Le Mandat d'Arrêt Européen ou la coopération judiciaire au mépris des droits de la défense. 

 

Annonciateur de l'émergence d'un Droit Pénal Européen, le Mandat d'Arrêt Européen institué par une Décision-cadre du Conseil Européen (2002/584/JAI) en date du 13 juin 2002, se substitue entièrement au Droit traditionnel de l'Extradition entre Etats membres de l'Union Européenne dans le cadre du système Eurojust. 

Mais en l'absence d'une harmonisation des différentes législations pénales européennes, le risque est grand que la coopération judiciaire ainsi instaurée ne se fasse au mépris des droits de la défense. 

Parce que, pour la même raison, il revient à chaque Etat membre d'intégrer dans son Droit interne les nouvelles dispositions européennes (loi n°2004-204 du 9 mars 2004-articles 695-11 à -51 CPP), nous limiterons nos observations à la place réservée aux droits de la défense, dans les textes et en pratique, par la France Etat de réception ou d'exécution (la question ne se posant pas lorsqu'elle est Etat d'émission) d'un Mandat d'Arrêt Européen décerné par une juridiction étrangère (articles 695-22 à 695-25 du CPP). 

 

1/ Les droits de la défense limités à la portion congrue dans les textes (art.695-26 à 695-36 et 695-46 du CPP) 

La procédure d'exécution en France du Mandat d'Arrêt Européen est prévue aux articles 695-26 à 695-28 du Code de Procédure Pénale (a). 

La décision de remise aux autorités judiciaires de l'Etat d'émission est prise par la Chambre de l'Instruction dans les conditions prévues par les articles 695-29 à 695-36 du même code (b). 

Enfin, l'article 695-46 est relatif lui, aux demandes d'extension ( c). 

a- L'autorité judiciaire chargée de l'exécution du Mandat d'Arrêt Européen émanant d'un Etat membre de l'Union Européenne est le Procureur Général territorialement compétent qui le reçoit, par tout moyen laissant une trace écrite, et qui s'assure à cette occasion, de la régularité de la requête. 

Selon l'article 695-27 du CPP la personne appréhendée en exécution du Mandat d'Arrêt Européen doit être présentée au plus tard, dans les quarante-huit heures, devant le Procureur Général. Dans l'intervalle, la personne fait l'objet d'une rétention judiciaire qui ne dit pas son nom, et à laquelle est en principe applicable le régime de la garde à vue, à ceci près que l'éventuelle nullité de celle-ci ne saurait jamais affecter la validité de la procédure d'exécution d'un Mandat d'Arrêt Européen selon Crim. 23 sept. 14 Pourvoi N° 12-1486162. 

Le Procureur Général procède à la notification des droits de l'intéressé. Après vérification de l'identité de la personne, il l'avise notamment, de l'existence et du contenu du Mandat d'Arrêt Européen dont elle est l'objet ( en présence d'un interprète si nécessaire). 

A ce stade, le rôle de l'Avocat est évidemment essentiel puisqu'il doit conseiller utilement son client sur l'opportunité de consentir ou non à sa remise aux autorités judiciaires de l'Etat requérant, et les conséquences juridiques de l'exercice de cette option. 

C'est donc la stratégie de défense pour l'ensemble de la procédure qui doit être arrêtée dès l'origine, en accord avec le client, sachant que si c'est l'option de la remise qui est retenue par celui-ci, la Chambre de l'Instruction compétente statue en principe, dans les sept jours de la comparution de l'intéressé, après un simple examen formel des conditions d'exécution du Mandat d'Arrêt Européen, et sans aucun recours. Autant dire dans ces conditions, que les droits de la défense se réduisent à une peau de chagrin. 

Mais le Procureur Général peut en outre, décider ( la plupart du temps en pratique) de ne pas laisser la personne en liberté, qui n'est donc pas recouvrée à l'issue de la garde à vue ( la rétention judiciaire). 

Il doit dans ce cas, en faire la demande au Premier Président de la Cour d'Appel ( ou au magistrat du siège désigné par lui) qui ordonne l'incarcération sauf garanties de représentation suffisantes. 

Cette évolution est heureuse quand on sait qu'initialement le Procureur Général décidait seul du placement ou non en détention provisoire, dernier vestige dans notre arsenal législatif d'un cas de privation de liberté laissé à l'initiative du Parquet. 

b- La personne objet d'un Mandat d'Arrêt Européen doit comparaître devant la Chambre de l'Instruction, au plus tard, dans les cinq jours ouvrables à compter de sa présentation devant le Procureur Général, afin que la juridiction statue sur la suite à donner à la demande de remise présentée par l'Etat requérant. 

Par une décision insusceptible de tout recours, la Chambre de l'Instruction peut autoriser ledit Etat à intervenir à l'audience par l'intermédiaire d'un représentant de son choix ( qui devra toutefois justifier d'un pouvoir même s'il est avocat) afin d'y formuler des observations orales. Bien en effet, que l'article 695-30 dernier alinéa du CPP précise que dans ce cas, l'Etat requérant ne devienne pas pour autant, partie à la procédure, et que l'on s'accorde en général à considérer dès lors qu'il aurait la qualité de simple témoin, il arrive néanmoins en pratique, qu'il soit admis à déposer des écritures. 

Ainsi qu'il a déjà été dit, si la personne objet du Mandat d'Arrêt Européen consent à sa remise, la Chambre de l'Instruction lui en donne acte après un simple examen formel de la réunion des conditions légales d'exécution dudit mandat, et rend sa décision insusceptible de tout recours, dans un délai maximal de sept jours à compter de la comparution de la personne recherchée. 

Toutefois, il est prévu que la remise puisse être subordonnée à la vérification auprès de l'Etat requérant ( dont celui-ci doit justifier) que la personne recherchée peut notamment, former opposition au jugement rendu en son absence et être jugée contradictoirement, lorsqu'elle n'a pas été citée à personne ni même été informée de la date et du lieu de son procès sur les faits faisant l'objet du Mandat d'Arrêt Européen. 

Une telle faculté est pourtant, il faut bien le dire, insuffisamment mise en œuvre en pratique. 

Plus souvent en revanche, la Chambre de l'Instruction est amenée à solliciter de l'Etat requérant un complément d'information rendu nécessaire pour lui permettre de statuer, sur le fondement de l'article 695-33 du CPP ( dans un délai maximum de dix jours pour la réception des renseignements complémentaires). Notons que cette faculté reste ouverte même dans le cas où la personne recherchée a consenti à sa remise, ce qui a pour effet, a minima, de différer ladite remise au-delà du délai de sept jours prévu à l'article 695-31 alinéa 3 du CPP. 

c- L'article 695-46 du même code enfin, traite des demandes d'extension formulées par les autorités judiciaires de l'Etat membre d'émission en vue de consentir à des poursuites ou à la mise à exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté prononcées pour d'autres infractions que celles ayant motivé la remise et commises antérieurement à celle-ci. 

La Chambre de l'Instruction statue au vu des déclarations de la personne remise, telles que consignées sur Procès-Verbal transmis par l'Etat requérant, et le cas échéant, complétées des observations de son avocat. Elle s'assure également que la demande complémentaire ( d'extension) comporte aussi les renseignements prévus à l'article 695-13 du CPP. 

Dans une importante décision n°2013-314QPC du 14 juin 2013, le Conseil Constitutionnel a fort opportunément jugé "qu'en privant les parties de la possibilité de former un recours en cassation contre l'arrêt de la Chambre de l'Instruction statuant sur une telle demande ( d'extension), les dispositions contestées apportent une restriction injustifiée au droit à exercer un recours juridictionnel effectif; que par suite, au quatrième alinéa de l'article 695-46 du CPP, les mots "sans recours" doivent être déclarés contraires à la Constitution". 

Tout aussi opportunément, le Conseil Constitutionnel a décidé en outre que sa déclaration d'inconstitutionnalité serait applicable à tous les pourvois en cassation en cours à cette date. 

 

2/ Le libre exercice des droits de la défense également mis à mal en pratique ( articles 695-22 à 695-25 du CPP) 

 

On le sait le grand apport de l'institution du Mandat d'Arrêt Européen, c'est l'instauration voulue d'une coopération judiciaire pénale renforcée entre Etats membres de l'Union Européenne, reposant sur une confiance et une reconnaissance mutuelles systématiques des décisions judiciaires et des systèmes juridiques respectifs des parties, avec, a priori, la suppression de toute interférence du politique ( contrairement à l'ancienne procédure d'extradition) dont le rôle se voit cantonné à un simple "appui logistique". 

Mais ainsi qu'il a déjà été dit, le risque est grand en l'absence d'harmonisation des différentes législations européennes que la coopération judiciaire ainsi instaurée ne se fasse au détriment d'un libre exercice effectif des droits de la défense. 

En pratique, la question se pose essentiellement en cas d'opposition à la remise. Or précisément, l'article 695-25 du CPP rappelle que "Tout refus d'exécution d'un Mandat d'Arrêt Européen doit être motivé". 

L'article 695-24 du même code prévoit que la remise peut-être refusée notamment, lorsque la personne recherchée fait déjà l'objet de poursuites devant les juridictions françaises ou si celles-ci ont décidé de ne pas engager de poursuites ou d'y mettre fin, pour les mêmes faits que ceux faisant l'objet du Mandat d'Arrêt Européen, ou encore si ces faits ont été commis, en tout ou en partie, sur le territoire français. 

On peut regretter que ces causes de refus ne soient pas obligatoires plutôt que facultatives, l'option ainsi ouverte à la juridiction ne paraissant pas justifiée autrement que par une sorte de" concession" faite à l'autorité judiciaire de l'Etat requérant. 

Il existe pourtant bien deux cas de refus "obligatoires" prévus aux articles 695-22 et 695-23 du CPP qui pourraient être intéressants ( du point de vue de l'avocat). Il s'agit d'une part, de la réserve traditionnelle à la matière, du motif politique au sens large ( art; 695-22 5/), et du contrôle de la double incrimination ( art.695-23). 

Sur le premier point, la remise devrait être systématiquement refusée en pratique, lorsque le Mandat d'Arrêt Européen a été émis dans le but de poursuivre ou de condamner une personne en raison de son sexe, sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu'il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour les mêmes raisons. Mais on voit bien aussitôt, la difficulté de preuve à laquelle se heurte le praticien, notamment s'agissant de la démonstration du "risque encouru par son client en cas de renvoi". 

Or cette quasi-impossibilité pratique est encore renforcée par le mécanisme du contrôle de la double incrimination mis en place à l'article 695-23 du CPP. En effet, aussitôt après avoir rappelé le principe selon lequel la remise est refusée lorsque le fait faisant l'objet du Mandat d'Arrêt Européen ne constitue pas une infraction au regard de la loi française, le législateur s'empresse de vider ledit principe de tout contenu en listant trente-deux infractions fourre-tout, supposées a priori, d'une gravité suffisante dès lors qu'elles sont, aux termes de la loi de l'Etat requérant, punis d'une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement ou d'une mesure de sûreté privative de liberté de durée similaire. 

En outre, il est également prévu au même article de loi que la qualification juridique de ces faits et la détermination de la peine encourue relèvent de l'appréciation exclusive de l'autorité judiciaire de l'Etat requérant. C'est donc, dans ce cas, un véritable blanc-seing qui est ainsi délivré à cette dernière par l'autorité judiciaire française. 

Il est donc facile en pratique, pour un Etat membre de l'Union Européenne de " réclamer" à la France une personne recherchée pour des motifs politiques sous couvert d'un " habillage juridique" d'infractions de droit commun, par exemple pour corruption ou blanchiment du produit d'un crime ou délit ( les infractions financières sont nombreuses), la France prêtant alors son concours à un règlement de compte politico-judiciaire à travers un véritable détournement de procédure orchestré par l'Etat requérant. 

Si l'on ajoute à cela des délais de procédure extrêmement courts: sept jours si consentement à la remise, dix jours pour le complément d'informations, soixante jours maximum pour la procédure " normale" ( si opposition à remise), quatre-vingt dix jours en cas de renvoi après cassation, on se dit que de la coopération judiciaire à la justice expéditive, le pas pourrait être franchi.