1. L’économie générale du régime des conventions réglementées
Le droit des sociétés anonymes repose sur un équilibre entre pouvoir et contrôle. Ce mécanisme atteint son expression la plus rigoureuse dans le traitement des conventions réglementées, prévu par les articles L. 225-86 et suivants du code de commerce.
Ce régime a pour finalité de prévenir les conflits d’intérêts en imposant un filtre institutionnel préalable lorsque le dirigeant social intervient dans une opération contractuelle avec la société qu’il administre ou dirige.
Il s’agit d’une procédure à la fois préventive et transparente : le conseil de surveillance (ou d’administration) doit être informé de la convention envisagée, évaluer son intérêt pour la société et l’autoriser avant signature. Le dirigeant intéressé est écarté du vote.
Cette autorisation doit ensuite être communiquée au commissaire aux comptes, qui établit un rapport spécial soumis à l’assemblée générale. L’objectif est d’assurer une information exhaustive des actionnaires et d’éviter que des avantages occultes soient consentis au profit d’un organe dirigeant.
2. Les critères de qualification de la convention réglementée
Le champ d’application du régime est large. Constitue une convention réglementée tout accord intervenant entre :
- la société et un membre du directoire ou du conseil de surveillance ;
- la société et une personne interposée pour le compte de ces dirigeants ;
- ou la société et toute personne dans laquelle un dirigeant détient un intérêt direct ou indirect.
L’exclusion des opérations courantes conclues à des conditions normales (article L. 225-87) doit être interprétée strictement. Elle vise les contrats relevant de la gestion quotidienne et exécutés dans des conditions de marché ordinaires.
Ainsi, un dirigeant qui, en sa qualité de salarié, bénéficie d’un avantage collectif qu’il a lui-même mis en place ne peut se prévaloir de cette exception, la convention portant nécessairement sur sa situation personnelle.
3. La portée de l’autorisation préalable
L’autorisation n’a pas pour effet de rendre la convention irrévocable. Elle n’est qu’un acte de prévention, destiné à vérifier la conformité de la convention à l’intérêt social.
À défaut d’autorisation, l’article L. 225-90 prévoit que la convention peut être annulée si elle a eu des conséquences dommageables pour la société.
Cette nullité est facultative et subordonnée à la preuve d’un préjudice : elle n’est pas automatique.
En revanche, l’absence d’autorisation engage le responsable du manquement. C’est ici que s’inscrit la portée déterminante de la jurisprudence du 17 septembre 2025 : elle dissocie la nullité de la convention de la responsabilité du dirigeant, en érigeant le non-respect de la procédure en faute autonome.
4. L’arrêt du 17 septembre 2025 : une clarification majeure
L’affaire à l’origine de cette décision opposait une société anonyme à son président du directoire, également salarié. Ce dernier avait mis en place un compte épargne-temps par accord collectif sans solliciter l’autorisation du conseil de surveillance. À son départ à la retraite, la société découvrit que cet accord lui avait bénéficié et réclama la restitution des sommes versées.
La cour d’appel de Lyon rejeta l’action au motif qu’aucune dissimulation ni fraude n’était caractérisée. La Cour de cassation cassa l’arrêt, jugeant que le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, à lui seul, une infraction aux dispositions légales applicables et, partant, une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant.
Cette position consacre une faute objective, indépendante de toute intention frauduleuse.
5. Une faute de gestion autonome : portée et fondement
L’article L. 225-251 du code de commerce prévoit que les dirigeants sont responsables, individuellement ou solidairement, des infractions aux dispositions législatives applicables aux sociétés, des violations des statuts et des fautes commises dans leur gestion.
L’arrêt du 17 septembre 2025 illustre une interprétation stricte de ce texte : la méconnaissance du formalisme des conventions réglementées constitue en soi une « infraction aux dispositions législatives ».
Aucune intention n’est requise ; la seule omission suffit.
Ainsi, la faute de gestion est détachée de toute appréciation subjective. Peu importe que la convention ait profité à la société ou qu’aucun préjudice concret n’ait été démontré : la violation de la procédure emporte, à elle seule, la responsabilité du dirigeant.
Cette lecture confère à la responsabilité civile des dirigeants une dimension quasi-réglementaire : elle sanctionne la défaillance de gouvernance, non la mauvaise foi.
6. Les incidences pratiques de la jurisprudence
La décision renforce l’exigence de conformité interne des sociétés et appelle une vigilance accrue des organes de contrôle.
a. Pour la société
La société dispose désormais d’un levier d’action plus large. Elle n’a plus à établir la dissimulation ou la fraude pour engager la responsabilité de son dirigeant. Le seul constat de l’absence d’autorisation suffit.
Ce principe permet d’agir plus rapidement et plus efficacement en cas d’irrégularité détectée.
b. Pour le dirigeant
Le risque personnel s’intensifie. Le dirigeant qui néglige le formalisme encourt non seulement la restitution des sommes perçues, mais aussi la réparation de tout dommage subi par la société.
La faute peut être retenue même si la convention n’a pas causé de perte financière directe. Il s’agit d’une faute de gouvernance, susceptible d’être invoquée à l’occasion d’une action sociale ou d’une révocation pour juste motif.
c. Pour les commissaires aux comptes
Leur rôle devient central : ils doivent vérifier la régularité du processus d’autorisation et signaler toute irrégularité dans leur rapport spécial. En cas de manquement à ce contrôle, leur responsabilité professionnelle pourrait également être recherchée.
7. La distinction entre nullité de la convention et responsabilité du dirigeant
La nullité d’une convention non autorisée n’est pas automatique : elle suppose un préjudice avéré pour la société.
La responsabilité du dirigeant, en revanche, découle du simple non-respect de la loi.
Cette dualité illustre la différence de finalité :
- la nullité vise la protection du patrimoine social ;
- la responsabilité sanctionne la violation d’une règle de gouvernance.
Il est donc envisageable qu’une convention non autorisée mais économiquement avantageuse pour la société ne soit pas annulée, tout en entraînant la responsabilité personnelle du dirigeant pour faute de gestion.
8. L’extension possible à d’autres formes de sociétés
Si la décision concerne une société anonyme à directoire et conseil de surveillance, sa portée dépasse cette structure.
Les principes dégagés peuvent s’appliquer par analogie aux SARL (article L. 223-19 du code de commerce) et aux SAS, dont les statuts peuvent prévoir une procédure équivalente.
Les juges tendent à transposer l’exigence de loyauté et de transparence à l’ensemble des formes sociales, dès lors qu’un lien d’intérêt personnel du dirigeant est caractérisé.
Pour les SAS, cette approche invite à institutionnaliser dans les statuts une procédure de déclaration et d’autorisation des conventions, afin d’éviter tout risque de requalification.
9. Les recommandations opérationnelles pour les dirigeants et conseils
L’enseignement principal de cette jurisprudence est la nécessité de renforcer la traçabilité décisionnelle.
Un dispositif efficace doit comporter :
- Un registre des conventions réglementées, tenu à jour et accessible au conseil.
- Des procès-verbaux circonstanciés, mentionnant l’information préalable et le retrait du dirigeant intéressé.
- Une communication systématique au commissaire aux comptes dans le délai d’un mois.
- Une présentation annuelle claire à l’assemblée générale, y compris pour les conventions déjà autorisées et toujours en cours.
Les conseils juridiques et avocats doivent parallèlement auditer la conformité de ces pratiques et former les dirigeants à leurs obligations.
La culture de la conformité devient un élément essentiel de la responsabilité managériale.
Conclusion
L’arrêt du 17 septembre 2025 confère au régime des conventions réglementées une portée disciplinaire nouvelle.
Le manquement à la procédure d’autorisation, même dépourvu d’intention frauduleuse, constitue une faute de gestion autonome.
Cette évolution traduit une tendance profonde : la responsabilité des dirigeants se détache de la seule recherche du préjudice pour devenir un instrument de moralisation de la gouvernance.
Désormais, la convention réglementée non autorisée n’est plus seulement un vice de forme : elle symbolise un défaut de loyauté envers la société et ses actionnaires.
Le dirigeant doit donc internaliser cette exigence de rigueur, et les conseils qui l’accompagnent doivent veiller à ce que chaque opération impliquant un intérêt personnel fasse l’objet d’une autorisation préalable, motivée et documentée.
Plus qu’une contrainte, cette formalité devient un acte de bonne gouvernance. Sa méconnaissance, désormais, suffit à engager la responsabilité du dirigeant, indépendamment de toute intention.
LE BOUARD AVOCATS
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