On le sait, le droit des obligations a été beaucoup modifié ces derniers temps.
Cette évolution n’a pas été sans soulever des questions sur de nombreux points et a conduit parfois à des revirements de jurisprudence, sur des sujets pourtant constants jusqu’alors.
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Notamment, la Cour de cassation a jugé nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier sa jurisprudence concernant la possibilité ou non pour le promettant de se rétracter postérieurement à une promesse unilatérale de vente.
En pratique, le mécanisme de la promesse unilatérale de vente est la suivante : une personne promet par acte sous seing privé ou authentique, à une autre de lui vendre un bien, avec un délai ouvert au bénéficiaire de la promesse pour lever l’option et acquérir effectivement le bien.
Il arrive dans l’intervalle entre la promesse de vente et l’expiration du délai d’option, que le promettant se rétracte et que le bénéficiaire de la promesse, faisant fi de cette rétractation, lève tout de même l’option dans le délai et demande donc la réalisation de la vente devant les Juges.
Dans un tel contexte, pendant de très nombreuses années, la jurisprudence était constante : la Cour de cassation jugeait que la levée de l’option par le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente postérieurement à la rétractation du promettant ne pouvait être valide.
En effet, les juges considéraient alors, usuellement au triple visas des articles 1101, 1134 et 1583 anciens du Code civil, que la rétractation du promettant excluait nécessairement toute rencontre de volontés réciproques de vendre et d’acquérir, condition essentielle de formation des contrats, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait plus être ordonnée [1].
Ainsi, la Cour de cassation jugeait que la levée d’option postérieure à la rétractation du vendeur ne rendait pas la vente nulle, mais simplement non formée. L’acheteur lésé pouvait simplement prétendre à la réparation de son préjudice.
La question ne faisait alors pas débat et la jurisprudence était tout à fait constante sur ce point.
Mais là est toute la difficulté de notre métier, d’appréhender les évolutions législatives et règlementaires et les revirements de jurisprudence qui peuvent y être associés, s’informer et s’adapter.
En dépit de cette jurisprudence constante de la Cour de cassation, le législateur est intervenu aux termes d’un ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dont certains passages ont été amendés par la loi de ratification du 20 avril 2018, mais pas tous.
Or, cette ordonnance, non amendée sur ce point par la loi de ratification, a entrepris de modifier la sanction de la rétractation illicite du promettant en prévoyant à l’article 1124 du Code civil l’alinéa suivant :
« La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».
La messe est dite, et ces dispositions sont tout à fait aux antipodes des décisions jurisprudentielles rendues jusque-là.
Ce nouveau texte a dès lors conduit la Cour de cassation, la troisième chambre civile précisément, à modifier sa position et à faire un virage à 180 °C, et à opérer ainsi un revirement de jurisprudence.
Désormais la Cour de cassation [2] considérait que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire. Elle en conclut que le bénéficiaire ayant ensuite levé l’option est bien fondé à rechercher l’exécution forcée du contrat, nonobstant la rétractation du promettant.
Mais alors, comment s’appliquent dans le temps ces revirements de jurisprudence, eu égard aux dates des faits des affaires soumises aux Juges ?
C’est la question qui s’est posée dans un récent arrêt du 15 mars 2023 (pourvoi n° 21-20.399), décision qui doit être remarquée.
Dans cette affaire, une société avait conclu avec une autre le 21 juin 2012, un protocole aux termes de laquelle la première consentait une promesse unilatérale de vente à la seconde d’une partie de ses actions détenues dans l’une de ses filiales.
Le 8 mars 2016, la promettante notifiait à sa cocontractante sa rétractation de sa promesse unilatérale de vente.
Le 28 juin 2016, la société bénéficiaire de la promesse notifiait à la société promettante son intention de lever l’option, ignorant ainsi la rétractation de cette dernière, puis l’a assignée en exécution forcée de la promesse et en paiement de dommages et intérêts.
Aux termes de la jurisprudence constante antérieurement à l’ordonnance de 2016, vous aurez compris que de telles demandes n’auraient pu prospérer.
Cela étant, l’évolution législative du droit des contrats avait depuis fait son œuvre, et les juges avaient rendu dès 2021 des décisions allant dans le sens du bénéficiaire de la promesse. A cette date toutefois, la jurisprudence nouvelle était récente et les juges du fond encore parfois être dissidents.
C’est ainsi que la Cour d’appel de Rennes dans cette affaire [3] a rendu un arrêt en faveur du promettant, dans la lignée de la jurisprudence constante antérieure, rejetant ainsi les demandes de la société bénéficiaire de la promesse. La cour continuait ici de retenir, pour refuser de déclarer la vente parfaite et ordonner sa réalisation forcée, que, sous l’empire du droit antérieur à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente postérieurement à la rétractation du promettant excluait toute rencontre des volontés de vendre et d’acquérir.
Devant la Cour de cassation, la société bénéficiaire de la promesse a fait grief à la cour d’appel d’avoir ainsi jugé que la promesse était nulle et non avenue compte tenu de la rétractation de la promettante, alors même que selon la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation :
« la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront de base à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien ; que par ailleurs, toute partie contractante, quelle que soit la nature de son obligation, dispose de la faculté de poursuivre l’exécution forcée de la convention lorsque celle-ci est possible, et qu’il s’ensuit dès lors que la rétractation du promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente ne constitue pas une circonstance propre à empêcher la formation de la vente ».
De son côté, la société promettante soutenait que le revirement ordonné par la Cour de cassation en 2021 suite à l’entrée en vigueur des dispositions découlant de l’ordonnance du 10 février 2016, ne devrait pouvoir être appliqué de façon immédiate audit litige sans porter alors une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique ainsi qu’au droit à un procès équitable et au respect des biens, tels que garantis par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En effet, si elle avait connu l’évolution de la jurisprudence sur cette question à la date de sa rétractation, elle ne se serait peut-être pas rétractée de sa promesse…
Quid alors : la Cour de cassation devait-elle suivre le revirement opéré depuis les faits ou devait-elle se placer au jour des faits litigieux pour juger selon la jurisprudence constante jusqu’alors et en faveur du promettant rétracté ?
La Cour de cassation, aux termes de sa décision du 15 mars 2023, a déclaré de façon solennelle que les exigences de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante [4].
La cour a précisé notamment qu’une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait au contraire susceptible d’entraver tout changement ou amélioration [5].
La cour a donc conclu dans cette affaire que la société promettante ne pouvait se prévaloir d’un droit définitivement acquis, dès lors que le nouvel état du droit, issu du revirement de la Cour de cassation du 23 juin 2021 de la troisième chambre civile, n’était pas imprévisible au jour où la société bénéficiaire de la promesse a formé son pourvoi. En effet une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux bien avant la conclusion du protocole litigieux du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrat du 10 février 2016, intervenue par ailleurs avant la rétractation par la promettante de sa promesse en qui y a mis fin pour les contrats conclus à compter de son entrée en vigueur.
Le revirement consacré par la présente décision n’a donc pas pour effet selon la cour de priver, même rétroactivement, la promettante de son droit à un procès équitable.
Cette décision est très intéressante et permet d’éclairer la question de l’application dans le temps au justiciable des revirements de jurisprudence réalisés par la Cour de cassation.
Virginie Audinot, Avocat
Barreau de Paris
Audinot Avocat
www.audinot-avocat.com
Notes de l'article:
[1] Cass. 3° civ., 15 déc. 2009, n° 08-22.008 ; Cass. 3° civ., 11 mai 2011, n° 10-12.875 ; Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.526 ; Civ. 3ème., 12 juin 2013, n° 12-19105 ; Cass. com., 14 janv. 2014, n° 12-29.071.
[2] Cass. 3° civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554.
[3] Cour d’appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 6 juillet 2021, n° 18/03276.
[4] CEDH, Unédic c. France, n° 20153/04, § 74, 18 déc. 2008 ; CEDH, Legrand c. France, n° 23228/08, 6 36, 26 mai 2011 ; CEDH, Allègre c. France, n° 22008/12, § 52, 12 juillet 2018.
[5] CEDH, Atanasovski, c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », n° 36815/03, § 38, 14 janvier 2010 ; Legrand c. France, précité, § 37 ; Allègre c. France, précité, § 52.
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