Référé-provision, contestation sérieuse et défaut de qualité

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 22-21.831
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300496
  • Publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 19 septembre 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, du 19 janvier 2022

Président

Mme Teiller

Avocat(s)

SCP Boucard-Maman, SARL Gury et Maitre

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 496 FS-B

Pourvoi n° J 22-21.831




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

La société Thermatic, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 22-21.831 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2022 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Baleo-2, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Corsica commercial center (3C), société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Thermatic, de la SARL Gury et Maitre, avocat de la société civile immobilière Baleo-2 et de la société Corsica commercial center, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur faisant fonction de doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 19 janvier 2022), rendu en référé, pour la construction d'un centre commercial, la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 (la SCI Baleo-2) ont confié, en leur qualité de maîtres de l'ouvrage, un lot n° 26 « CVC désenfumage » à un groupement d'entreprises constitué des sociétés Thermatic et Mécafroid, cette dernière étant désignée mandataire commun, et un lot n° 61 « descente d'eaux pluviales » à la société Thermatic seule, les actes d'engagement prévoyant un début de travaux le 10 juillet 2016.

2. La société Thermatic a assigné la société Corsica commercial center et la SCI Baleo-2 devant le juge des référés en paiement de provisions au titre du solde des deux marchés.

Examen des moyens

Sur le second moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Thermatic fait grief à l'arrêt de dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant sa capacité à agir relativement aux demandes portant sur le lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur ces demandes et de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provision portant sur le décompte général définitif et sur les dommages et intérêts pour résistance abusive, alors « que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse ; qu'en déclarant n'y avoir lieu à référé sur les demandes relatives au lot n° 26 au motif qu'il existait une contestation sérieuse relevant d'un débat devant les juges du fond sur la qualité à agir de la société Thermatic, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile et par fausse application les articles 808 et 809 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile et l'article 808 du même code, dans sa rédaction alors applicable :

5. Il résulte de ces textes que toute personne qui justifie d'un intérêt légitime au succès d'une prétention peut introduire une instance en référé et il appartient au juge des référés de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut de qualité du demandeur en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse soit ou non sérieuse.

6. Pour dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant la « capacité à agir » de la société Thermatic relativement aux demandes de paiement d'une provision au titre des travaux du lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur celles-ci, l'arrêt retient que la question de savoir si le groupement des deux sociétés était conjoint ou solidaire et celle relative à l'étendue des pouvoirs du mandataire, qui nécessitent une interprétation des conventions conclues entre les parties et des textes légaux applicables, se heurtent à une contestation sérieuse et excèdent, par conséquent, l'office du juge des référés.

7. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de la demanderesse en référé, que la contestation de cette qualité par la partie adverse fût ou non sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La société Thermatic fait le même grief à l'arrêt, alors « que sauf mandat spécial confié au mandataire commun d'un groupement momentané d'entreprises pour agir en justice au nom de ses membres, ces derniers ont qualité pour agir en paiement de leurs travaux contre le maître d'ouvrage, que le groupement en question soit conjoint ou solidaire ; que la cour d'appel a déduit l'existence d'une contestation sérieuse sur la capacité à agir de la société Thermatic du seul fait que le lot n° 26 a été souscrit en groupement conjoint avec la société Mecafroid désignée comme mandataire commun du groupement, ce qui soulevait des questions dépassant sa compétence de juge des référés sur le caractère conjoint ou solidaire du groupement et sur l'étendue des pouvoirs du mandataire ; qu'en statuant ainsi par une motivation impropre à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse sur la capacité à agir en justice de la société Thermatic pour obtenir le paiement du solde des travaux qu'elle a réalisés sur ce lot, la cour d'appel a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable :

9. Selon ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.

10. Pour dire qu'il existe des contestations sérieuses concernant la « capacité à agir » de la société Thermatic relativement aux demandes de paiement d'une provision au titre des travaux du lot n° 26 et n'y avoir lieu à référé sur celles-ci, l'arrêt retient que, si, dans les pièces du marché, le groupement était qualifié de conjoint, la répartition détaillée des tâches des deux entreprises n'était pas précisée dans l'acte d'engagement et que les coordonnées bancaires de celles-ci n'y étaient pas mentionnées, de sorte que, malgré l'appellation de groupement conjoint, les cotraitants s'étaient obligés à l'égard de leurs cocontractants de façon indivisible et solidaire.

11. Il relève, encore, qu'aux termes du cahier-type des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, le mandataire est le représentant unique des sociétés groupées dans les rapports avec le maître de l'ouvrage et constate que le cahier des clauses administratives particulières désigne le groupement conjoint d'entreprises constitué par les sociétés Thermatic et Mécafroid, dont cette dernière était le mandataire, par le terme « l'entreprise », ses dispositions relatives aux modalités de paiement et au décompte définitif ne faisant référence qu'à « l'entreprise » et non à la société Thermatic.

12. Il en déduit que la question de savoir si le groupement des deux sociétés était conjoint ou solidaire et celle relative à l'étendue des pouvoirs du mandataire, qui nécessitent une interprétation des conventions conclues entre les parties et des textes légaux applicables, se heurtent à une contestation sérieuse et excèdent, par conséquent, l'office du juge des référés.

13. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de convention contraire, la désignation d'un mandataire auprès du maître de l'ouvrage, pour représenter les membres du groupement, que celui-ci soit conjoint ou solidaire, n'a pas pour effet de priver ceux-ci de la possibilité d'agir directement en paiement du coût des travaux réalisés, qu'il s'agisse, dans le cas d'un groupement conjoint, des travaux réalisés par l'entreprise demanderesse à l'action, ou, dans le cas d'un groupement solidaire, du paiement du solde global du marché, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il existe des contestations sérieuses concernant la capacité à agir de la société Thermatic relativement aux demandes portant sur le lot n° 260, autrement identifié lot n° 26, et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande, l'arrêt rendu le 19 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;

Condamne la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Corsica commercial center et la société civile immobilière Baleo-2 et les condamne in solidum à payer à la société Thermatic la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:C300496

Analyse

  •  Titrages et résumés

Publié par ALBERT CASTON à 14:59  

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