Aux termes d’un arrêt très récent du 30 mars dernier, la Cour d’appel de Paris a reconnu expressément la perte partielle de la chose louée subie par une résidence de tourisme pendant les périodes de fermetures administratives liées à la covid (CA Paris 30 mars 2022, n° 21/16710).

Cet arrêt est très intéressant et doit nécessairement être remarqué tant la jurisprudence rendue par le sujet était floue jusqu’alors.

Si une tendance avait pu se dessiner concernant la perte de la chose louée, au sein des juridictions de province, la question n’était pas encore claire auprès des juridictions parisiennes.

Dans mon précédent billet (Covid et loyers commerciaux : quelle est l’actualité jurisprudentielle), j’avais notamment rappelé les arguments avancés par les preneurs de locaux ayant fait l’objet de fermeture administrative lors de la crise sanitaire pour se soustraire au règlement des loyers dus au titre de cette période.

Parmi les principaux, se trouvent notamment : l’exception d’inexécution, la force majeure, et la perte partielle de la chose louée.

Nous l’avons dit, concernant la force majeure, de façon assez unanime, la jurisprudence juge que la crise sanitaire et la fermeture administrative qui en a découlé, ne constituent pas un cas de force majeure. Les juges ont ainsi rappelé que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Les Juges rejoignent ici un arrêt rendu par la Cour de cassation en 2014 prônant ce principe (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306), et cette décision est motivée par le principe selon lequel l’impossibilité de s’acquitter d’une somme d’argent n’est ni absolue ni définitive (Cass. civ., 23 avril 1967.).

En revanche, nous avions pu constater à l’étude du panorama jurisprudentiel des décisions rendues depuis le début de la crise sanitaire liée à la covid-19, qu’une certaine souplesse avait pu être observée de la part de certaines juridictions de province tendant à reconnaître une destruction partielle de la chose louée du fait des conséquences liées à la pandémie.

Ainsi, le Tribunal judiciaire de Toulouse (n° 21/02415), dans une affaire concernant un preneur exploitant une salle de sport, avait souligné qu’il était réducteur d’appréhender la chose louée dans son état exclusivement physique, matériel, et qu’il était possible également de l’appréhender plutôt en fonction de sa finalité ou de sa destination. Puis le tribunal a conclu que « la disparition ou la diminution très importante de la chalandise du fait des décisions administratives interdisant la libre circulation des personnes et donc la fréquentation des commerces, peut s’analyser comme une perte partielle de la chose louée ».

Sur ce fondement, le tribunal avait ainsi considéré que les loyers de la période de fermeture des locaux ne sauraient être dus, le preneur n’ayant perçu aucun revenu au cours de ces dernières.

Dans un jugement du 23 mars 2021 (n° 20/02428), le Tribunal judiciaire de la Rochelle avait également jugé en ce sens. Il s’agissait cette fois d’une activité de prêt-porter dans une galerie commerciale. Après avoir écarté l’argument développé par le preneur au titre de l’exception d’inexécution, le tribunal avait en revanche fait droit aux demandes de ce dernier sur le fondement de la perte partielle de la chose louée et donc au visa de l’article 1722 du Code civil. Le Juge a ainsi considéré que cet article peut s’appliquer « sans qu’il y ait eu détérioration matérielle, dès lors que le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de l’immeuble, d’en faire usage conformément à sa destination ». Le tribunal a ainsi conclu qu’« il est de droit qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivaut à la perte de la chose louée » et que le loyer pour la période allant du 16 mars 2020 au 11 mai 2020 ne saurait donc être exigible.

La Cour d’appel de Douai avait également suivi cette position, dans un arrêt du 16 décembre 2021 :

« entre le 15 mars 2020 et le 10 mai 2020, la société X n’a pu, en application des mesures susvisées, utiliser les locaux loués conformément à une destination essentielle, c’est-à-dire pour y recevoir sa clientèle (...). Dès lors, l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée pendant la période en cause d’utiliser les lieux loués conformément à la destination convenue s’analyse en une perte partielle de la chose justifiant qu’elle soit, au titre de cette période, dispensée u paiement des loyers, l’absence de faute du bailleur étant inopérant ».

Ces juridictions étaient ainsi allées au-delà de la simple destruction matérielle des lieux loués pour appréhender la perte de la chose louée au regard de sa destination et de son utilisation, permettant une application plus large des dispositions d l’article 1722 du Code civil.

Dans son arrêt précité du 30 mars 2022, la Cour d’appel s’est donc ralliée à cette tendance des juridictions, concernant cette fois les loyers commerciaux dus aux propriétaires bailleurs particuliers par une résidence de tourisme.

La résidence « Résidhome Paris Evry », située à Evry-Courcouronnes, est exploitée dans le cadre de baux commerciaux consentis par des particuliers, qui sont propriétaires des appartements meublés de la résidence et qu’ils donnent donc à bail commercial à la société exploitante afin de lui permettre de les loués à sa clientèle.

En raison de la crise sanitaire, la société exploitante, qui gère en tout 52 résidences de tourisme, avait suspendu le paiement des loyers de ses établissements à compter du 2ème trimestre 2020.

Parallèlement aux procédures initiées par les propriétaires pour recouvrer les loyers impayés, une procédure de conciliation avait été ouverte par le Président du Tribunal de commerce de Paris au bénéfice de la société exploitante.

Concernant la demande en paiement de provision au titre des arriérés locatifs formulée par les propriétaires des appartements meublés donnés à bail, la Cour d’appel a eu l’occasion d’aborder différents arguments de défense soulevés par la société exploitante.

Elle a débouté celle-ci de tous ses arguments sauf un : la perte partielle de la chose louée.

Sur la force majeure qui résulterait selon la société exploitante des mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la pandémie de covid 19 faisant obstacle soit à l’ouverture des résidences de tourisme soit à leur occupation normale, la Cour a jugé que l’exploitante ne justifiait pas avoir été dans l’impossibilité totale de régler les loyers dus aux bailleurs, alors même qu’elle avait disposé d’une importante trésorerie par l’octroi d’un prêt garantit par l’Etat de 27,6 millions d’euros et que dès lors, celle-ci ne démontrait pas le caractère irrésistible de l’évènement lié à la pandémie de covid 19.

La Cour a ensuite statué sur l’application d’une clause contractuelle contenue aux contrats de bail laquelle stipulait que « dans le cas où la non location résulterait (...) de la survenance de circonstances exceptionnelles et graves (telles que l’incendie de l’immeuble etc...) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale après la date de livraison, le loyer défini ci-avant ne sera pas payé jusqu’au mois suivant la fin du trouble de jouissance ». La Cour a considéré que la société preneuse ne caractérisait pas en quoi les mesures gouvernementales prises pour la gestion de la pandémie de covid 19 étaient de nature à constituer un désordre ou une circonstance affectant le bien loué en tant que tel.

Cette décision est toutefois étonnante quand on sait qu’en revanche la Cour va considérer dans le même temps que les mesures gouvernementales de fermeture administrative ont contribué à une perte partielle de la chose louée...

Sur l’exception d’inexécution opposée aux bailleurs fondée sur le manquement de ceux-ci à leur obligation de délivrance des locaux loués, la Cour a jugé qu’aucun manquement des bailleurs à leur obligation de mise à disposition des locaux n’avait été caractérisé par l’appelante.

Concernant la bonne foi des bailleurs, la Cour a indiqué que l’absence de proposition de renégociation des contrats par les bailleurs préalablement à leur demande de paiement des loyers ne saurait caractériser un manquement de ceux-ci à leur obligation d’exécuter de bonne foi le contrat alors même qu’ils subissaient la suspension du règlement des loyers décidée d’autorité par la locataire, sans que celle-ci ne se rapproche d’eux préalablement à l’arrêt des paiements. A cet égard, la Cour d’appel de Paris suit des décisions similaires rendues notamment par le Tribunal judiciaire de Paris qui avait affirmé par exemple dans un jugement du 20 janvier 2022 que « s’il est justifié de circonstances exceptionnelles pendant le cours de la crise sanitaire, incitant les parties au contrat à vérifier si ces circonstances ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives », « ce devoir relevant de l’obligation d’exécuter de bonne foi les conventions n’autorise pas pour autant une partie à s’abstenir unilatéralement d’exécuter ses engagements et ne fonde pas une dispense pour le locataire d’honorer les loyers demeurant exigibles ».

En revanche, à l’inverse des arguments précités et tous déboutés, la Cour d’appel de Paris a reconnu que la société exploitante avait subi une perte partielle de la chose louée, celle-ci n’ayant pu ni jouir de la chose louée, ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative soit une durée de 56 jours.

La Cour a en effet rappelé les dispositions de l’article 1722 du Code civil relatif à la destruction de la chose louée, et précisé que cette destruction pouvait s’entendre de la perte matérielle de la chose louée certes, mais aussi d’une perte purement juridique, notamment en raison d’une décision administrative. Elle a encore souligné que la perte pouvait être totale mais aussi partielle, la perte partielle s’entendant alors comme toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose louée, et que la perte partielle de la chose louée pouvait être définitive mais aussi simplement temporaire.

Sur ce fondement, la Cour a alors purement et simplement déduit des loyers non réglés et dus les 56 jours de fermeture administrative de la résidence, qu’elle a donc jugé comme non dus.

Les périodes de fermeture ordonnées par le Gouvernement ont donc été déduites des loyers dus la société exploitante aux différents propriétaires à bail.

Pour le reste de la période de crise sanitaire en revanche, la Cour a précisé qu’aucun texte ni aucune disposition contractuelle n’autorisait la société exploitante à suspendre le paiement des loyers.