Le législateur a défini le marché public de travaux comme ayant pour objet la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature et sa conception (Code de la commande publique, article L1111-2). La raison d'être de cette définition est expliquée par le législateur européen qui rappelle que "La réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par un pouvoir adjudicateur requiert que le pouvoir en question ait pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou, à tout le moins, d’exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci. Le fait que le contractant réalise tout ou partie de l’ouvrage par ses propres moyens ou qu’il en assure la réalisation par d’autres moyens ne devrait pas avoir d’incidence sur la qualification du marché en tant que marché de travaux, tant que le contractant a l’obligation directe ou indirecte, légalement exécutoire, de garantir la réalisation des travaux." (Directive 2014/24, §9). En d'autres termes, peu importe la qualification donnée par les parties au contrat, lorsqu'un acheteur public confie à un opérateur la réalisation d'un ouvrage, il s'agit d'un marché public s'il y a eu influence déterminante de l'acheteur public.

Jusqu'ici, pour apprécier si l'acheteur a exercé une influence déterminante, la jurisprudence européenne permettait d'identifier quelques indices. Le fait que l’ouvrage n’est pas encore entamé lorsque l’acheteur public se porte acquéreur créé une présomption de marché public de travaux (CJUE, 10 juill. 2014, aff. C-213/13, Impresa Pizzarotti & C. SpA c/ Cne Bari). En outre, l’acheteur doit s’abstenir de fournir des « prescriptions très détaillées » révélant « un descriptif précis des bâtiments à construire, de leur qualité et de leurs équipements » allant « bien au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine envergure » (CJUE, 29 octobre 2009, Commission contre Allemagne, Aff. C-536/07, pt. 58). 

Dans une récente décision, le Conseil d'Etat a considéré qu'une VEFA constituait un marché public eu égard :

  • Au contenu des notices descriptives des prestations techniques d'aménagement du bâtiment, lesquelles répondaient à des besoins définis par l'acheteur public ;
  • Au nombreux aménagements intérieurs, nécessaires aux activités spécifiques devant s'y dérouler.

"4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier du contrat en litige, de la notice descriptive sommaire et du cahier des prestations techniques d'aménagement et de livraison qui lui sont annexés, ainsi que de la lettre du 18 mai 2017 que le centre hospitalier a adressé à France domaine, que tant l'aménagement du bâtiment existant A que la construction et l'aménagement du nouveau bâtiment C répondent aux besoins exprimés par le centre hospitalier, visant à regrouper ses activités ambulatoires de psychiatrie infanto-juvénile ainsi que le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel et les hôpitaux de jours consacrés à l'accueil d'enfants de moins de 12 ans, et aux exigences spécifiques qu'il a fixées relatives, d'une part, à l'implantation du nouveau bâtiment C dans la continuité du bâtiment A, d'autre part, aux nombreux aménagements intérieurs des bâtiments A et C nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s'y dérouler. En jugeant qu'un tel contrat, dénommé par les parties " bail en l'état futur d'achèvement ", constitue, en application des dispositions des articles 4 et 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point 3, un marché public de travaux dès lors que l'ouvrage répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier, estimant nécessairement qu'il avait exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage, la cour administrative d'appel de Marseille, qui n'a relevé qu'à titre surabondant l'existence d'une clause d'option d'achat, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce." (Conseil d'État, 3 avril 2024, n°472476).

Les conclusions du rapporteur public sont également éclairantes sur les indices susceptibles d'être pris en compte par le juge :

"Ce contrat, rappelons-le,  porte sur un ensemble indivisible de deux bâtiments existants et d’un bâtiment à construire.  En ce qui concerne le bâtiment B, qui existe déjà, le centre hospitalier n’occupera que le rez-  de-chaussée, qui s’étend sur 116 m², et il n’y a pas de travaux prévus. Quant au bâtiment A,  lui aussi déjà construit et dont l’hôpital occupera les 651 m², des travaux sont prévus pour  «l'adapter à une activité tertiaire », notamment en ouvrant des fenêtres et en créant un  escalier de secours. Ces travaux d’adaptation du bâtiment A ne seraient peut-être pas  suffisants, à eux seuls, pour caractériser un marché public. Mais ils sont indissociables des  demandes du centre hospitalier concernant le bâtiment C, bâtiment de 487 m² à construire  après la conclusion du contrat. Or l’implantation même de ce bâtiment C, dans la continuité  du bâtiment A dont il constitue une extension « en L », a été conçue pour répondre aux  besoins d’utilisation de ce bâtiment A par l’hôpital. Quant aux aménagements intérieurs de ce  bâtiment C, il nous semble ressortir des pièces du dossier soumis aux premiers juges qu’ils  sont destinés à répondre aux besoins spécifiques des usagers accueillis par le centre  hospitalier, en particulier les enfants. Et, d’ailleurs, puisque ces aménagements sont conçus  pour répondre au projet de l’établissement public d’installer dans le bâtiment des activités  médicales et non pas des services administratifs, ils sont en réalité, presque de ce seul fait,  suffisamment spécifiques pour être regardés comme répondant aux besoins précis du pouvoir  adjudicateur. Dans ces conditions, il nous semble que l’influence de la personne publique sur  la conception des ouvrages a bien été déterminante, de sorte que le contrat devait, comme l’a  jugé la cour, être qualifié de marché public de travaux. " (Conseil d'État, 3 avril 2024, n°472476, Conclusions).

Le risque de requalification en commande publique doit être maitrisé dans toutes les opérations immobilières publiques ou associant un acheteur public. Une analyse multicritère au cas par cas est nécessaire pour déterminer s'il y a lieu de procéder par mise en concurrence préalable. 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :

  • Dans les opérations immobilières du secteur public et de ses satellites ;
  • Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
  • Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

goulven.leny@avocat.fr - 06 59 96 93 12 - glenyavocat.bzh