Malheureusement, l'indemnisation des victimes de viol est aujourd'hui bien loin de l'indemnisation intégrale du préjudice de la victime. Nous avons, en tant qu'avocat, un rôle majeur à jouer pour faire évoluer la pratique scandaleuse des juridictions.

 

1.L’indemnisation classique des victimes de viol

 

Sachez que dans la majorité des cas la victime de viol est indemnisée forfaitairement. Les tribunaux français semblent considérer qu’un forfait entre 20.000 et 30.000 euros suffit amplement à indemniser la victime d’un viol. Pour s’apercevoir de cette aberration, il faut toutefois comparer cette indemnisation à d’autres. Ainsi, la victime d’une fracture née de violences volontaires pourra, après expertise médicale sur le fondement de la nomenclature DINTILHAC, obtenir l’indemnisation intégrale de son préjudice. Ça veut tout et rien dire puisque les postes de préjudices sont évalués en fonction de la victime et de son vécu mais aussi des séquelles.

 

On ne peut donc pas faire de généralités et c’est déjà une première différence avec l’indemnisation des victimes de viol pour lesquelles on semble considérer que toutes vivent leur agression de la même façon puisqu’elles perçoivent une indemnisation quasi identique. Elles sont pourtant également victimes de violences… mais sexuelles.

 

Difficile de comparer donc…

 

Prenons pour exemple un dossier du cabinet dans lequel la provision obtenue pour une fracture (assez complexe) est déjà bien au-delà de l’indemnisation d’une victime de viol : 123.000 euros !!

 

Pourquoi donc les victimes de viol ne bénéficient pas d’une vraie expertise médicale DINTILHAC, d’une vraie évaluation de leur préjudice et ainsi d’une indemnisation qui correspond aux préjudices subis ?

 

Pour plusieurs raisons d’après moi.

 

2. Les raisons de l’indemnisation forfaitaire des victimes de viol

 

a) La société actuelle

 

La plupart des expertises diligentée concernant les victimes de viol sont des expertises psychologiques dont la mission n’est pas une mission DINTILHAC.  On n’évalue donc pas l’ensemble de leurs préjudices et on se cantonne à reprendre leurs déclarations pour établir que leurs propos semblent non mensongers… et que les faits les ont choqués !

 Il est considéré que l’expertise suffit à établir le préjudice.

Je passe les auditions de la famille, l’interrogatoire sur sa vie passée… comme si le viol ne suffisait pas à fonder son préjudice, comme si le viol n’était pas assez traumatisant, la procédure en ajoute.

Notre société toute entière est donc conduite par la septicité de la dénonciation de la femme victime et le traitement juridique n’en est pas exempt.

 

Il n’est pas rare que des faits de viol soient correctionnalisés c’est-à-dire que l’on gomme la pénétration sexuelle pour que l’infraction soit jugée par un tribunal correctionnel (délit). Pourquoi ?

 

Pour plusieurs raisons avancées : encombrement des Cours d’assises, septicité du jury qui condamnera moins facilement en fonction du contexte de l’infraction… Allez dire en tant qu’avocat à votre cliente victime qu’elle doit faire comme si elle n’avait pas été pénétrée de force pour espérer une condamnation !!

 

Passée cette raison fondamentale de l’absence de l’indemnisation de l’entier préjudice des femmes victimes de viol, d’autres l’expliquent : le travail des avocats, la réalité de la difficulté de trouver des experts, la faible rémunération des experts en matière pénale.

 

b) Le travail des avocats de victimes de viol

 

Être avocat d’une victime de viol doit impérativement commander de se battre pour que la victime obtienne l’indemnisation de son entier préjudice.

Celui-ci conduit à TOUJOURS solliciter dans le cadre de l’instruction une expertise psychiatrique avec une mission DINTILHAC. Le magistrat peut y faire droit… ou pas ! Il est du devoir des avocats de sensibiliser les magistrats à cette nécessité. Il ne faut pas partir du postulat que la situation est telle qu’elle est et qu’il faut s’en accommoder.

 

Seule une telle expertise permet d’identifier l’intégralité de préjudices subis.

 

Si le magistrat y fait droit toutefois, d’autres obstacles apparaissent.

 

c) Les réalités budgétaires : l’argent toujours nerf de la guerre

 

Accorder de diligenter une expertise psychiatrique suivant une mission DINTILHAC conduit à missionner un expert pour ce faire. Il doit donc être formé à une telle évaluation.

 

Il faut le trouver… cet expert psychiatre qui acceptera de diligenter une telle expertise pour être payé environ 400 € (n cours d’instruction) !!! et cette somme doit couvrir :

 

  • Les rendez-vous avec la victime. Je parle au pluriel car un seul RDV ne permettra pas de s’apercevoir des préjudices de la victime laquelle est souvent dans une conduite d’évitement, pas à l’aise avec cet expert qu’elle ne connait pas et qui est encore une nouvelle personne à qui elle doit se confier sans pour autant lui faire confiance
  • La rédaction du rapport et la fixation des préjudices
  • Les obligations administratives d’envoi du rapport

 

Je n’ose même pas faire de calcul sur la somme qui revient finalement à l’expert, frais ôtés. C’est tellement dérisoire. Je suis convaincue qu’avec cette somme, l’expert ne couvre même pas ses charges de fonctionnement.

 

3. L’espoir

 

J’ai toutefois bon espoir quand j’apprends aujourd’hui que, sur un autre continent, une condamnation de 23 ans a été prononcée contre Harvey WEINSTEIN.

 

J’ai également bon espoir car nous avons obtenu une expertise psychiatrique suivant la mission DINTILHAC dans un de nos dossiers de viol au cabinet. La suite de la procédure nous dira si nous obtenons ou non l’indemnisation de notre cliente sur son fondement.