Contexte et portée de la décision du 28 mai 2025
La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 28 mai 2025 (n° 24-14.148), a cassé sans renvoi une décision de la cour d’appel de Montpellier qui avait estimé le tribunal judiciaire compétent pour connaître d’une action en dommages-intérêts introduite par une gérante-associée révoquée d’une SARL vétérinaire.
Au-delà de la question, somme toute classique, de la révocation abusive, l’arrêt rappelle avec vigueur que la compétence juridictionnelle tient d’abord à la forme sociale et non à la nature – civile ou commerciale – de l’activité exercée.
1. Le socle textuel : L 210-1 et L 721-3 du Code de commerce
Le dispositif résulte de la combinaison de deux textes :
- Article L 210-1 : « … la société à responsabilité limitée est commerciale par la forme, quel que soit son objet. »
- Article L 721-3, 2° : le tribunal de commerce connaît « des contestations relatives aux sociétés commerciales ».
En érigeant la commercialité « par la forme » en principe absolu, le législateur a voulu offrir un critère de compétence lisible et sécurisé, échappant à la qualification souvent délicate de l’objet social. La jurisprudence consacre depuis longtemps cette option législative (v. déjà : Com. 16 nov. 2004, n° 01-03.304 ; Com. 29 sept. 2009, n° 08-17.205).
2. Les fissures au principe : deux régimes dérogatoires circonscrits
La rigidité de la règle connaît néanmoins deux tempéraments :
- Le demandeur non commerçant, extérieur au pacte social.
– Depuis l’arrêt Com. 20 déc. 2023, n° 22-11.185, cette personne dispose d’un droit d’option entre les juridictions civiles et commerciales. L’exception ne vise toutefois ni l’associé, ni le dirigeant ; elle se limite au tiers pur.
- La société d’exercice libéral (SEL).
– L’article L 721-5 transfère la compétence au tribunal judiciaire lorsque la société est constituée selon la loi du 31 décembre 1990 (désormais ord. 2023-77).
– Le fondement est institutionnel : l’encadrement ordinaire des professionnels libéraux par le juge civil se prolonge lorsque ceux-ci se regroupent au sein d’une SEL.
Hors ces deux hypothèses, la compétence consulaire redevient impérative ; aucune équivoque n’est admise.
3. Analyse de l’arrêt Vet’amazones : affirmation de la suprématie formelle
Faits rappelés
– SARL « Vet’amazones », activité vétérinaire.
– Deux associées, toutes deux gérantes.
– Révocation d’une gérante pour mésentente.
– Action en réparation portée devant le tribunal judiciaire.
Motivation de la Cour
La haute juridiction souligne que :
- le litige oppose une associée-organe à la société ;
- la SARL n’est pas constituée sous la forme SELARL prévue par la loi de 1990 ;
- le caractère civil de l’acte vétérinaire n’a aucune incidence sur la forme commerciale de la société.
Conclusion : la contestation relève du tribunal de commerce, nonobstant l’activité civile et l’absence de qualité de commerçant de la demanderesse.
Apport
L’arrêt ferme la porte à une ligne de défense consistant à invoquer la « civilité » de la profession pour revendiquer le juge judiciaire. Ce raisonnement, parfois accueilli en appel, est désormais clairement disqualifié lorsque la structure sociétale reste une SARL de droit commun.
4. Implications pratiques pour le praticien du droit des sociétés
4.1 Gestion du risque procédural
Saisir une juridiction incompétente expose à :
- La nullité de l’assignation ou de la défense (art. 122 CPC) ;
- Le renvoi devant la juridiction compétente, avec allongement des délais ;
- La prescription quinquennale (art. L 110-4) atteinte entre-temps, surtout dans les litiges de révocation où les faits sont souvent anciens.
4.2 Rédaction statutaire et clauses de compétence
Bien qu’une clause attributive ne puisse primer sur l’ordre public de compétence, mentionner dès les statuts que « tout litige entre associés ou dirigeants sera porté devant le tribunal de commerce du siège social » décourage les tentatives de forum shopping.
4.3 Choix de la forme sociale à la constitution ou en cours de vie
Pour les cabinets libéraux souhaitant demeurer sous le contrôle du juge judiciaire, la SEL reste la voie royale. La transformation de la SARL en SELARL requiert :
- une décision unanime (sauf clause contraire) ;
- un commissaire à la transformation ;
- l’agrément de l’ordre professionnel compétent.
La charge organisationnelle est non négligeable, mais elle demeure l’unique alternative recevable pour quitter l’orbite consulaire.
5. Focus sur la révocation du gérant dans la SARL libérale
Le régime de la révocation ad nutum (art. R 223-32) s’applique sans distinction d’activité ; toutefois, l’abus ouvre droit à indemnité. Le demandeur devra :
- démontrer l’absence de justes motifs (manquements non établis, mésentente non imputable, brutalité excessive) ;
- établir un préjudice patrimonial (perte de rémunération, de droits sociaux) et/ou moral (atteinte à la réputation).
Le juge consulaire, rompu aux standards du monde des affaires, appréciera la gravité des griefs à l’aune de la confiance nécessaire entre associés.
L’arrêt du 28 mai 2025 consacre une lecture stricte mais cohérente des textes : la forme sociale commande la compétence. Les avocats intervenant auprès de sociétés libérales sous statut SARL devront intégrer cette donnée procédurale dans leurs stratégies contentieuses comme dans leurs conseils de gouvernance.
L’anticipation – choix de la SEL, clauses statutaires claires, constitution d’un dossier de révocation étayé – demeure le meilleur rempart contre les écueils de l’incompétence matérielle et les effets corrosifs de la prescription.
LE BOUARD AVOCATS
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