Le harcèlement moral institutionnel est une notion récente qui met en lumière les pratiques managériales abusives pouvant émaner de la politique même d’une entreprise.
Contrairement au harcèlement interpersonnel — souvent lié à des comportements individuels — le harcèlement institutionnel traduit une stratégie d’organisation du travail dont les effets dégradent collectivement les conditions de travail.
La Cour de cassation, dans une décision du 21 janvier 2025, a confirmé la reconnaissance de cette forme de harcèlement, marquant ainsi une évolution majeure du droit du travail.
Cet article propose d’en comprendre la portée et les implications concrètes pour les salariés comme pour les dirigeants.
1. Qu’est-ce que le harcèlement moral institutionnel ?
Le harcèlement moral institutionnel désigne une politique d’entreprise délibérée ou persistante, mise en œuvre par la direction, qui a pour conséquence une dégradation significative des conditions de travail.
Cette dégradation peut se manifester par :
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des agissements répétés portant atteinte à la dignité ou à la santé physique et mentale des salarié·e·s ;
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une pression constante ou des objectifs irréalistes créant un climat anxiogène ;
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des mobilités forcées, réorganisations abusives ou suppressions de postes ;
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un isolement ou une marginalisation progressive de certains employés.
La particularité de cette forme de harcèlement est qu’elle ne suppose pas de lien direct entre un responsable et une victime identifiée.
Une politique globale d’entreprise peut, à elle seule, caractériser le harcèlement moral institutionnel si elle altère les conditions de travail d’un collectif de salariés.
La Cour de cassation définit le harcèlement institutionnel comme « des agissements structurant le travail d’une collectivité et portant atteinte aux conditions de travail ».
2. Le fondement juridique : article 222-33-2 du Code pénal
Le harcèlement moral au travail est réprimé par l’article 222-33-2 du Code pénal, qui sanctionne :
« le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ».
La Cour de cassation a confirmé que cette disposition s’applique pleinement au harcèlement moral institutionnel, même lorsqu’aucun lien personnel n’existe entre la direction et les victimes.
Les points clés à retenir :
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Intention du législateur : inclure toutes les formes de harcèlement moral, y compris celles issues de stratégies organisationnelles.
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Répétition et effet : la loi sanctionne les comportements répétés ayant pour objet ou effet de dégrader les conditions de travail.
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Identification des victimes : si le harcèlement est caractérisé par son effet collectif, il n’est pas nécessaire d’identifier chaque salarié individuellement.
3. Responsabilité pénale des dirigeants et des complices
Les dirigeants d’entreprise peuvent être pénalement responsables lorsqu’ils ont sciemment instauré ou maintenu une politique ayant des effets délétères sur leurs équipes.
La responsabilité des complices peut également être engagée, y compris pour des cadres intermédiaires ou anciens dirigeants ayant participé à la mise en œuvre de cette politique.
Il ne s’agit donc plus seulement de sanctionner des comportements individuels, mais l’organisation du travail elle-même lorsqu’elle devient source de souffrance.
4. L’affaire France Télécom : une illustration emblématique
L’affaire France Télécom constitue le précédent fondateur du harcèlement moral institutionnel.
Les dirigeants ont été condamnés pour avoir déployé une politique de réduction d’effectifs marquée par :
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des mobilités forcées et des mutations arbitraires,
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une pression hiérarchique constante,
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un climat anxiogène entretenu malgré les alertes des représentants du personnel.
Cette décision historique a démontré que la stratégie managériale d’une entreprise peut, à elle seule, constituer une infraction pénale lorsqu’elle altère la santé des salariés.
5. Comment réagir face à une situation de harcèlement moral institutionnel ?
Si vous êtes victime ou témoin d’une politique d’entreprise abusive :
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Consultez un avocat en droit du travail pour évaluer la situation.
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Rassemblez les preuves : courriels, notes internes, témoignages, documents RH, rapports d’expertise.
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Alertez les représentants du personnel.
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Engagez une action devant le conseil de prud’hommes ou le juge pénal, selon la gravité des faits.
Un accompagnement juridique permet d’identifier la stratégie la plus adaptée : action individuelle, collective ou pénale.
6. Dirigeants : comment prévenir le risque pénal ?
La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel impose aux dirigeants une obligation renforcée de vigilance.
Pour prévenir tout risque, il est recommandé de :
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écouter régulièrement les équipes et les signaux de mal-être ;
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associer les salariés aux réorganisations importantes ;
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fixer des objectifs réalistes et transparents ;
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éviter les politiques de pression ou de surcharge ;
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et se faire accompagner par un avocat pour auditer la conformité des pratiques internes.
Une gestion managériale respectueuse n’est pas seulement un facteur de performance : c’est désormais une exigence légale.
En conclusion
La reconnaissance du harcèlement moral institutionnel par la Cour de cassation marque une avancée majeure dans la protection des salariés.
Elle rappelle que les entreprises sont responsables des effets de leur organisation du travail sur la santé mentale et physique de leurs collaborateurs.
Besoin d’un accompagnement ?
Maître Silvia DIAZ, avocat en droit du travail à Bordeaux, accompagne les salariés et dirigeants confrontés à des situations de harcèlement moral institutionnel ou à des politiques managériales abusives.
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