La bienveillance, force mal connue de l'Avocat

Gazette du Palais - N° 35 - 28 oct. 2025

 

Par notre serment : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité », l’avocat s’engage à une exigence morale supérieure, pour permettre la confiance du justiciable et du juge.

Au cœur de ces principes, la confraternité et l’humanité occupent une place essentielle, alors qu’elles sont des obligations mal comprises.

 

La confraternité n’est pas corporatisme, encore moins solidarité aveugle entre professionnels au détriment des justiciables. Elle est, selon les mots de Jean Carbonnier, « une politesse de l’âme » et « l’expression juridique de la bienveillance ».

Elle impose à l’avocat de considérer son confrère, même adversaire, non pas avec amitié mais comme un partenaire du contradictoire servant la même cause : la Justice. Dans la passion et même parfois la rudesse nécessaire de nos combats, elle demeure un cadre indispensable. La vigueur de la défense ne saurait justifier la brutalité et l’irrespect.

 

À cette exigence de confraternité s’ajoute de manière encore plus forte l’obligation d’humanité, autre expression de la bienveillance juridique de l’avocat.

On peut défendre ardemment son client, mais sans blesser inutilement le confrère, la partie adverse ou le magistrat.

Ce terme d’humanité, surprenant pour notre métier de combat, traduit pourtant une évolution profonde du rapport à l’autre dans le Barreau : développement de l’avocat médiateur, sanction de la victimisation secondaire causée par la parole de l’avocat, procédures alternatives au contentieux, accompagnement des confrères en difficulté, réflexion sur les RPS, partage avec les juridictions.

 

La bienveillance n’est pas complaisance : elle est empathie, exigence d’écoute, attention à la dignité de chacun. La confraternité et l’humanité se rejoignent ainsi dans une même vocation : préserver la qualité de notre rôle de conseil et de défenseur. Ensemble, elles rappellent que l’avocat n’est pas un mercenaire du droit, mais un auxiliaire de Justice.

Le corporatisme et la complaisance enferment, la confraternité élève.

La brutalité affaiblit, l’humanité renforce.

Ces principes essentiels de notre profession, loin d’édulcorer la force du verbe de l’avocat, en demeurent le cœur.

Ils font de lui non seulement un professionnel du droit, mais un acteur éthique, garant du bon fonctionnement de la justice et du respect dû à chacun de ses protagonistes.

Dans notre domaine durci par la compétition, subissant la trop grande charge émotionnelle des dossiers et l’instrumentalisation par les acteurs politiques, la bienveillance juridique que constituent humanité et confraternité est un repère, un garde-fou car la justice se rend aussi dans nos mots, dans nos comportements et le vécu d’une procédure.

Il faut infiniment de bienveillance pour que la justice demeure humaine.

La grandeur du Barreau se mesure autant à la noblesse de ses comportements qu’à la puissance de ses moyens juridiques et de ses plaidoiries.

 

Sophie CHALLAN-BELVAL

Avocate au Barreau de ROUEN