Dans le cadre d'une convention verbale, un exploitant (Mr A) mettait en valeur un fonds, le Mas de Taxil situé sur la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, pour y élever des chevaux. Ce fonds, ainsi que d'autres terres appartenant au même propriétaire, sont vendus le 31 mars 2005 au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres,
L'exploitant engage une procédure devant le Tribunal paritaire des baux ruraux de TARASCON aux fins de faire reconnaître l'existence, à son profit, d'un bail rural sur ces parcelles.
Par jugement du 15 mai 2019 (devenu irrévocable), le tribunal paritaire dit qu'un bail rural a pris effet (au profit de A) au 1er avril 1995. Nécessairement d'une durée de 9 ans, ce bail s'est renouvelé pour des périodes successives de 9 ans. Toutefois, le tribunal prend soin d'ajouter que le bail prendra fin au 30 mars 2022 (c'est-à-dire à l'expiration du bail en cours), sans possibilité de renouvellement.
En effet, à la suite de l'acquisition réalisée en 2005, le Conservation a incorporé le fonds dans le domaine public par une délibération de son Conseil d'administration du 21 novembre 2013, délibération ayant par ailleurs fait l'objet de la publicité requise. L'incorporation prend effet au 1er janvier 2017. C'est cette décision qui a amené le tribunal a exclure tout renouvellement, et ce, alors même qu'aucun congé n'avait été délivré par le Conservatoire.
Par la suite, le Conservatoire dresse procès-verbal le 28 mars 2018 et enjoint Mr A d'évacuer les lieux sous astreinte. Le tribunal administratif de Marseille valide ce procès-verbal. Toutefois, cette décision est annulée par la Cour administrative d'appel, laquelle considére que, faute de dénonciation du bail par le Conservatoire, l'exploitant ne pouvait être regardé comme un occupant sans droit ni titre.
Le Conseil d'Etat approuve la Cour administrative d'appel (CE 5ème et 6ème chambre réunies, 7 juin 2023, n°s 447797) en considérant que "lorsque le Conservatoire procède à l'intégration dans le domaine public de biens occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé".
Quels enseignements peut-on tirer de cette décision ?
Tout d'abord, l'incorporation dans le domaine public d'un terrain loué par bail fait mécaniquement obstacle à son renouvellement. Sur ce point, la comparaison peut être faite avec les dispositions de l'article L 415-11 du Code rural et de la pêche martime qui, au contraire, imposent à l'Etat ou aux collectivités territoriales de délivrer congé au preneur (en le motivant par l'utilisation de ces biens à une fin d'intérêt général) pour éviter son renouvellement. Mais, dans ce cas il s'agit du domaine privé et non du domaine public.
Ensuite, le Conservatoire a la faculté de dénoncer à tout moment (résiliation) le bail en cours. Cette dénonciation ne semble pas devoir être motivée. Une convention d'usage temporaire et spécique peut alors prendre le relais ainsi qu'en dispose l'article L 322-9 du Code de l'environnement. Avec une priorité donnée à l'exploitant présent sur les lieux à l'époque où le fonds est entré dans le domaine public.
Enfin, à défaut de dénonciation et dans l'attente du non-renouvellement (qui interviendra tôt ou tard), le bail perdure, mais il est débarassé de toutes les clauses qui pourraient être incompatibles avec la domanialité publique.
Autant dire que le preneur perd la plupart de ses prérogatives. Mais, surtout, il n'est pas indemnisé de la perte de son outil de travail, du fait du non-renouvellement. Ce qu'on peut regretter.
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