Tout le monde s’accorde à dire que « l’affaire VW » ou « le Volkswagate » met le géant de l’automobile dans une position financière très délicate et l’avalanche des procédures judiciaires émanant du monde entier introduites à son encontre, depuis trois semaines, pourrait même tuer l’entreprise. Il est avéré que des poursuites judiciaires aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Suède, en Australie, en Espagne et en Corée du Sud ont déjà été introduites à l’encontre du groupe Volkswagen dont ce dernier ne devrait pas sortir indemne / vivant ( ?). Le montant des seules amendes encourues couplé à la chute de sa capitalisation boursière de plus de 45% depuis la révélation de l’affaire pourrait, à terme, sonner le glas pour le constructeur automobile allemand.
Cette affaire nous donne l’occasion de dresser un rapide inventaire des recours pouvant être exercés en France à l’encontre d’un industriel dans la situation de Volkswagen et d’apprécier provisoirement, en l’état des informations disponibles à ce jour, les chances de prospérer de telles actions.
Rappel des tenants de « l’affaire VW » : Aux Etats-Unis, Volkswagen a été convaincu de tricherie pour avoir équipé ses véhicules diesel d’un logiciel permettant de tromper les contrôles antipollution et de minorer les particules polluantes émises sous tests par rapport à l’émission en utilisation normale. Ce logiciel était programmé pour détecter les conditions de test et modifier, en conséquence, le comportement du moteur pour que le véhicule testé passe avec succès les contrôles antipollution.
En France, plus de 900.000 véhicules du groupe Volkswagen (marques Volkswagen, Audi, Seat et Skoda) équipés du « defeat device » seraient concernés.
Fondements des recours possibles en France :
Les poursuites à l’encontre de Volkswagen, ou plus généralement à l’encontre de tout industriel accusé de pratique trompeuse, peuvent émaner concurremment de l’Etat, des consommateurs trompés, de toute personne morale ou physique ayant un intérêt à agir voire même des concurrents.
- Poursuites émanant de l’Etat et de certaines associations / ONG
Poursuites introduites :
- Le 2 octobre 2015, sur dénonciation d’un élu de la région île de France, le parquet de Paris a lancé une enquête préliminaire pour « tromperie aggravée » à l’encontre de Volkswagen France, suite aux révélations dans la presse et à l’enquête administrative menée par la DGCCRF dont les résultats devraient être connus en novembre ou décembre.
- La ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, envisage de son côté de demander un remboursement des aides publiques versées pour l’achat des véhicules qui étaient présentés comme « propres ».
- L’ONG Ecologie Sans Frontière (ESF) a récemment déposé plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « tromperie aggravée ».
Fondement des poursuites : L’article L.213-1 du code de la consommation dispose que constitue le délit de tromperie le fait de« tromper le contractant par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers (…) sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ». L’article L.213-3 dispose, par ailleurs, qu’est constitutif du délit de « tromperie aggravée » le fait que la substance falsifiée ou corrompue ait eu pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou l’animal. C’est sur ce dernier fondement que l’enquête préliminaire a été lancée par le parquet et que certaines associations ou ONG ont également déposé plainte contre Volkswagen.
Sanctions encourues : Le délit de tromperie « simple » est passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300.000 euros (article L.213-1). Le délit de tromperie aggravée est passible d’une amende de 750.000 euros et de 7 ans d’emprisonnement (article L.213-3) étant précisé que ces peines d'amende peuvent être portées, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. Il sera également relevé qu’aux termes de l’article L.213-6, il est expressément prévu que les personnes morales dont la responsabilité pénale sera reconnue, seront condamnées aux peines prévues aux articles L.131-38 et L.131-39 du Code pénal (2ème et 9ème alinéa). En pratique et en termes d’amendes, si Volkswagen France (visée par l’enquête préliminaire du parquet) devait être déclarée responsable pénalement à l’issue de la procédure et reconnue coupable du délit de tromperie aggravée, elle pourrait être condamnée, en application de l’article L.131-38 du Code pénal, à une amende de 3.750.000 euros laquelle pourrait également être portée à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel.
- Poursuites émanant des acquéreurs de véhicules / concurrents
Poursuites introduites :
- Une plainte a été déposée par un collectif d’usagers, réunis sous le nom d’ « Association des victimes internationales de la fraude automobile » pour « pratique commerciale trompeuse, publicité mensongère, tromperie, escroquerie, mise en en danger d’autrui, complicité, faux et usages de faux »
- l’association de défense des consommateurs CLCV a également déposé plainte pour "tromperie sur la marchandise et pratique commerciale déloyale".
Fondement des poursuites : les automobilistes ayant acquis l’un des 900.000 véhicules équipés du logiciel incriminé en France peuvent, sur le principe, initier, à titre individuel, une action judiciaire pour « pratiques commerciales trompeuses » sur le fondement de l’article L.121-1 du code de la consommation[1] ; ils pourraient, dans ce cadre, solliciter des dommages-intérêts, à condition de démontrer l’existence d’un préjudice économique et/ou moral. Cette démonstration risque d’être très ardue s’il est avéré, comme l’association UFC Que Choisir souligne dans un communiqué du 7 octobre 2015, que : « (…) l’argument environnemental sur l’oxyde d’azote n’a pas été valorisé en Europe et en France, les performances NOx ne figurant d’ailleurs pas sur les brochures techniques. Ils n’y a pas eu d’allégations spécifiques et ce, quel que soit le constructeur. Du coup, les consommateurs ne peuvent réclamer, sur le fondement du préjudice moral ou encore sur la perte de chance, un quelconque préjudice, dans la mesure où aucune information sur les performances NOx ne leur a été délivrée [2]».
L’élément matériel de la pratique commerciale trompeuse semble de ce seul fait être difficile à rapporter. Pour la même raison, l’action sur ce même fondement qui pourrait être introduite par un concurrent (la possibilité de cette action n’étant pas réservée aux seuls consommateurs), et qui dénoncerait par là-même une pratique déloyale, aurait également peu de chances de prospérer : la preuve du préjudice économique en résultant pour les concurrents serait encore plus difficile à établir (le détournement effectif de clients du fait de cette pratique commerciale étant quasiment impossible à établir) et encore faudrait-il que lesdits concurrents ne se soient pas eux-mêmes rendu coupable de la même pratique….
Reste l’hypothèse relativement marginale selon laquelle les automobilistes souhaiteraient annuler l’achat de leur véhicule et en obtenir le remboursement. Des actions en nullité entreprises, à titre individuel, sur le fondement du dol (article 1116 du code civil) pourraient être envisageables, à condition d’établir que le caractère non polluant du véhicule était une « condition déterminante » de l’achat, sans laquelle l’automobiliste n’aurait jamais acheté un véhicule du groupe Volkswagen. Or, par la force des choses et de manière totalement objective, sans la tromperie, le véhicule ne passe pas les normes et ne peut donc être, en principe, commercialisé…. L’action en nullité de la vente, fondée sur la manœuvre dolosive, paraît donc recevable et de nature à prospérer dans ce cadre.
Quant à la possibilité d’agir en justice, par le biais des actions collectives « à la française », elle est ici quasiment inenvisageable, la mise en œuvre d’une telle action en France étant soumise à des conditions très restrictives (seules des associations agréées de consommateurs pouvant l’introduire) et ne pouvant viser, en tout état de cause, que la réparation d’un préjudice économique, très difficile à établir en l’occurrence. Les associations UFC Que choisir et CLCV doutent elles-mêmes de l’opportunité de telles actions collectives.
Sanctions encourues : aux termes de l’article L. 121-6 du code de la consommation, le délit de pratique commerciale trompeuse est passible d’une peine de prison de deux ans et d’une amende de 300.000 euros pour une personne physique, portée à 1.500.000 euros pour une personne morale ; nonobstant la possibilité, comme pour la tromperie, de voir le montant de l’amende portée à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits.
Quelles que soient les chances de prospérer des actions judiciaires introduites en France, le préjudice financier pour le constructeur automobile du fait de toutes les actions entreprises dans le monde à son encontre s’élèverait d’ores et déjà à plus de 18 milliards d’euros…. et nul doute que le « Volkswagate » aura des répercussions sur le monde automobile en général, compte tenu des enquêtes en cours diligentées par le parquet et la DGCCRF. Ainsi, le vice-président de la région Ile-de-France, l’écologiste Pierre Serne, à l’origine de l’enquête préliminaire ouverte par le Parquet, a déclaré « nous allons être particulièrement vigilant sur les investigations qui vont être menées par le parquet. La question est maintenant de savoir si elles vont se limiter à Volkswagen ou s'étendre à d'autres constructeurs".
par Sarah Temple-Boyer
[1] Aux termes de l’article L.121-1 du code de la consommation, une pratique commerciale trompeuse est constituée « lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur (…) les caractéristiques essentielles du bien ou du service ».
[2] S’il peut en revanche, être établi que de telles allégations publicitaires mensongères ont été diffusées par le groupe Volkswagen, l’élément matériel de la pratique commerciale trompeuse serait constitué et justifierait l’action judiciaire entreprise sur ce fondement. Voir par comparaison le renvoi en correctionnelle de la société General Motors France pour pratiques commerciales trompeuses sur les prétendues qualités de sa voiture « Saab 9-3 Bio-Power », présentée comme « plus écologique, plus économique, plus performante » (Cass. Crim. 21 octobre 2014, n° Pourvoi 13-86881)
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