente de l’impartialité objective en droit européen : celle de « appearance of Impropriety ». 

Telle doctrine pourrait conduire la juge Barrett à se récuser car il est constant qu’elle fut nommée et confirmée alors que l’élection présidentielle avait déjà commencée par correspondance.  En effet, des dizaines de millions d’américains avaient déjà voté avant sa confirmation 52-48 par le Sénat.  

A n’en pas douter, c’est la réputation et la confiance qu’inspirera cette juge à l’avenir qui se joue déjà ici. La confirmation difficile dont elle fit l’objet l’incitera-t-elle à faire sienne cette doctrine bien connue du droit américain ? 

Cela paraîtrait souhaitable afin de préserver l’autorité de la Cour suprême dans les années à venir. 

                                                                                   * 

Les enjeux nationaux, internationaux sont immenses.  

C’est en effet la direction que prendra la présidence de la première puissance mondiale qui est en jeu. 

Au commencement même, l’office du Président des États-Unis fut conçu afin d’assurer stabilité, direction et puissance à son titulaire. 

Il convient de citer Alexander Hamilton dans les federalist paper n°70: “Prenons pour acquis que les hommes censés s’accorderont sur la néessité d’un pouvoir exécutif énergique ». 

Il se pourrait bien que cette élection historique, fruit d’une participation sans précédent avec 150 millions de vote, dont l’enjeu est capital, soit arbitrée par l’autorité judiciaire.  

Restons vigilants. 

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