Le contexte des #JO2024 organisés à PARIS est le moment d’une réflexion sur le principe souvent scandé de l’acceptation des risques dans le cadre du sport. D’aucuns entendent ainsi poser que le sportif blessé dans le cadre de sa pratique ne pourrait pas être indemnisé de son préjudice corporel, ayant accepté les risques de cette pratique. Ce peut-être un raccourci choisi par le régleur, ce n’est ni l’état exact du droit ni celui de la jurisprudence.
Plusieurs points d’attention orientent les solutions juridiques. Il est nécessaire de répondre à certaines questions pour finalement conclure à une possibilité d’indemnisation ainsi qu’à son fondement légal :
- S’agit-il d’une responsabilité d’un sportif envers un autre ?
- S’agit-il d’une responsabilité d’un sportif à l’égard d’un tiers ?
- S’agit-il de la responsabilité d’un organisateur ou d’un dirigeant ?
- La pratique est-elle compétitive ?
- Une chose intervient-elle dans la naissance du dommage ?
Plusieurs fondements légaux ont pu être utilisés par les sportifs victimes pour que leur droit à indemnisation soit reconnu : articles 1240 et 1241 du code civil (responsabilité pour faute), loi de 1985 sur les accidents de la circulation, 1242 (responsabilité du fait des choses), 1231-1 du même code (responsabilité contractuelle).
Les nouvelles pratiques sportives et compétitives sont croissantes et introduisent avec elles les contentieux. Aux #JO2024 de nouveaux sports sont au programme : le breaking, l’escalade, le skateboard et le surf. Ce sera peut-être l’occasion de nouvelles jurisprudences.
Classiquement, dans notre activité d’avocats de victime, nous devons démontrer :
- Une faute,
- Un dommage,
- Un lien de causalité entre le dommage et la faute.
Ce ne sont pas les seules conditions à réunir lorsque qu’une victime dans le cadre d’une compétition sportive entend engager la responsabilité personnelle du sportif à l’origine de son dommage. En effet, la théorie de l’acceptation des risques impose alors de démontrer une faute caractérisée de l’auteur du dommage.
La victime devient ainsi sujet d’étude : a-t-elle accepté le risque encouru ? A-t-elle accepté le risque réalisé ? En effet, la pratique sportive s’exerce dans le cadre des règles du jeu que les participants s’engagent à respecter. Ce sont ces règles qui permettent à tous d’accepter les risques encourus.
La bascule se fait, entre un risque encouru et le risque anormal réalisé. La victime peut avoir accepté le risque encouru, pas le risque réalisé.
Avant 2010, pour tous les sports, il était donc primordial pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices corporels subis dans le cadre de la compétition sportive, de démontrer cette faute caractérisée permettant d’échapper à l’application de la théorie de l’acceptation des risques.
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010 a marqué un tournant dans les contentieux ouverts en matière de dommage né dans le cadre de la pratique sportive (Cass, 2è civ., 4 nov. 2010, n°09-65947), lorsqu’une chose intervient (véhicule, javelot…). Cet arrêt, très commenté, ouvre la voie d’une responsabilité fondée sur le fait des choses, permettant ainsi d’échapper à l’application de la théorie d’acceptation des risques. Cet arrêt n’a toutefois pas marqué l’abandon de la théorie.
En effet, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel, le risque connu et encouru à l’origine du dommage n’est pas indemnisé. Le risque anormal réalisé peut l’être.
1. L’acceptation du risque encouru
Le risque encouru est celui qui naît avec le respect total des règles du jeu, des conditions de sécurité utiles à la pratique du sport en question. Aucune faute ne peut être accueillie si les règles du jeu ont été respectées ainsi que les règles de sécurité de l’organisation sportive.
Le sportif accepte ce risque encouru dans ce strict cadre.
Ainsi, le dommage survenu alors que les règles du jeu et de sécurité ont été respectées ne sera pas indemnisé. Le risque normal encouru et réalisé, c’est-à-dire celui qui était prévisible et que la victime a pris en toute connaissance de cause malgré la violation des règles du jeu, ne permettra pas non plus d’indemnisation.
Il faut en retenir que dans la relation entre sportifs lors d’une compétition, la responsabilité sera engagée si une faute caractérisée du joueur est la cause du dommage (faute volontaire ou ayant exposé les participants à des risques graves).
A titre d’exemple, la Cour d’Appel d’Aix en Provence, dans un arrêt du 28 mars 2024 (CA Aix-en-Provence, chambre 1-6, 28 mars 2024, n°22/11908), déboutait la victime de l’ensemble de ses demandes (le demandeur avait été blessé lors d’un roulage sur circuit moto, victime d’une chute après avoir été dépassé par la droite) reprenant plusieurs points importants :
- Les participants s’affranchissent volontairement des dispositions du code de la route
- Le comportement est fautif que s’il constitue une violation des règles du sport pratiqué
- L’attitude du sportif mis en cause n’est pas constitutive d’une faute caractérisée qui n’existerait que s’il avait été maladroit, inattentif ou négligent et aucun contact n’est intervenu entre les deux motos
- La victime a freiné après le dépassement subi avec son frein avant (mauvais choix) et roulait à une vitesse inférieure au minimum requis
En l’espèce, les demandes étaient fondées sur l’article 1240 du Code civil, soit la faute. Cet arrêt est une illustration récente des difficultés rencontrées par les victimes d’un dommage corporel dans la pratique de la compétition sportive, à savoir la démonstration de la faute caractérisée.
Sensibilité personnelle oblige, nous évoquons par ailleurs deux arrêts rendus dans le cadre de la pratique du tennis. Lors d’un match en double, le serveur engage la balle dans le mauvais carré de service, balle qui blesse l’adversaire. L’acte a été reconnu comme étant une maladresse et non une faute engageant la responsabilité du joueur qui servait.
A contrario, celui qui engage la balle alors que les joueurs n’ont pas regagné leur place commet une faute caractérisée. Les dommages de la victime, autre joueur, vont être indemnisés. La théorie de l’acceptation des risques ne peut pas s’appliquer. Le joueur qui reçoit la balle alors qu’il n’est pas placé et se rend sur son emplacement pour la recevoir (et donc de dos) n’a pas accepté un tel risque.
La jurisprudence s’attèle donc à analyser l’attitude du sportif auteur et à rechercher si son action était volontaire et emprunte de brutalité.
La violation des règles du jeu n’entraîne pas de facto la caractérisation d’une faute civile.
L’acceptation des risques n’est donc pas cantonnée aux règles du jeu. La frontière est mal définie. Il s’agit d’une analyse subjective au gré des preuves qui peuvent être rapportées pour établir la réalisation d’un risque anormal.
2. La possible indemnisation du risque anormal réalisé
L’indemnisation des victimes dans un cadre sportif en compétition est un jeu d’équilibriste.
Ce ne sont pas seulement les règles du jeu qui fixent la limite entre l’absence et la reconnaissance de faute, ainsi l’acceptation ou non des risques. En effet, c’est davantage l’acceptation des risques normaux, notion plus volatile que celle des règles du jeu, qui est étudiée.
Dans le cadre d’un dossier suivi au cabinet pour une victime d’un dommage survenu lors d’une compétition de Horse-ball, il a fallu faire juger la faute par la fédération pour que l’assurance du sportif responsable accepte de couvrir le dommage. L’assurance avait bien évidemment en première intention invoqué l’acceptation des risques pour ne pas indemniser la victime. Après une procédure amiable au cours de laquelle l’assurance du responsable ne contestait plus son obligation, le tribunal de PARIS est resté très bref et jugeait « il n’est pas contesté que Monsieur X ait eu un geste contraire aux règles du jeu de horse-ball qui ont eu de graves conséquences médicales ».
Pratiquement et en anticipant l’entièreté de la gestion du dossier, d’autres difficultés que la démontration de la faute caractérisée peuvent intervenir pour que l’objectif de l’indemnisation aboutisse.
En effet, la faute du sportif qui facilite la reconnaissance de l’engagement de la responsabilité est la violation volontaire des règles du jeu constitutive d’une faute caractérisée.
Le sport n’apaise pas toujours les esprits…
Il est bien évident, lors d’un acte volontaire, que le risque réalisé n’était pas accepté.
L’intention de l’auteur, en facilitant la caractérisation de la faute, complexifie l’indemnisation.
En effet, la faute intentionnelle de l’assuré peut permettre à son assureur d’échapper à sa garantie. Là, le cheminement de la démonstration de la faute aura abouti mais il faudra trouver d’autres solutions que la garantie assurantielle pour obtenir l’indemnisation du préjudice corporel. Nous pensons bien évidemment à la caractérisation d’une infraction pénale qui permettrait une indemnisation du FGTI.
3.Loi du 12 mars 2012 et abandon partiel de la théorie d’acceptation des risques
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010 a créé une vive réaction en permettant à la victime d’un dommage survenu lors d’une compétition sportive impliquant une chose, la possibilité de fonder son action sur la responsabilité du fait des choses. Cette ouverture rendait impossible une défense fondée sur l’application de la théorie de l’acceptation des risques. La victime pouvait ainsi être indemnisée de ses entiers préjudices. Devant les réactions des assurances, le législateur est intervenu avec la loi du 12 mars 2012.
L’article 321-3-1 du code du sport ainsi créé dispose que « les pratiquants ne peuvent être tenus responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l’article 1384 (1242 al 1 aujourd’hui), à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique ».
Cet article permet de revenir en partie sur l’arrêt de la Cour de cassation. Un abandon uniquement partiel de la théorie d’acceptation des risques est finalement légalement retenu. En effet, l’indemnisation des préjudices matériels est exclu dans le cadre de l’intervention d’une chose lors d’un dommage survenu dans une compétition sportive. Seuls les préjudices corporels pourront donc être indemnisés sur ce fondement (1242 al 1 code civil).
Lorsqu’une chose qui est sous la garde du sportif est à l’origine du dommage, la faute caractérisée n’a logiquement plus à être démontrée (responsabilité objective). Bien évidemment, les conditions de la responsabilité du fait des choses (1242 al 1 code civil) doivent être réunies.
A titre d’exemple, le 17 janvier 2023, la Cour d’appel d’ANGERS, dans le cadre d’un accident intervenu lors d’une course automobile avait admis l’application de l’article 321-3-1 du code du sport, excluant l’indemnisation des dommages matériels mais permettant l’indemnisation du dommage corporel.
Pour les dommages matériels, la théorie de l’acceptation des risques continue à s’appliquer.
Nous l’aurons compris, l’indemnisation du préjudice corporel né lors de la pratique d’un sport en compétition n’est pas aisée. Ces complications sont justifiées par la connaissance du sportif du risque pris. On imagine mal en quoi ce risque pris serait moins connu dès l’instant où une chose intervient dans la pratique sportive. On imagine cependant aisémenla lourdeur conséquente des dommages corporels causés lors de compétions sportives impliquant une chose. Durant des #JO2024, 43 disciplines seront pratiquées, plusieurs avec une chose. Attention toutefois à se souvenir que des conditions sont à réunir pour que la responsabilité du fait des choses permette l’indemnisation des préjudices.
Quoiqu’il en soit, il vaut mieux bien choisir le sport pratiqué…
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