Pacte Dutreil et exercice d’une activité professionnelle principale

 

L’arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 27 mars 2025 (n° 20/06755) évoque la question délicate de l’application du régime Dutreil pour les sociétés soumises à l’impôt sur le revenu et, plus particulièrement, sur l’exercice d’une activité professionnelle principale au sein de la société dont les titres sont transmis.

 

1. Rappel des faits

Monsieur L. est décédé en 2010 laissant pour héritiers deux enfants.

Dans le cadre du dépôt de la déclaration de succession, l’exonération Dutreil a été appliquée sur la valeur des titres de la SARL F. dont le défunt détenait 90 % des parts sociales et était gérant.

Outre sa participation dans la SARL F., le défunt détenait des participations dans trois autres sociétés (SARL L., SARL M. et SARL B.) dont il était également gérant.

En l'espèce, la société F., qui clôturait ses exercices au 31 mars, relevait du régime normal de l'impôt sur le revenu (catégorie des bénéfices industriels et commerciaux) jusqu'au 31 mars 2011 puis à compter du 1er avril 2011 du régime de l'impôt sur les sociétés.

L’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l’exonération Dutreil compte tenu du non-respect des règles propres à l’exercice de l’activité principale ou de la fonction de direction qui sont des conditions essentielles à l’application du régime Dutreil.

D’une part, l’administration fiscale considérait que le défunt n’exerçait pas son activité principale au sein de la SARL F.

D’autre part, l’administration fiscale considérait qu’un des héritiers n’exerçait pas son activité principale au sein de la SARL F. postérieurement au décès.

 

2. Analyse de l’arrêt

 

A. Rappel des conditions d’application du pacte Dutreil

Pour rappel, le régime du pacte Dutreil permet d’exonérer 75 % de la valeur de titres d’une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale en cas de donation et de succession.

L’application du régime du pacte Dutreil suppose, par principe, le respect de plusieurs conditions (hors engagement post mortem ou engagement réputé acquis) :

  • Un engagement collectif (ou, désormais, unilatéral) de conservation de deux ans ;
  • L’exercice par un des signataires de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation de son activité principale au sein de la société lorsque celle-ci est soumise à l’impôt sur le revenu ou l’exercice d’une fonction de direction lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés pendant la durée dudit engagement ;
  • Un engagement individuel de conservation de quatre ans pris par le donataire, héritier, légataire qui commence à courir à partir du terme de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation ;
  • A partir de la transmission et pendant une durée de trois ans, l’exercice par un signataire de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation ou par un donataire, héritier, légataire d’une activité principale au sein de la société lorsque celle-ci est soumise à l’impôt sur le revenu ou l’exercice d’une fonction de direction lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés.

Dans le cas d’espèce, on comprend que les héritiers avaient eu recours au dispositif de l’engagement collectif réputé acquis.

En effet, lorsqu’aucun engagement collectif (ou, désormais, unilatéral) n’a été conclu, le code général des impôts permet de considérer que cet engagement est réputé acquis lorsque plusieurs conditions sont respectées au jour de la transmission.

A l’époque des faits (et pour les transmissions réalisées à compter du 26 septembre 2007), un engagement était réputé acquis lorsque plusieurs conditions étaient réunies :

  • les parts ou actions sont détenues depuis deux ans au moins par le défunt ou le donateur ;
  • le pourcentage de titres détenus atteignait les seuils de 20 % ou 34 % ;
  • le défunt ou le donateur des titres exerçait effectivement depuis plus de deux ans à la date de la transmission son activité professionnelle principale ou une fonction de direction dans la société dont les titres sont transmis.

Désormais, un engagement est réputé acquis lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  • la société est détenue, directement ou indirectement dans la limite de deux niveaux d’interposition depuis deux ans au moins par une même personne physique, seule ou avec son conjoint, le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité (PACS) ou son concubin notoire ;
  • le pourcentage de titres détenus dans cette société atteint les seuils minimums (17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée) à la date de la transmission et les atteignait durant les deux ans au moins qui précédaient la date de cette transmission ;
  • l’une des personnes précitées exerce effectivement, depuis deux ans au moins à la date de la transmission, son activité professionnelle principale ou une fonction de direction éligible dans la société dont les titres sont transmis.

Dans le cadre d’un pacte Dutreil réputé acquis, l’engagement individuel débute à compter de la date d'enregistrement de l'acte qui le constate, s'agissant d'un acte sous seing privé, ou de la date de l'acte, s'agissant d'un acte authentique.

En outre, un donataire, héritier, légataire doit exercer immédiatement la fonction de direction (en ce sens Cass. Com 24 janvier 2024, n° 22-10413).

 

B. Sur l’analyse de l’activité principale par le défunt

La question était de déterminer si le défunt exerçait bien son activité professionnelle principale dans la SARL F.

L’administration fiscale remettait en cause l’exercice par le défunt de son activité principale au sein de la SARL F. dans la mesure où celui-ci exerçait également un mandat de gérant dans trois autres SARL.

Reprenant la définition applicable en matière d’ISF pour l’exonération des biens professionnels, la Cour d’appel indique que « l’activité professionnelle principale s’entend normalement de celle qui constitue pour le redevable l’essentiel de ses activités économiques et lorsqu’un tel critère ne peut être retenu, par exemple en cas de diverses activités professionnelles d’égale importance, il doit être considéré que l’activité principale est celle qui procure à l’intéressé la plus grande part de ses revenus ».

On se souvient que, s’agissant de l’exonération partielle applicable en matière d’ISF pour les mandataires sociaux (article 885 I quater du CGI), la Cour de cassation avait également jugé que l'activité principale n'impliquait pas nécessairement de percevoir une rémunération (Cass. com, 5 janvier 2016, n° 14-23681).

Au cas d’espèce, les héritiers avançaient plusieurs éléments chiffrés mais ceux-ci n’ont pas été retenus ni par l’administration fiscale ni par la Cour d’appel compte tenu de leur caractère contradictoire.

Les héritiers apportaient également plusieurs attestations de salariés de la SARL F. Cependant, la Cour d’appel rejette ces attestations estimant que « la portée probatoire de ces documents manifestement recopiés pour les besoins de la cause étant limitée, la preuve n'est pas rapportée que l'activité de gérant de la société F. était l'activité professionnelle principale » du défunt

S’agissant de l’appréciation des revenus, la Cour d’appel relève que l'origine des sommes versées au défunt et provenant de bénéfices industriels et commerciaux n'est pas déterminable au vu des documents versés aux débats ; de plus, les revenus tirés par le défunt de son activité au sein de la SARL F. étaient parfois d'un montant inférieur à ceux qui provenaient d'autres sociétés telles par exemple sa rémunération de la SARL B. en 2009 et en 2010, et celle que lui a versée la société L. en 2010

Par conséquent, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et estime que le défunt n’exerçait pas son activité professionnelle principale au sein de la SARL F.

 

C. Sur l’analyse de l’activité principale par un des héritiers

En premier lieu, compte tenu de l’option pour l’impôt sur les sociétés à compter du 1er avril 2011, un des héritiers justifiait qu’il exerçait une fonction de direction dans la SARL F à compter de cette date.

On relèvera toutefois que, même si la notion de fonction de direction est définie par le code général des impôts et fait l’objet de moins de discussions avec l’administration fiscale que la notion d’activité principale, la fonction de direction dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés doit être effectivement exercée.

Autrement dit, il ne s’agit pas de nommer par une décision des associés un donataire, héritier, légataire à une fonction de direction, mais il convient d’être en mesure de démontrer que la fonction de direction est effectivement exercée, c’est-à-dire que le titulaire consacre à sa fonction de direction une activité et des diligences constantes et réelles.

En second lieu, la question débattue concernait également l’exercice par l’héritier de son activité principale au sein de la SARL F. jusqu’au 31 mars 2011, date de clôture du dernier exercice au cours de laquelle la SARL F. était soumise à l’impôt sur le revenu.

Le tribunal judiciaire avait relevé que l’héritier exerçait concomitamment une activité au sein d’une société de plomberie qu'il avait créée et qu'il avait perçu en 2010 des salaires pour un montant cinq fois supérieur à la rémunération qui lui était allouée en sa qualité de gérant de la SARL F.

La Cour d’appel procède à une analyse détaillée des revenus professionnels soulignant que, si l’héritier a perçu des revenus de substitution provenant de l’assurance-chômage, il a également perçu des revenus professionnels, dont il n’indiquait pas la provenance.

Ainsi, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et la rectification fiscale.

 

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Cet arrêt nous permet de rappeler que, dans le cadre d’une transmission d’entreprise soumise au régime de l’impôt sur le revenu avec application d’un pacte Dutreil, la question de l’exercice d’une activité principale par le donateur/défunt ainsi que par les donataires, héritiers ou légataires est cruciale et soulève régulièrement des problématiques en présence d’une pluralité de sociétés.

En outre, dans certains secteurs d’activité (secteur agricole par exemple), il n’est pas rare que le donateur/défunt exerce une activité au sein de plusieurs sociétés soumises à l’impôt sur le revenu empêchant ainsi les donataires, héritiers, légataires de bénéficier de l’exonération Dutreil sur la totalité des titres transmis.

C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’anticiper et bien souvent d’opérer des réorganisations afin de permettre l’application du dispositif Dutreil sur l’ensemble des titres transmis.

 

Yan Flauder

Avocat spécialisé en droit fiscal

Barreau de Toulouse

www.flauder-avocat-toulouse.fr