Gazette du Palais :
Selon le Baromètre « Emploi et recrutement » du Conseil national des barreaux (CNB) publié en juin 2024, 74 % des cabinets recruteurs déclarent avoir rencontré des difficultés pour recruter un ou plusieurs collaborateurs en 2023. Quelles mesures préconisez-vous pour faire face à cette crise de la collaboration ?
Frédéric Chhum :
À titre préalable, pourquoi sommes-nous, à nouveau, candidats au bâtonnat et vice-bâtonnat ? Il y a une fracture ordinale entre les 34 000 avocats du barreau de Paris et leur ordre. 22 000 confrères ne voteront pas aux élections ordinales des 10 et 12 décembre 2024. Nous ne pouvons pas nous résigner. Les confrères n’ont plus confiance. Cette institution ordinale est accaparée par une poignée d’ordinaux qui appartiennent au même syndicat financé par l’ordre. Cette « consanguinité » des élites ordinales est incompatible avec un ordre impartial. Nous voulons réduire la fracture ordinale.
Christine Maran :
Nous avons obtenu 1 473 voix aux dernières élections du bâtonnat en 2023. Nous pouvons être au 2e tour cette année et l’emporter, si les confrères nous soutiennent !
La difficulté de recruter pour les cabinets n’est pas un phénomène qui est propre à la profession d’avocat. Suite à la pandémie du COVID de 2020/2021, les entreprises, en France et dans le monde, ont dû faire face à des difficultés pour recruter des collaborateurs. La collaboration libérale doit être plus attractive. Les femmes représentent 70 % des promotions qui sortent de l’EFB. Les avocats collaborateurs représentent 40 % de l’effectif des avocats du barreau de Paris. Ils sont l’avenir du barreau et travailleront jusqu’en 2050/2060.
F. Chhum :
Nous sommes le seul binôme parmi les quatre candidats au bâtonnat et vice-bâtonnat à proposer un plan d’urgence pour les avocates et avocats collaborateurs. Nous avons 11 mesures concrètes à destination des 14 000 avocates et avocats collaborateurs. Si nous sommes élus, à compter du 1er mars 2026, les avocates et avocats collaborateurs et élèves-avocats bénéficieront de deux jours minimum de télétravail par mois opposables à leur cabinet, via une modification de l’article 14 du RIBP. Ceci permettra une meilleure qualité de vie au travail des avocats collaborateurs, une meilleure productivité pour les cabinets et cela participera à la sobriété énergétique. Parallèlement, nous aiderons les cabinets à s’équiper en VPN.
C. Maran :
L’ordre doit favoriser la parentalité. Nous créerons des partenariats avec les entreprises spécialisées dans l’enfance pour faciliter l’obtention de place en crèche, à Paris et Île-de-France. Le minimal ordinal passera à 4 300 € (contre 3 800 € actuellement), sauf demande motivée du cabinet, qui sera appréciée par le rapporteur de l’ordre. L’ordre organisera un référendum, mi-2026, sur la mise en place d’une assurance perte de collaboration généralisée et payée par l’ordre. Ceci est possible notamment grâce aux bénéfices exceptionnels de la CARPA de 70 millions d’euros en 2023/2024. Les indemnités de stage des élèves-avocats de l’EFB seront augmentées pour leur permettre de vivre dignement. Certaines entreprises du CAC 40 sous payent des élèves-avocats qu’ils recrutent sur des emplois pérennes lors de leur PPI. Cela ne peut plus durer. Il faut augmenter l’indemnité de stage des élèves avocats quand les employeurs ont les moyens de mieux les payer. Par ailleurs, certains cabinets internationaux font travailler les élèves-avocats plus de 15 heures par jour, soit 75 heures par semaine donc le double de la durée légale de travail. Ce n’est plus possible.
F. Chhum :
Le contrat de collaboration libéral devra prévoir, à compter du 1er mars 2026, une prime annuelle si le cabinet est profitable (modification du RIBP). Certains cabinets sont très profitables et tant mieux. Ils doivent partager le fruit des bénéfices avec les avocats collaborateurs. L’ordre favorisera la diversité des avocats et notamment l’intégration des consœurs et confrères issues de milieux défavorisés et /ou de minorités ethniques ou sexuelles LGBT. L’ordre proposera, dès le 1er juillet 2026, aux jeunes collaborateurs un pack Mutuelle, Prévoyance et Protection sociale complémentaire pour leur permettre de se protéger en cas d’accident de la vie et/ou de maladie grave. L’ordre doit veiller à ce que les 34 000 avocates et avocats soient en bonne santé. L’ordre doit investir dans la qualité de vie au travail des 34 000 avocates et avocats. Il faut promouvoir le sport au sein du barreau et les mobilités douces. Je suis moi-même un adepte du vélotaf. Pour les avocats collaborateurs de plus de 50 ans, le préavis de rupture sera porté, au 1er mars 2026, à 9 mois si l’avocat collaborateur possède plus de 15 ans d’ancienneté dans le cabinet, et à 12 mois si l’avocat collaborateur possède 20 ans d’ancienneté par une modification du RIBP. Ceci concerne notamment les cabinets d’avocats internationaux qui peuvent avoir beaucoup de collaborateurs seniors. Leur parcours doit être géré par ces cabinets.
GPL :
Toujours selon le Baromètre du CNB, près d’un quart des avocats déclarent vouloir quitter la profession dans les trois ans. Quelles sont les causes de ce malaise et quelles solutions proposez-vous pour y remédier ?
C. Maran :
Le métier d’avocat est extrêmement difficile et très concurrentiel. Les clients nous challengent tout le temps. C’est un métier qui implique beaucoup de temps passé au travail et ou en audience, qui génère du stress lié à notre activité. Avec le service de l’exercice de l’ordre, le bâtonnier possède des informations sur les confrères qui entrent et sortent du barreau. Il faut les utiliser. Nous voulons réaliser au 1er juillet 2026 une étude auprès des consœurs et confrères du barreau de Paris qui quittent la profession (22 % après 10 ans d’exercice). Des actions seront menées pour enrayer ce phénomène. Nous voulons rendre la collaboration libérale plus attrayante notamment avec les mesures précitées.
GPL :
Enquête du Défenseur des droits en 2018, articles dans les quotidiens nationaux, hashtag #balancetoncab sur les réseaux sociaux… : ces dernières années, la profession a dû prendre conscience de l’existence des cas de harcèlement et de discrimination en son sein. Les mesures prises et les sanctions disciplinaires contre ces comportements vous paraissent-elles satisfaisantes ?
C. Maran :
Nous voulons briser l’omerta. Nous mettrons en œuvre, dès le 1er janvier 2026, un plan d’urgence pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et le harcèlement, et pour l’égalité de rémunération femmes / hommes au sein des cabinets. Le bâtonnier, la vice-bâtonnière et les 42 MCO se rendront, une fois par mois, chacun dans un cabinet différent, pour sensibiliser les confrères aux violences sexistes et sexuelles, au harcèlement moral et à l’égalité femmes / hommes.
F. Chhum :
Les candidats au bâtonnat et vice-bâtonnat vont chercher des voix dans les cabinets au moment des élections. Ils doivent continuer à aller dans les cabinets quand ils sont élus. La commission de déontologie et la COMHADIS sont débordées. Les dossiers sont souvent complexes. Dans leurs très grandes majorités, les décisions disciplinaires de la juridiction du bâtonnier de Paris sont confirmées par la cour d’appel de Paris. Les confrères veulent que les litiges et ou avis de l’ordre soient rendus plus rapidement. Nous renforcerons les effectifs de la commission Déontologie et de la COMHADIS pour qu’ils puissent travailler dans des conditions sereines.
GPL :
Le développement de l’intelligence artificielle générative préoccupe la profession actuellement. Quelles sont vos propositions pour appréhender les nouveaux outils et réduire la fracture numérique ?
F. Chhum :
La CARPA a réalisé 70 millions d’euros de bénéfices en 2023 / 2024. Une partie de ces bénéfices doit être investi dans l’avenir. L’ordre des avocats de Paris possèdent des SCI immobilières à ne plus savoir qu’en faire. Les anciens locaux de la CARPA de 1 600 m2 place Dauphine sont vides depuis trois ans. Nous voulons en faire des bureaux pour les confrères à prix compétitifs. Nous créerons une société qui prendra des participations dans les legaltechs les plus innovantes et notamment celles spécialisées dans l’IA générative. Nous formerons également les 34 000 avocats à l’IA générative. Cet outil doit être disponible pour tous les confrères, quelle que soit la taille de leur cabinet.
GPL :
La formation initiale et continue proposée aujourd’hui aux élèves-avocats et avocats en exercice vous paraît-elle à la hauteur des enjeux ?
C. Maran :
Les jeunes avocates et avocats sont mieux formés qu’il y a 30 ans. Beaucoup possèdent souvent plusieurs Master 2 et un diplôme ou une expérience à l’étranger. Ils parlent mieux l’anglais que leurs prédécesseurs. Le programme de l’EFB doit être simplifié. Il faut enseigner la déontologie, la gestion de cabinets, l’IA et conserver le module de « foisonnement ». Le reste des enseignements ne nous semble pas nécessaire car les élèves-avocats sont déjà bien formés.
GPL :
Quelles relations souhaitez-vous entretenir avec les autres institutions de la profession, à commencer par le CNB ?
F. Chhum :
Il est important que le barreau de Paris s’entende bien avec le CNB. Le rapport sur la gouvernance du Conseil national des barreaux du professeur Christophe Jamin du 31 octobre 2024 questionne la nécessité de supprimer ou pas le CNB (GPL 19 nov. 2024, n° GPL470d3). Selon nous, il ne faut pas le supprimer mais le réformer. Il faut plus de représentativité du barreau de Paris au sein du CNB.
GPL :
Quel autre axe de votre campagne souhaitez-vous mettre en avant ?
F. Chhum :
Nous voulons un barreau de Paris plus inclusif et plus démocratique ! Au 1er janvier 2027, nous voulons une Conférence du stage – aujourd’hui Conférence des avocats du barreau de Paris, NDLR – paritaire femmes / hommes avec six secrétaires femmes / six secrétaires hommes. Les avocates représentent 70 % des jeunes avocats. Il n’est plus tolérable qu’elles soient sous représentés à la Conférence. Mettons fin au patriarcat au sein de la Conférence du stage. Pour les procédures criminelles, le bâtonnier pourra désigner tout confrère qui pratique le droit pénal après examen des connaissances, les secrétaires de la Conférence conservant 2/3 de ces désignations.
C. Maran :
Pour tout avocat ou avocate qui participe aux élections ordinales, nous créerons une exonération de cotisations ordinales de 30 €. Car nous voulons un ordre plus représentatif et donc plus fort. Nous lancerons un plan d’urgence, dès le 1er janvier 2026, pour un ordre impartial et la transparence ordinale. L’ordre doit montrer l’exemple par le haut et il doit s’ouvrir aux 34 000 avocats du Barreau. 5 millions d’euros d’honoraires sont versés à 53 avocats missionnés (source ODA). Tous les postes de direction d’avocats missionnés seront ouverts, dès novembre 2025, aux 34 000 consœurs et confrères et non plus réservés à une poignée d’ordinaux. Cela concerne les emplois de secrétaire général, directeur de la déontologie, directeur de règlement des litiges professionnels, avocats de l’ordre, etc. La commission de sélection des avocats missionnés sera réformée : elle sera paritaire femmes / hommes et sera composée pour moitié de confrères ordinaux (MCO/ AMCO) et pour moitié de non ordinaux. Une Data room sur les comptes de l’ordre sera organisée chaque année et ouverte à tous les avocats du barreau, sur rendez-vous.
F. Chhum :
Pour permettre l’égalité des candidats et prévenir les conflits d’intérêts, à partir du 1er janvier 2027, les dépenses de campagne au bâtonnat seront plafonnées à 50 000 € et remboursées si le candidat obtient au moins 10 % des suffrages exprimés. Les dépenses de campagne des candidats devront être certifiées par un expert-comptable. L’ordre devra soumettre à appel d’offres (en matière de communication, affaires publiques, etc.) toute dépense au-delà de 30 000 €. Ces appels d’offres seront publiés sur les réseaux sociaux de l’ordre des avocats. Chaque année, le bâtonnier, la vice-bâtonnière et les 42 MCO devront faire une déclaration d’intérêts qui sera publiée sur le site de l’ordre et consultable via la clé RPVA. Ceci a pour objet de prévenir les conflits d’intérêts, notamment concernant les agences de communication et d’influence de l’ordre.
C. Maran :
Une assemblée générale du barreau de Paris sera organisée chaque année durant laquelle tout avocat du barreau pourra poser une question ou soumettre un projet au bâtonnier et au conseil de l’ordre. À compter du 1er mars 2026 un rendez-vous, trimestriel gratuit, sera organisé, pour les 34 000 consœurs et confrères, à la Maison des avocats (Porte de Clichy) au cours duquel les confrères pourront échanger pour développer des synergies, s’associer, recruter un collaborateur, créer une legaltech, etc.
F. Chhum :
Nous continuerons de défendre avec acharnement les consœurs et confrères perquisitionnés et le secret professionnel. Une perquisition chez un avocat est toujours un acte intrusif et très souvent un traumatisme pour ce dernier. Le bâtonnier continuera son travail acharné de défense du secret professionnel et des droits de la défense.
C. Maran :
Il y a 40 perquisitions par an au domicile ou en cabinet d’avocats à Paris. Une perquisition en cabinet est toujours une perquisition de trop.
F. Chhum :
Pour faciliter la cession de clientèle avant le départ à la retraite d’un avocat, l’ordre organisera, chaque semestre, une bourse d’échange et de vente de cabinets, dès janvier 2027. Il y a 2 000 avocats honoraires qui ont plus de temps et qui souhaitent s’investir dans l’ordre des avocats. Nous conserverons un binôme femme / homme d’avocats honoraires au conseil de l’ordre sans voix délibérative.
Nous voulons un bâtonnat économe et solidaire et non un bâtonnat d’apparat. L‘ordre montrera l’exemple par le haut. C’est notre quoi qu’il en coûte ! Au 1er janvier 2026, nous arrêterons le gaspillage des dépenses de communication de l’ordre. À titre d’exemple, nous internaliserons le Bulletin du bâtonnier ce qui économisera 500 000 € sur le bâtonnat et nous supprimerons le Paris Legal Makers au Palais Brongniart qui sera redéployé à la Maison des avocats, ce qui économisera 1 100 000 € (selon le budget de l’ordre 2021 et 2023).
C. Maran :
Le budget du secours pour les consœurs et confrères de l’ordre, qui est de 100 000 € sera porté à 500 000 €.
Concernant les relations avocats / magistrats, nous rencontrons de moins en moins les magistrats. En matière sociale, demander à plaider un dossier semble être une faveur. Souvent, les magistrats préfèrent que nous ne plaidions pas. Ceci n’est plus acceptable car l’avocat a plus que jamais sa place à l’audience. Les avocats ne peuvent plus être traités par les magistrats comme des écoliers à l’audience (notamment en matière sociale). Le bâtonnier se rendra, dès qu’il le peut, en personne, aux incidents d’audience et ne déléguera plus cette tâche aux MCO. Les magistrats doivent aussi être associés à toutes les commissions ouvertes du barreau de Paris. Ces commissions sont des lieux de discussions et d’échanges et l’avis des magistrats est précieux en toute matière.
F. Chhum et C. Maran :
En conclusion, votez pour nous les 10 et 12 décembre 2024.
Biographies
Frédéric Chhum a prêté serment en 1997. Il a fondé la Selarl Chhum Avocats et exerce principalement en droit de travail, coté salariés. Il a été membre du conseil de l’ordre en 2019-2021 en tant qu’élu du MAC.
Christine Maran a, pour sa part, prêté serment en 2013. Elle exerce au sein de son propre cabinet en droit de l’immobilier.
Site de campagne : https://www.chhum-maran-batonnat2026.paris
Entretien avec Frédéric Chhum, avocat au barreau de Paris, candidat au bâtonnat, , et Christine Maran, avocate au barreau de Paris, candidate au vice-bâtonnat, Propos recueillis par Laurence Garnerie
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