La question de l’assujettissement des associations à l’impôt sur les sociétés demeure un sujet de vigilance constante pour les praticiens du droit fiscal et les dirigeants d’organismes à but non lucratif. Si la loi du 1er juillet 1901 confère aux associations une vocation désintéressée, leur implication croissante dans des activités économiques rend parfois la frontière avec le secteur lucratif particulièrement ténue.
La jurisprudence récente, notamment un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 17 octobre 2024, confirmé par une décision du Conseil d’État en juillet 2025, vient rappeler avec force qu’une association peut perdre son caractère non lucratif dès lors qu’une communauté d’intérêts unit ses secteurs lucratif et non lucratif. En d’autres termes, le financement croisé d’une activité commerciale par des recettes d’origine associative suffit à remettre en cause la gestion désintéressée et à soumettre l’association aux impôts commerciaux.
I. Le principe : la gestion désintéressée, pilier du régime fiscal des associations
1. Le fondement légal
L’article 206, 1 bis du Code général des impôts prévoit que les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 ne sont pas passibles de l’impôt sur les sociétés dès lors que leur gestion est désintéressée et que leurs activités non lucratives demeurent prépondérantes.
Cette exonération est complétée par les articles 261 et 207 du même code, qui précisent respectivement les conditions d’exonération de TVA et d’impôt sur les sociétés pour les organismes à but non lucratif exerçant une mission d’utilité générale.
2. Les critères jurisprudentiels
La doctrine fiscale et la jurisprudence dégagent trois conditions cumulatives :
- les dirigeants exercent leurs fonctions à titre bénévole ;
- l’organisme ne procède à aucune distribution directe ou indirecte de bénéfices ;
- les membres ne peuvent être attributaires d’une part quelconque de l’actif en cas de dissolution.
Le non-respect de l’un de ces critères entraîne automatiquement la perte du caractère désintéressé de la gestion et, par conséquent, l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, à la TVA et à la contribution économique territoriale.
II. La sectorisation des activités : un équilibre fragile
1. Une tolérance administrative sous conditions
Lorsqu’une association exerce simultanément des activités non lucratives et lucratives, la doctrine administrative autorise la sectorisation. Cette séparation permet de maintenir l’exonération d’impôt pour les activités désintéressées, à condition que la distinction entre les deux domaines soit réelle, justifiée et traçable.
Elle suppose notamment :
- une comptabilité analytique permettant de suivre séparément les produits et charges ;
- l’existence de comptes bancaires distincts ;
- une affectation claire des excédents du secteur non lucratif à l’objet statutaire ;
- l’absence de financement croisé au profit du secteur lucratif.
2. L’exigence d’une étanchéité parfaite
La jurisprudence rappelle régulièrement que la simple coexistence de deux activités ne suffit pas à caractériser une sectorisation effective. Dès lors que les moyens matériels, humains ou financiers sont mutualisés sans justification précise, le risque de requalification est réel.
C’est précisément ce qu’a sanctionné la cour administrative d’appel de Lyon dans son arrêt du 17 octobre 2024 : l’association en cause utilisait les excédents dégagés par une manifestation culturelle présentée comme non lucrative pour financer des investissements dans ses parcs à thème, clairement lucratifs.
L’absence de comptes bancaires séparés, la confusion des flux et la destination des recettes ont conduit la cour à conclure à une communauté d’intérêts entre les deux secteurs, excluant ainsi toute gestion désintéressée.
III. La communauté d’intérêts : un critère décisif de lucrativité
1. Une notion issue de la « lucrativité par contamination »
La communauté d’intérêts traduit une situation dans laquelle le secteur non lucratif et le secteur lucratif d’une même structure poursuivent des intérêts économiques convergents.
Cette notion prolonge le raisonnement de la « lucrativité par contamination » dégagé par le Conseil d’État : lorsqu’une activité non lucrative soutient ou profite directement à une activité commerciale, l’ensemble perd son caractère désintéressé.
Il ne s’agit donc pas de rechercher un enrichissement personnel des dirigeants, mais d’identifier un avantage concurrentiel indirect au profit du secteur lucratif, contraire à la logique associative.
2. Les indices relevés par le juge administratif
Pour caractériser une communauté d’intérêts, les juridictions se fondent sur un faisceau d’indices :
- les excédents du secteur non lucratif financent des investissements lucratifs ;
- il n’existe aucune séparation bancaire ou comptable entre les deux secteurs ;
- le personnel et les moyens matériels sont utilisés indistinctement pour les deux activités ;
- la communication ou la promotion d’une activité valorise simultanément le secteur commercial.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, suffisent à exclure la gestion désintéressée, même si les dirigeants restent bénévoles et que l’objet social n’a pas été modifié.
IV. Les conséquences fiscales de la requalification
1. L’assujettissement aux impôts commerciaux
Lorsque la gestion désintéressée est écartée, l’association devient passible :
- de l’impôt sur les sociétés sur l’ensemble de ses résultats ;
- de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que ses opérations sont assimilables à une activité économique ;
- et, le cas échéant, de la contribution économique territoriale.
Ces impositions peuvent être rétroactives sur plusieurs exercices et s’accompagner d’intérêts de retard et de pénalités.
2. Des conséquences extra-fiscales significatives
La requalification n’est pas sans effet sur la gouvernance et la crédibilité de la structure. Elle peut :
- remettre en cause les subventions publiques conditionnées au caractère non lucratif ;
- fragiliser les partenariats et le mécénat ;
- voire susciter des difficultés comptables si la sectorisation n’a jamais été formalisée.
Pour les associations d’envergure, cette bascule peut ainsi constituer une véritable rupture économique et institutionnelle.
V. Les bonnes pratiques pour sécuriser la gestion associative
1. Mettre en place une organisation interne rigoureuse
Les associations doivent anticiper les risques de contamination entre secteurs en adoptant des procédures internes strictes :
- formalisation d’un règlement financier interne définissant les modalités de transfert entre secteurs ;
- désignation d’un référent fiscal au sein du conseil d’administration ;
- contrôle annuel de la sectorisation par un commissaire aux comptes ou un cabinet d’avocats spécialisé.
2. Documenter la gestion désintéressée
En cas de contrôle, la charge de la preuve repose sur l’association. Il est donc impératif de pouvoir produire :
- les procès-verbaux des décisions d’affectation d’excédents ;
- les états comptables distincts par secteur ;
- les justificatifs relatifs à l’emploi des ressources, notamment publiques.
3. Anticiper la communication institutionnelle
Les supports de communication doivent éviter toute ambiguïté entre l’activité associative et les opérations commerciales. L’association ne doit pas apparaître comme un vecteur promotionnel de ses activités lucratives.
La clarté des messages et la distinction des identités visuelles sont des indices complémentaires d’une gestion réellement désintéressée.
Conclusion
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon, confirmé par le Conseil d’État, rappelle avec fermeté que le financement d’activités commerciales par des recettes non lucratives constitue une faute de gestion désintéressée au sens fiscal du terme.
Les associations qui entendent exercer des activités économiques parallèles doivent donc redoubler de vigilance. La sectorisation ne saurait être une simple construction comptable : elle exige une séparation juridique, financière et fonctionnelle rigoureuse.
En définitive, la reconnaissance du caractère désintéressé de la gestion n’est pas une faveur administrative, mais la conséquence d’une organisation interne conforme à la finalité associative. L’enjeu dépasse le seul aspect fiscal : il touche à la crédibilité même de la structure et à la protection de son modèle économique.
LE BOUARD AVOCATS
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