Les enregistrements clandestins d'agents publics sont fautifs mais peuvent, à titre exceptionnel et sous contrôle strict, être admis comme preuve.
CAA Nancy, 30 avr. 2024, n° 22NC01016 (dispositif d’enregistrement en service ; diffusion interne ; autonomie du disciplinaire) et CAA Lyon, 9 oct. 2025, n° 24LY01770 (nombreux enregistrements non autorisés ; rétrogradation annulée pour disproportion).
En matière disciplinaire, la captation d’échanges à l’insu des interlocuteurs par un agent public constitue un manquement aux obligations de loyauté et de dignité. Les deux arrêts ici commentés mettent en lumière, d’une part, l’autonomie du terrain disciplinaire par rapport au pénal et, d’autre part, le contrôle de proportionnalité qui s’attache au choix de la sanction.
I. Une faute professionnelle mais une sanction proportionnée aux circonstances
A/ Qualification fautive : l’enregistrement clandestin au prisme de la loyauté
En premier lieu, la CAA de Nancy confirme la qualification fautive d’un enregistrement réalisé en service, au moyen d’un dispositif installé dans un véhicule de service, et dont des extraits ont été diffusés en interne. D’une part, la cour réaffirme l’autonomie du juge disciplinaire : la relaxe pénale est indifférente à la qualification des faits comme manquement aux obligations déontologiques et statutaires. D’autre part, elle retient la gravité du comportement au regard des tensions engendrées et des exigences propres aux missions exercées, justifiant une sanction lourde (CAA Nancy, 30 avr. 2024, n° 22NC01016 : dispositif d’enregistrement en service ; diffusion interne ; autonomie du disciplinaire).
En deuxième lieu, la finalité probatoire alléguée par l’agent (se « protéger », prouver un harcèlement) ne neutralise pas la faute : l’illégalité tient à la captation à l’insu, à l’absence d’information de la hiérarchie et au risque de déstabilisation du service. Il en résulte que l’enregistrement clandestin, pris en lui-même, caractérise une faute – sans préjuger du quantum de la sanction.
B/ Proportionnalité : faute oui, mais sanction mesurée
D’une part, la CAA de Lyon constate la matérialité de nombreux enregistrements non autorisés conservés sur l’ordinateur professionnel d’un ingénieur hospitalier : la faute est caractérisée. D’autre part, la cour annule la rétrogradation infligée : aucun usage malveillant, aucune diffusion extérieure, et un usage essentiellement mémoriel/organisationnel sont relevés. Dans ces circonstances, une rétrogradation apparaît disproportionnée au regard de l’échelle des sanctions et de la finalité disciplinaire (CAA Lyon, 9 oct. 2025, n° 24LY01770 : nombreux enregistrements non autorisés ; rétrogradation annulée pour disproportion).
Ainsi, la dialectique est claire : non seulement l’enregistrement clandestin expose l’agent à une sanction, mais encore le juge contrôle étroitement la proportionnalité au regard de critères cumulatifs (intention, usage, diffusion, retentissement dans le service, position hiérarchique, antécédents).
C/ L’enregistrement clandestin et le harcèlement moral, position du Défenseur des Droits
Le Défenseur des droits n’édicte aucune interdiction de principe visant les enregistrements réalisés à l’insu des interlocuteurs par une victime présumée : il promeut une approche au cas par cas, indexée sur la nécessité et la proportionnalité. Ainsi, lorsque l’élément est indispensable à l’établissement de faits par nature peu « objectivables » (propos tenus sans témoin, harcèlement d’ambiance, situations répétées), il peut être pris en compte au sein d’un faisceau d’indices dans l’enquête interne, sous réserve de garanties de confidentialité et, le cas échéant, de respect des règles relatives aux données personnelles (Défenseur des droits – Guide 2025 (Discrimination et harcèlement sexuel, emploi public/privé)).
II. Absence de violation de la vie privée ?
La chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée récemment sur ce point (Cass. crim., 12 avr. 2023, n° 22-83.581).
Un délégué syndical assiste un salarié lors d’un entretien préalable au licenciement et enregistre à l’insu de l’employeur les échanges. Poursuivi du chef d’atteinte à l’intimité de la vie privée (C. pén., art. 226-1, 1°), l’auteur obtient un non-lieu confirmé par la chambre de l’instruction ; la partie civile se pourvoit. La chambre criminelle rejette le pourvoi : l’entretien entre dans le cadre de la seule activité professionnelle du plaignant ; dès lors, l’enregistrement n’est pas de nature à porter atteinte à son intimité, quand bien même les propos ont été tenus dans un lieu privé. D’une part, la Cour valide l’analyse selon laquelle la conversation litigieuse n’avait pas de contenu relevant de la vie privée ; d’autre part, elle confirme que l’élément « professionnel » neutralise l’atteinte pénale à l’intimité visée par l’article 226-1, 1°.
La chambre criminelle délimite ainsi strictement le champ du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée : l’infraction suppose la captation de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, sans consentement. Or, un entretien professionnel – ici, un entretien préalable – n’entre pas, en principe, dans la sphère d’intimité protégée par le texte. Non seulement le lieu (privé ou non) n’est pas déterminant, mais encore l’objet de l’échange (professionnel) prime.
L’articulation avec le droit pénal est assumée : la chambre criminelle a jugé, le 12 avril 2023 (n° 22-83.581), qu’un enregistrement d’un entretien professionnel ne caractérise pas, en soi, une atteinte à la vie privée (art. 226-1, 1° C. pén.). D’une part, l’absence d’infraction pénale n’efface pas la faute disciplinaire ; d’autre part, elle peut influer sur l’appréciation de la gravité.
S’agissant des allégations de harcèlement, le Défenseur des droits admet, à titre exceptionnel et proportionné, la prise en compte d’enregistrements « clandestins » dans le cadre de l’enquête interne lorsque ces éléments sont indispensables à l’établissement des faits. Dans le même temps, l’employeur public devrait ouvrir une enquête impartiale et contradictoire afin de qualifier disciplinairement les manquements révélés.
Le 24 novembre 2025
Delphine KRUST
Avocate à la Cour

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