Dans une décision rendue le 30 juin 2017, qui sera publiée au Recueil Lebon, le Juge du Palais Royal met fin à sa Jurisprudence Lic et ouvre un nouveau recours pour les tiers contre des actes d’exécution du contrat.
I - RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE.
Par une convention de délégation de service public conclue le 29 novembre 2006, le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT), qui a pour objet le développement et la promotion de l'activité transmanche entre la Seine-Maritime et le sud de l'Angleterre, a délégué à la société Louis Dreyfus Armateurs SAS l'exploitation, au moyen de deux navires, d'une liaison maritime entre Dieppe et Newhaven.
Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group, qui exploitent sous le nom " A... " le tunnel sous la Manche, ont demandé au SMPAT par lettre du 19 novembre 2010 de prononcer la résiliation de ce contrat.
Une décision implicite de refus est née du silence gardé pendant plus de deux mois par le président du SMPAT sur cette demande de résiliation. Les deux sociétés ont alors saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
Par un jugement du 16 juillet 2013, le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Par un arrêt du 28 janvier 2016, la cour administrative d'appel de Douai, après avoir jugé que le contrat en cause devait être analysé non comme une délégation de service public mais comme un marché public, a annulé ce jugement ainsi que la décision litigieuse en raison de la méconnaissance par le SMPAT des règles du code des marchés publics lors de la procédure de passation du contrat, et a enjoint au SMPAT de résilier le contrat, dont le terme, fixé au 31 décembre 2014, avait été prorogé par avenant jusqu'au 31 décembre 2017, dans un délai de six mois suivant la notification de cet arrêt.
Le SMPAT s’est pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par une décision du 22 juillet 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a ordonné le sursis à exécution de cet arrêt jusqu'à ce qu'il soit statué sur le présent pourvoi.
Par un arrêt du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 28 janvier 2016 de la cour administrative d’appel de Douai.
II – PORTEE DE L’ARRET RENDU PAR LE CONSEIL D’ETAT.
Par cette décision, le Juge du Palais Royal ouvre une nouvelle voie contre les actes d’exécution du contrat par les tiers, mettant fin ainsi à sa Jurisprudence société Lic.
A – La fin de la Jurisprudence société Lic et un nouveau recours pour les tiers.
Pour mesurer la portée de cet arrêt, il convient de rappeler que par une décision de section du 24 avril 1964, SA de Livraisons Industrielles et Commerciales dite LIC, le Conseil d’Etat avait ouvert la recevabilité du seul recours pour excès de pouvoir d’un tiers contre un acte d’exécution d’un contrat pour les tiers.
Par la décision du 30 juin 2017, le Juge du Palais Royal ouvre une nouvelle voie de recours des tiers devant le juge du contrat, « 2. Considérant qu'un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat ; que s'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département ; »
Les tiers à un contrat peuvent désormais donc saisir le juge du contrat d’une action afin qu’il soit mis fin à l’exécution dudit contrat.
Cependant, le Conseil d’Etat prend le soin d’encadrer strictement le recrous de pleine juridiction ouvert aux tiers.
B – Un nouveau recours des tiers particulièrement encadré pour espérer prospérer.
Le Juge du Palais Royal précise très clairement dans son considérant n° 3 les cas d’ouverture de ce recours par les tiers à un contrat :
« 3. Considérant que les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général ; qu'à cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général ; qu'en revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise ; qu'en outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut ; »
Il est clair que ce nouveau recours est ouvert explicitement dans trois cas :
- Cas où la personne publique contractante est tenue de mettre fin à l’exécution du contrat litigieux du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours
- Cas où le contrat litigieux est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office
- Cas où la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général, le requérant pouvant s’appuyer pour ce cas sur des inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général. Cependant, dans cette décision ditactique, le Conseil d’Etat exclut pour les tiers au contrat de soulever toute autre irrégularité, indiquant pour être explicite, notamment celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. De plus, pour le dernier cas ouvert, il faut que les inexécutions d’obligations contractuelles compromettant manifestement l’intérêt général soulevées par le tiers au contrat dans son action soient en rapport direct avec l’intérêt lésé dont il se prévaut.
Au final, ce nouveau recours prétorien se trouve soumis à des conditions d’ouverture qui sont très restrictives, le Conseil d’Etat ayant souhaité manifestement éviter que cette nouvelle action ouverte soit utilisée pour compromettre des situations contractuelles existantes après la conclusion du contrat litigieux en revenant sur la légalité initiale du contrat et éviter ainsi une atteinte notamment au principe de sécurité juridique.
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