« Dans le journalisme, l’honnête homme est celui qui se fait payer l’opinion qu’il a ; le malhonnête celui qu’on paie pour avoir l’opinion qu’il n’a pas » (Edmond et Jules de Goncourt). Au sujet de la rémunération versée aux journalistes, un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris s’est penché sur ce sujet.

1- Rappel par les Juges des règles applicables en matière de droit d’auteur des journalistes salariés.

En confirmant le jugement du Tribunal judiciaire de Bobigny, qui a validé le redressement de cotisations de sécurité sociale au titre de sommes qualifiées de droits d’auteurs versées aux journalistes, en plus de leurs salaires, la Cour d’appel de Paris ne fait que rappeler les dispositions légales applicables à l’exploitation des œuvres des journalistes salariés. (Cour d’appel de Paris, Pôle 6 ch. 12, 22 mars 2024 n°20/01337).

En effet, on peut diviser le raisonnement des Juges du fond en trois temps.

Dans un premier temps, la Cour rappelle la distinction entre le salaire et la rémunération sous forme de droits d’auteurs.

Dans un second temps, elle rappelle la présomption de salariat du journaliste professionnel.

Et enfin, elle achève son raisonnement, en rappelant le régime dérogatoire du droit d’auteur des journalistes professionnels.

– Le rappel de la distinction entre le salaire et la rémunération sous forme de droit d’auteur du journaliste professionnel.

Les Juges rappellent, à juste titre, que le journaliste professionnel est, soit rémunéré en salaire, à savoir « des sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail » (art. L.242-1 du Code de la sécurité sociale), dans le cadre du titre de presse pendant une période fixée par l’accord d’entreprise ou tout autre accord collectif.

Ou soit, il est rémunéré en droit d’auteur, qui n’a pas le caractère de salaire, conformément aux dispositions de l’article L. 132-42 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, l’exploitation des œuvres des journalistes hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse, est soumise à l’accord préalable et exprès de l’auteur. (Art. L. 132-38 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).

Les droits d’auteurs sont déterminés conformément aux articles L. 131-4 et L. 132-6 du Code de la propriété intellectuelle. Qui précisent, pour le premier que, « la cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle », et que la rémunération sous forme de droit d’auteur, doit être proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ; Et à titre exceptionnel, la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans des cas limitativement énumérés par la loi (art. L. 131-4 CPI) ; Et pour le second, les modalités de rémunération, concernant l’édition de librairie (art. L. 131-6 CPI).

– Dans un second temps, les juges rappellent la présomption de salariat du journaliste professionnel.

En effet, au sens de l’article L. 7111-3 du Code du travail : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties
 ».

Ainsi, tout journaliste professionnel, bien que rémunéré à la pige par l’entreprise de presse pour laquelle il collabore, peut bénéficier du statut particulier reconnu aux journalistes professionnels salariés découlant de la convention collective nationale des journalistes et surtout, des dispositions du code du travail qui ne dérogent pas à ce statut (congés-payés, 13e mois, indemnités de licenciement, assurance chômage, etc.).

Enfin, les juges du fond finissent leur raisonnement juridique par un rappel du régime dérogatoire des journalistes salariés.

En effet, la loi du 12 juin 2009, dite « Loi HADOPI » a instauré un principe de cession automatique des droits d’exploitation des œuvres des journalistes au profit de leur employeur.

– D’une part, l’exploitation dans le titre de presse : le journaliste perçoit exclusivement un salaire


En effet, les Juges rappellent les dispositions de l’article L. 132-36 du CPI, selon lesquelles :

« Par dérogation à l’article L. 131-1 et sous réserve des dispositions de l’article L. 121-8, la convention liant un journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, qui contribue, de manière permanente ou occasionnelle, à l’élaboration d’un titre de presse, et l’employeur emporte, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées. »

Ce texte prévoit la cession automatique des droits d’exploitation du journaliste salarié à son employeur, organe de presse qui l’emploie, quels que soient le support d’exploitation et la nature de la publication.

Quant à la définition du titre de presse, elle est prévue à l’article L. 132-35 du CPI.

Selon l’article L. 132-37 du CPI :

« L’exploitation de l’œuvre du journaliste sur différents supports, dans le cadre du titre de presse défini à l’article L. 132-35 du présent code, a pour seule contrepartie le salaire, pendant une période fixée par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif, au sens des articles L. 2222-1 et suivants du code du travail.
Cette période est déterminée en prenant notamment en considération la périodicité du titre de presse et la nature de son contenu.
 »

L’éditeur de presse peut ré-exploiter les articles du journaliste sans son autorisation pendant une durée déterminée par un accord d’entreprise. La société de presse a le droit de les diffuser sur n’importe quel support, en ligne, sur un site extérieur ou différent du titre, à condition qu’ils soient sous le contrôle du directeur de la publication et enfin, sur tous les autres sites dans un espace identifié comme étant celui du titre de presse.

Le journaliste perçoit pendant la période dite de référence un salaire conformément aux dispositions de l’article L.7113-3 du Code du travail. En revanche, toute exploitation de l’œuvre journalistique au-delà de cette même période, génère même automatiquement la rémunération complémentaire du journaliste.

– D’autre part, l’exploitation hors groupe de presse : le versement de rémunération sous forme de droit d’auteur et obligation d’un accord d’entreprise ou collectif.

L’exploitation dans un autre titre de la société ou du groupe, s’il s’agit de la même famille cohérente de presse, le journaliste perçoit une rémunération complémentaire sous forme de droit d’auteur ou de salaire.

L’exploitation des droits du journaliste « au sein de la même famille cohérente de presse vise non seulement le groupe de presse », c’est-à-dire une société mère éditrice de plusieurs titres de presse, à savoir plusieurs journaux qui sont de nature différentes mais qui peuvent être liés par exemple par un accord d’entreprise.

Aux termes de l’article L. 132-38 du CPI :
« L’exploitation de l’œuvre dans le titre de presse, au-delà de la période prévue à l’article L. 132-37, est rémunérée, à titre de rémunération complémentaire sous forme de droits d’auteur ou de salaire, dans des conditions déterminées par l’accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif. »

En tout état de cause, la famille cohérente de presse requiert pour exister un accord collectif et une rémunération supplémentaire qui pourra être versée en salaire ou sous forme de droits d’auteur, lorsque le délai prévu par l’ accord collectif visé par l’article L. 132-37 est dépassé. La différence entre les types de rémunération est d’ordre fiscal, pour le salaire, l’éditeur devra s’acquitter des cotisations patronales.

– Enfin, les exploitations extérieures : le journaliste perçoit une rémunération exclusivement sous forme de droit d’auteur.

Il s’agit de la republication de l’article d’un journaliste en dehors du titre d’origine ou de « la famille cohérente de presse », c’est-à-dire dans un autre titre de presse indépendamment de la période de référence.

En effet, l’article L. 132-40 du CPI dispose que :

« Toute cession de l’œuvre en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l’exercice de son droit moral par le journaliste.
Ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, dans des conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif.
 »

Les modalités et le montant de cette rémunération supplémentaire devront être prévus dans un accord collectif ou individuel. En effet, la rémunération est obligatoirement versée sous forme de droits d’auteur et doit faire l’objet d’un accord exprès et préalable de son auteur, à titre individuel ou collectif.

Il conviendra de respecter les règles applicables en matière de droit de la propriété intellectuelle, notamment le formaliste prévu à l’article L. 131-3 du CPI, aussi bien dans l’accord collectif qu’individuel, qui devront prévoir la nature des droits cédés, leur étendue et le caractère proportionnel ou forfaitaire de la rémunération.

2- Le constat par les Juges de l’absence d’accord collectif ou individuel de cession de droit d’auteur pour les exploitations hors du titre de presse ou d’une famille cohérente de presse : redressement social des rémunérations versées au titre de droit d’auteur.

Dans cet arrêt, la société de presse a fait l’objet d’un contrôle par l’Urssaf, qui lui a adressé une mise en demeure portant sur un redressement sur des sommes versées aux journalistes salariés sous forme de droits d’auteur, pour un montant de 93 000 euros comprenant un montant de 81 300 euros de cotisations dues et 11 700 euros de majoration de retard.

La société de presse a saisi le Tribunal judiciaire de Bobigny pour contester le redressement. Celui-ci a confirmé le redressement pour les sommes versées au titre de droit d’auteur et a condamné la société à payer la somme de 18 900 euros de cotisations sociales dues assorties de 2 700 euros de majorations de retard.

Contestant la décision, la société de presse a interjeté appel.

La Cour d’appel de Paris saisie du dossier, a constaté, tout d’abord, que les inspecteurs du recouvrement de l’Urssaf ont effectué un redressement de cotisations de Sécurité sociale sur deux années, en relevant que la société versait à ses journalistes, en plus de leurs rémunérations, des sommes qualifiées de droits d’auteurs.

Que concernant la réutilisation des œuvres de ses journalistes et la justification du traitement de ces sommes et de leur déclaration en droits d’auteur auprès de l’Agessa, la société n’avait pas fourni d’explications probantes.

En effet, selon les Juges du fond, la société de presse n’avait conclu aucun accord d’entreprise et, aucun accord collectif n’était applicable au sein de la société, de telle manière que les rémunérations complémentaires litigieuse devaient être assujetties au régime général de Sécurité sociale.

La société de presse pour sa défense, soutient que ces rémunérations complémentaires répondent aux conditions de l’article L. 132-40 du CPI, « en ce qu’elles concernent la ré-exploitation des œuvres hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse et que les collaborateurs journalistes de la société ont individuellement consenti à ces reventes ». Et « qu’il est justifié d’accords individuels, suppléant l’absence d’accord collectif, par la production de lettres-accords conclues entre la société et deux journalistes salariés ».

Selon la société, « les accords individuels conclus n’ont pas à répondre au formalisme des articles L. 131-3 et suivants du CPI pour les contrats de cession de droits d’auteur, dont seuls les auteurs concernés peuvent se prévaloir de l’inobservation ».

Or, pour les Juges du fond, adoptant la même position que l’Urssaf, la société de presse n’a pas respecté les dispositions de l’article L. 132-40 du CPI, relatives aux rémunérations des ré-exploitation des œuvres hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse.

En effet, les Juges soulèvent que la cession des œuvres en vue de leur exploitation hors titre de presse ou d’une famille cohérente de presse, est intervenue sans accord collectif préalable avec les salariés, ce que la société ne conteste pas ; et sans accord à la cession, exprès et préalable, des auteurs exprimé à titre individuel.

Les Juges ont retenu que la société de presse se prévalait d’un double de courriers qu’elle aurait adressé aux journalistes autorisant cette exploitation moyennant rétribution sous forme de droits d’auteur.

Toutefois, la société ne communique aucune copie de ces courriers datés et signés par leurs destinataires et elle ne produit pas non plus, les courriers sollicitant la cession de l’exploitation des droits d’auteur auprès des autres journalistes.

De telle manière, que la société ne justifie de l’existence d’aucun accord à la cession, exprès et préalable, des auteurs exprimés à titre individuel.

Par conséquent, les conditions de l’article L. 132-40 du CPI n’étant pas réunies, aucune cession régulières des droits d’exploitation des œuvres n’est valablement intervenue et aucun droit d’auteur ne pouvait donc être versé aux journalistes concernés qui étaient restés dans un seul lien salarial à l’égard de l’employeur.

Ainsi, selon la Cour d’appel, « c’est à bon droit que les inspecteurs du recouvrement de l’Urssaf ont assujetti les rémunérations complémentaires versées au titre des droits d’auteur au régime général de la sécurité sociales » (art. L. 7111-3, L. 7111-4 et L. 7112-1 du Code du travail et L. 311-3 16e et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale).

En somme, toute exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérence de presse, donnant lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, doit être faite dans des conditions déterminées soit par la conclusion de contrats de cession à titre individuel avec les journalistes-auteurs ou par la mise en place d’un accord collectif, afin de s’assurer de leur accord exprès et préalable, et éviter ainsi un redressement social.

Dalila MADJID, Avocate