La question de la cession tacite des droits d’auteur divise souvent les graphistes et les entreprises.

Certains estiment qu’une utilisation prolongée ou l’absence de protestation peuvent valoir accord implicite.

Pourtant, si la jurisprudence admet en théorie la possibilité d’une cession tacite, elle en rend la preuve si exigeante qu’elle devient, dans la pratique, quasi impossible à établir.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai le 20 novembre 2025 (RG n° 24/00114) en offre une illustration frappante, rappelant que la tolérance ou la connaissance d’une exploitation ne sauraient tenir lieu de consentement valable.

L’exigence d’un écrit ad probationem

L’article L.131-2 du Code de la propriété intellectuelle impose que les contrats de cession de droits d’auteur soient constatés par écrit. La jurisprudence précise que l’écrit n’est pas une condition de validité absolue du contrat, mais son absence place celui qui invoque une cession tacite dans une position délicate.

En outre, l’article L.131-3 du même code exige que chaque droit cédé fasse l’objet d’une mention distincte et que le domaine d’exploitation soit délimité avec précision — étendue, destination, lieu et durée.

À défaut, la cession est réputée nulle ou, à tout le moins, inopposable.

Dans ce contexte, une cession tacite reste théoriquement possible, mais seulement si celui qui l’invoque est capable de prouver une autorisation non équivoque de l’auteur, ainsi que ses limites précises : durée, territoire et supports d’exploitation.

Une tolérance ne vaut pas cession

Dans l’affaire examinée, un graphiste avait créé une œuvre commandée par une maison de champagne. L’entreprise avait ensuite reproduit cette œuvre sur des étiquettes de bouteilles, des emballages et son site web, sans accord écrit.

L’artiste, informé de cette exploitation, n’avait pas réagi pendant plusieurs années. L’entreprise invoquait alors une cession tacite, soutenant que l’absence de protestation pendant six ans valait consentement.

La Cour a rejeté cet argument en rappelant que la simple connaissance ou tolérance ne suffit pas à caractériser une cession tacite.

Elle a précisé que, pour qu’une telle cession soit valable, il faudrait prouver l’étendue exacte des droits cédés, leur durée, leur territoire d’application, ainsi qu’un consentement non équivoque de l’auteur. Or, en l’espèce, aucun élément ne permettait d’établir ces conditions.

Pourquoi la cession tacite est-elle si difficile à prouver ?

La jurisprudence est constante : une cession tacite ne peut être retenue que si l’auteur a manifesté de manière non équivoque son accord sur l’exploitation de son œuvre, et si les contours de cette cession — durée, étendue, territoire — sont clairement définis.

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2000, il a été jugé que « l’acceptation par l’artiste du principe de la reproduction ne peut suffire à caractériser l’existence d’une cession de ses droits d’auteur ». Autrement dit, même si un auteur tolère une exploitation, cela ne signifie pas qu’il a consenti à une cession de ses droits.

De même, dans un arrêt du 12 juillet 2006, la Cour de cassation a rappelé que les cessions générales de droits sont prohibées, et qu’une cession tacite doit être aussi précise qu’une cession écrite.

Quelles conséquences pour les graphistes et les entreprises ?

Pour les graphistes :

Cet arrêt rappelle qu’ils ne doivent pas hésiter à faire valoir leurs droits d’auteur si aucune cession n’a été expressément prévue. Une tolérance ou une absence de réaction ne peut être interprétée comme une renonciation à leurs droits.

Il est donc essentiel de réagir rapidement en cas d’exploitation non autorisée et, le cas échéant, d’engager des actions en justice pour faire respecter leurs droits.

Pour les entreprises :

Cet arrêt souligne les risques majeurs encourus en cas d’exploitation non autorisée.

La bonne foi ou l’absence de protestation de l’auteur ne suffisent pas à écarter une condamnation pour contrefaçon.

Il est donc impératif de procéder à un audit des usages des œuvres protégées et de régulariser les situations en obtenant des autorisations écrites et précises.

Etienne Bucher
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