Tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours en contestation de la validité d’un contrat administratif ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles (CE Ass., 4 avr. 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994).

Lorsqu’un accord-cadre est conclu avec plusieurs opérateurs économiques, chacun de ses titulaires doit être regardé, pour l’exercice de l’action en contestation de la validité du contrat, comme un tiers à cet accord en tant que celui-ci a été conclu avec les autres opérateurs (CE avis, 24 nov. 2023, n° 474108).

L’action en contestation de la validité d’un contrat administratif est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité.

La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion de ce recours.

Par dérogation, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet.

 

Le délai de recours pour former un recours en contestation de la validité d’un contrat administratif

Le recours en contestation de la validité d’un contrat administratif doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

Ce délai de deux mois ne peut commencer à courir que si ces mesures indiquent au moins l’objet du contrat et l’identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté (CE, 19 juill. 2023, Société Seateam aviation, n° 465308).

La circonstance que l’avis ne mentionne pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux qui court à compter de cette publication (CE, 3 juin 2020, Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH), n° 428845).

L’exercice d’un recours gracieux a pour effet d’interrompre le délai de recours contentieux (CE, 20 déc.  2019, Association de gestion des équipements sociaux (AGES), n° 419993).

En outre, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que la validité d’un contrat administratif puisse être contestée indéfiniment par les tiers au contrat.

Dans le cas où, faute que tout ou partie des mesures de publicité appropriées aient été accomplies, le délai de recours contentieux de deux mois n’a pas commencé à courir, le recours en contestation de la validité du contrat ne peut être présenté au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes.

En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable (CE, 19 juill. 2023, Société Seateam aviation, n° 465308).

 

Les moyens invocables devant le juge du contrat

Le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui de leur recours.

Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office.

Lorsque l’auteur du recours se prévaut de sa qualité de contribuable local, il lui revient d’établir que la convention ou les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité (CE, 27 mars 2020, Communauté urbaine du Grand Nancy (CUGN), n° 426291).

Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé ne peut utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction (CE Sect., 5 fév. 2016, Société « Voyages Guirette », n° 383149).

La qualité de concurrent évincé est reconnue à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu’il n’aurait pas présenté sa candidature, qu’il n’aurait pas été admis à présenter une offre ou qu’il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable (CE, 11 avr. 2012, Société Gouelle, 355446).

En revanche, les sociétés qui n’ont été candidates à l’attribution d’aucun des lots ayant fait l’objet de l’appel d’offre ayant conduit à la signature des marchés litigieux et qui n’apportent aucun élément justifiant qu’elles auraient pu être candidates ne sauraient être regardées comme des concurrents évincés de l’attribution de ces marchés (CE, 16 nov. 2009, Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, n° 328826).

 

L’office du juge du contrat saisi d’un recours en contestation de la validité d’un contrat administratif

Le juge du contrat doit d’abord vérifier que l’auteur du recours, autre que le représentant de l’Etat ou qu’un membre de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, se prévaut d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu’il critique sont de celles qu’il peut utilement invoquer.

Après cette première vérification, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, il lui appartient d’en apprécier l’importance et les conséquences.

Après avoir pris en considération la nature de ces vices, il lui revient :

  • soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible ;
  • soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat.

En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.

Est entaché d’illicéité le contenu du contrat dont l’objet même est la fourniture d’un produit dépourvu de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) exigée par les dispositions qui lui sont applicables, ce qui constitue un vice de nature à justifier l’annulation du contrat (CE, 5 avr. 2023, Société Sumitomo Chemical Agro Europe, n° 459834).

 

L’action tendant à l’indemnisation des préjudices

À condition d’être saisi de telles conclusions, le juge du contrat peut également faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.

Les conclusions indemnitaires peuvent faire l’objet d’un recours propre ou être présentées dans le cadre du recours tendant à contester la validité du contrat.

Dans ce dernier cas, la recevabilité des conclusions indemnitaires doit être appréciée indépendamment de la recevabilité des conclusions tendant à contester la validité du contrat.

La recevabilité des conclusions indemnitaires est soumise, selon les modalités du droit commun, à l’intervention d’une décision préalable de l’administration de nature à lier le contentieux (CE, 4 juill. 2012, Ministre de la défense et des anciens combattants, n° 352714).

Le concurrent évincé a ainsi toujours la faculté de présenter des conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière de la procédure d’attribution du contrat.

Le cas échéant, le candidat doit établir qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués à cause de son éviction.

Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat administratif demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, le juge doit d’abord vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.

Dans l’affirmative, il n’a droit à aucune indemnité.

Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre.

Lorsque l’offre d’un candidat évincé était irrégulière et alors même que l’offre de l’attributaire l’était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait pu user de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat (CE, 18 déc. 2020, Société Architecture Studio, n° 429768).

Le juge doit ensuite rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat.

Dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet d’une indemnisation spécifique (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, n° 249630 ; CE, 15 déc. 2011, Société Blanchisserie Rongaglia, n° 348110).

Ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu (CE, 8 fév. 2010, Commune de la Rochelle, n° 314075).

En revanche, le candidat irrégulièrement évincé ne peut prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général (CE, 19 déc. 2012, Commune de Calvaire-sur-Mer, n° 355139).

L’insuffisance de la concurrence constitue un motif d’intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public (CE, 17 sept. 2018, Société Le Pagus, n° 407099).

Lorsqu’il est saisi par un candidat qui a droit à l’indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l’attribution d’un marché, il appartient également au juge d’apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain.

Dans le cas où le marché est susceptible de faire l’objet d’une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en tant qu’il porte sur la période d’exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions (CE, 2 déc. 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, n° 423936).

 

Les autres recours devant le juge de l’excès de pouvoir

Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, les tiers disposent, à condition toujours de justifier d’un intérêt pour agir suffisant, de plusieurs autres voies de recours devant le juge de l’excès de pouvoir.

Les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat.

Ils ne peuvent toutefois soulever, dans le cadre d’un tel recours, que des moyens tirés de vices propres à l’acte d’approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même (CE, 23 déc. 2016, ASSECO-CFDT du Languedoc-Roussillon, n° 392815).

Ils peuvent en revanche demander l’annulation de l’acte d’approbation par voie de conséquence de ce qui est jugé sur le recours formé contre le contrat (CE, 27 janv. 2023, Société Autoroutes du Sud de la France (ASF), n° 462752).

Les actes d’approbation d’un contrat sont seulement ceux qui émanent d’une autorité distincte des parties contractantes, qui concernent des contrats déjà signés et qui sont nécessaires à leur entrée en vigueur.

Ne sont pas au nombre de ces actes ceux qui, même s’ils indiquent formellement approuver le contrat, participent en réalité au processus de sa conclusion (CE, 2 déc. 2022, Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon, n° 454318).

Les tiers sont également recevables à demander l’annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif qui portent une atteinte directe et certaine à leurs intérêts (CE, 9 fév. 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, n° 404982).

Revêtent un caractère réglementaire les clauses d’un contrat qui ont, par elles-mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement d’un service public.

Les tiers peuvent également demander l’annulation du refus d’abroger des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif à raison de leur illégalité (CE, 9 fév. 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération, n° 404982).

Un requérant peut, par une même requête, saisir le juge administratif de conclusions d’excès de pouvoir et de conclusions de plein contentieux, dès lors que ce juge a compétence pour statuer sur les unes et les autres (CE, 21 août 2019, Association Gardez les caps et autres, n° 421190).

Cyril PERRIEZ

Avocat au barreau de Paris

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