Dans un rapport d’information parlementaire de décembre 2020, les députés Dominique Potier et Graziela Melchior identifient des pistes pour améliorer le partage de la valeur au sein des entreprises. 

Dans le prolongement de la loi PACTE adoptée en 2019, connue notamment pour avoir introduit la notion de « raison d’être » des sociétés dans le Code civil, les députés rappellent le décalage sensible qui existe entre les revenus du capital et ceux du travail, lequel s’accroit notamment en situation de crise.

De nouvelles propositions pour mieux partager la valeur

Pour mieux partager la valeur au sein de l’entreprise, ils formulent de nombreuses propositions dans leur rapport, pour diminuer les écarts de rémunération, procéder à un rééquilibrage du dialogue social et, plus généralement, mieux partager « l’avoir et le pouvoir ». 

Les solutions proposées sont très variées. On peut par exemple citer : le renforcement de la transparence s’agissant de la rémunération des dirigeants sociaux des plus grandes sociétés ; la création d’un indicateur de partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ; faire de la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur un pilier du reporting RSE (responsabilité sociale et environnementale) ; la limitation des écarts de rémunération via un ratio d’équité ; le fait de permettre à tous les salariés de bénéficier de la participation ; l’utilisation de l’intéressement et de la participation comme un levier de réduction des inégalités salariales ou encore le renforcement de la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération, etc. Ces suggestions sont purement prospectives pour le moment. L’avenir dira si elles sont vouées à être discutées devant le parlement. 

L’attribution gratuite d’actions reste à développer au profit des salariés

L’une des propositions a plus spécialement attiré notre attention. Il s’agit de la proposition n°9 visant à « Surveiller et encadrer la progression des actions gratuites dans la part variable reçue par les mandataires sociaux ». Les députés observent en effet que la pratique de la distribution gratuite d’actions tend à supplanter celle des stock options, désormais très lourdement taxée. Aujourd’hui, la rémunération des dirigeants est constituée, pour une part importante et en progression, d’actions gratuites.

La distribution d’actions gratuites n’est toutefois pas un mécanisme spécialement dédié aux dirigeants. Bien au contraire, le législateur n’a eu de cesse d’assouplir les conditions d’attributions gratuites des actions pour développer l’actionnariat salarié, notamment à l’aide d’un cadre juridique, fiscal et social incitatif. Le Gouvernement affiche d’ailleurs un objectif de 10% d’actionnariat salarié dans l’ensemble des entreprises françaises d’ici 2030. Mais pour l’heure, seules 4% des PME française ouvrent leur capital à leurs salariés.

Encadrer plus strictement l’attribution d’actions gratuites aux dirigeants ?

C’est la raison pour laquelle les rapporteurs proposent d’encadrer plus strictement l’attribution gratuite des actions aux dirigeants. Ils suggèrent d’une part, d’élargir aux grandes entreprises non cotées l’obligation de subordonner l’attribution des actions gratuites à la mise en place des mêmes instruments à l’ensemble du personnel et d’au moins 90% de l’ensemble des salariés des filiales ou à l’existence d’un accord d’intéressement. Il proposent, d’autre part, de limiter la distribution annuelle d’actions gratuites aux dirigeants en pourcentage du nombre total d’actions gratuites distribuées cette même année. 

Il n’est pourtant pas certain que l’instauration d’un cadre plus rigoureux applicable au versement d’actions gratuites aux dirigeants soit la meilleure façon de développer l’actionnariat des salariés. On peut même craindre que ce soit contreproductif et que cela vienne du même coup freiner l’attribution d’actions gratuites aux salariés. On peut aussi observer que le dispositif applicable aux actions gratuites est déjà très sophistiqué. Il n’est peut être pas nécessaire d’y ajouter une nouvelle strate, au risque de décourager les bonnes volontés. 

La question qu’il convient de se poser est alors de savoir pourquoi peu d’actions sont distribuées gratuitement aux salariés alors que les bienfaits de l’actionnariat salarié ne sont plus à démontrer : implication plus forte des salariés actionnaires dans la création de valeur, association des ménages au financement des entreprises, sensibilisation des salariés à la gestion financière d’une entreprise, attraction des talents, développement chez les salariés d’une « conscience d’entreprise », etc.

Il est probable que l’une des raisons majeures soit la crainte d’une dilution des pouvoirs des actionnaires majoritaires en assemblée générale notamment mais aussi une dilution financière au détriment des investisseurs. 

Renforcer l’actionnariat salarié à l’aide des actions de préférence 


Il existe pourtant déjà des solutions, immédiatement mobilisables pour répondre à ces craintes : les actions de préférence. Prévues aux articles L. 228-11 et suivants de Code de commerce, ces titres de capital peuvent voir leurs droits politiques (droit de vote) et financiers (droit au dividendes) aménagés dans les statuts. Rien dans les textes n’oblige que les actions gratuites remises aux salariés soient forcément des actions « ordinaires », conférant nécessairement des droits de vote et des droit financiers proportionnels à la part dans le capital social. 

Ce faisant, de nombreuses opportunités sont ouvertes, pour peu qu’on accepte d’organiser dans les statuts la place des salariés actionnaires.  

Du point de vue des dirigeants et des actionnaires majoritaires de la société émettrice, l’attribution d’actions de préférence sans droit de vote (qui n’est toutefois pas forcément le meilleur signal pour les salariés) pourrait utilement réduire les craintes de dilution. Les actions de préférence auraient alors davantage la coloration d’un titre de placement et d’épargne, laissant les mains libres aux dirigeants pour les décisions les plus stratégiques. Mais, dans une véritable perspective de partage de valeur, on pourrait aller plus loin en confiant aux salariés actionnaires un droit de vote pour certaines décisions qui concernent les salariés, en leur attribuant des droits de veto ou un droit de consultation sur certains thèmes spécifiques. 

Du point de vue des salariés, l’attribution d’actions de préférence pourrait être l’occasion d’organiser une meilleure représentation dans les instances dirigeantes : il est tout à fait possible de donner aux salariés actionnaires, porteurs d’actions de préférence, le droit de désigner des administrateurs au conseil d’administration, sans entrer dans le champ des textes du Code de commerce à ce sujet (spécialement les très grandes sociétés ). Cela pourrait profiter tout particulièrement aux PME sensibles à cette question. On pourrait encore offrir aux actionnaires salariés la possibilité de proposer des candidats lors des votes sur la désignation des membres du CA…

Toujours du point de vue des salariés, les actions de préférence pourraient être utilisées pour renforcer les droits d’information, et aller au delà l’information confiée aux actionnaires classiquement : informations sur telle ou telle opération, transmission de documents comptables, précisions sur certaines orientations stratégiques, formation et sensibilisation aux questions financières.

Concernant les droits financiers, on pourrait s’émanciper totalement du principe de la proportionnalité et moduler la façon dont les actionnaires salariés perçoivent des dividendes. De nombreuses modalités sont possibles : dividende cumulatif, préciputaire, forfaitaire, etc. On pourrait d’ailleurs chercher à sécuriser ces revenus, pour les soumettre le moins possible au risque de l’entreprise (c’est une crainte souvent exprimée). On pourrait à l’inverse, lier la rémunération en dividendes  des salariés actionnaires à des critères de performance des salariés, comme pour les dirigeants, de façon à associer les salariés aux résultats qu’ils obtiennent, et pourquoi pas aux résultats du groupe dans son ensemble, de certaines filiales ou secteurs d’activités (on parle d’actions traçantes). 

Il est encore possible d’anticiper la fin de la relation entre l’entreprise et le salarié, en prévoyant par exemple que le licenciement ou la démission entraîne le rachat des actions de préférence, interdisant au salarié de quitter l’entreprise sans perdre sa qualité d’actionnaire.

En définitive, le développement de l’actionnariat salarié est peut être plus une affaire de pratique et d’innovation, à l’aide des outils juridiques existants, que de modification de la loi. Mais il est vrai que pour être efficace une telle stratégie doit être partagée par les dirigeants eux-mêmes et par les actionnaires qui contrôlent les assemblées générales, qui seront toujours compétents pour décider de l’émission des actions de préférence.

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