La loi Macron n’en finit pas de venir modifier le paysage judiciaire avec cette fois des modifications substantielles de la procédure prud’homale dont peu d’organisations syndicales s’en sont émues.

Et pourtant, il y aurait de quoi s’émouvoir du recul des droits des salariés au profit d’une meilleure célérité de la justice.

Sur le principe, les juridictions prud’homales sont certainement les plus sinistrées du système judiciaire ; le nombre de dossiers ne cesse de croître – sans doute par la simplicité de saisine des conseils de prudhommes et par un climat économique tendu – tandis que le nombre de conseillers ne suit pas le même mouvement et que les audiences ne se multiplient pas non plus.

Il est fréquent de constater que dans certain conseil de prud’hommes de la région parisienne, le délai entre le bureau de conciliation et le bureau de jugement soit de plus de deux ans ou encore que les renvois en référé soient espacés d’une année…

La célérité dont a besoin tant le salarié que l’employeur fait cruellement défaut et abouti régulièrement à la condamnation de l’Etat pour délai déraisonnable de jugement.

Afin de pallier cette situation inextricable, la loi Macron est venue instaurer une procédure là où auparavant il n’y en avait pas.

L’objectif affiché est de réduire les délais de procédure en se calquant sur un savant mélange de procédure orale mise en place devant les tribunaux d’instance tout en conservant certaines spécificités que l’on peut retrouver dans les requêtes déposées devant les juges aux affaires familiales pour finir par faire application au stade de l’appel de la procédure avec représentation obligatoire, laquelle risque de provoquer des sueurs froides et nœuds au cerveau à ceux qui ne sont pas habitués aux particularités de la procédure civile et du décret Magendie.

En somme, la procédure prud’homale, made in Macron, est réellement à part entière…pour le meilleur et pour le pire.

 

I/ La saisine du conseil de prud’hommes

 

Avant le 1er août 2016, la saisie du conseil de prud’hommes était d’une simplicité enfantine. Tout justiciable pouvait remplir seul un formulaire disponible à l’Accueil des conseils de prud’hommes ou téléchargeable en cochant les cases déjà pré-remplies des demandes possible ; et ce, sans aucune assistance juridique.

Ce formulaire de saisine permettait alors à un salarié (le plus souvent) de saisir valablement le conseil de prud’hommes qui convoquait alors les parties à une audience devant le bureau de conciliation.

Jusqu’à l’issue de la procédure, c'est-à-dire jusqu’à l’audience devant le bureau de jugement, et même en cas d’appel, un salarié ou un employeur pouvait se présenter seul et défendre son dossier sans avocat ni délégué syndical, ce qui n’était pas sans risque face à des professionnels du droit mais permettait de limiter les coûts de représentation.

Or, à compter du 1er août 2016, cette possibilité est enlevée au salarié et à l’employeur qui devront se faire assister par un avocat ou un délégué syndical dès le stade de la première instance (même si le texte ne l’impose pas, dans la pratique, il me semble difficile de faire autrement) et surtout au stade de l’appel.  

Dorénavant, la saisine du conseil de prud’hommes peut se faire soit par requête soit par présentation volontaire des parties.

 

1. La saisine par requête remise ou adressée au greffe du conseil de prud’hommes

 

Le nouvel article R1452-2 du Code du travail précise les mentions nécessaires que doit contenir la requête:

« La requête ou la déclaration est l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.

Elle contient à peine de nullité :

1° Pour les personnes physiques : l’indication des noms, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ;

Pour les personnes morales : l’indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l’organe qui les représente légalement ;

2° L’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ; 3° L’objet de la demande.

 Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. Elle est datée et signée. »

 

La requête doit également comporter un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.

Elle doit également être accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions, pièces énumérées dans un bordereau annexé.

Il faut aussi préciser que la requête dûment argumentée et le bordereau doivent être reproduits en autant d’exemplaires qu’il existe de demandeurs, outre un exemplaire destiné à la juridiction.

La rédaction de la requête introductive d’instance est bien plus complexe que cocher les cases d’un formulaire pré-rempli. Peu de salarié ou employeur maîtriseront suffisamment le droit du travail pour connaître les demandes qu’ils peuvent formuler tant du point de vue juridique que s’agissant des montants réclamés.

La nouvelle requête introductive ressemble à s’y méprendre à celle initiant une action devant le Juge aux affaires familiales – notamment dans le cadre de divorce. Or, les praticiens savent pertinemment que la rédaction d’une telle requête n’est pas aisée dès lors qu’elle doit être suffisamment précise et détaillée tant juridiquement que factuellement pour permettre à la partie adverse d’y répondre. En réalité, le législateur a instauré un premier acte de procédure au même titre qu’une assignation, le formalisme de la signification en moins.

Ce sentiment est d’autant plus accentué par l’obligation, à peine de nullité, de joindre un bordereau de pièce et de communiquer à la partie adverse l’ensemble des pièces avant le bureau de conciliation.

Pour les praticiens, établir un bordereau de pièce n’est pas une mesure compliquée mais qu’en est-il pour un justiciable agissant sans représentation ? Que se passera-t-il s’il manque un exemplaire de la requête ou du bordereau ?

La sanction mise en place par le décret du 20 mai 2016 est particulièrement sévère et s’accorde mal avec l’esprit entourant la procédure prud’homale jusqu’alors. En effet, en cas d’oubli d’un élément dans la requête ou du nombre exact d’exemplaire, la sanction est la nullité.

Le demandeur devra alors revoir sa copie…ou s’adjoindre les conseils d’un avocat ou d’un délégué syndical. La saisine de la juridiction prud’homale par un salarié ou un employeur seul semble, en pratique, de plus en plus hypothétique au regard de la complexification de la procédure, ce qui contrevient à l’esprit de cette juridiction laquelle favorisait par son absence de procédure la saisine des salariés et employeurs afin d’éviter que les lourdeurs procédurales ne dissuadent de recourir à la justice pour la préservation de ses droits.

 

Après le dépôt de la requête au greffe, ce dernier indiquera au demandeur le lieu et la date de la conciliation et adressera au défendeur un exemplaire de la requête et du bordereau ainsi qu’une convocation devant le Bureau de conciliation et d’orientation.

Par ailleurs, le demandeur est incité à communiquer ses pièces au défendeur avant la date de conciliation. En effet, si le défendeur ne comparait pas, une décision pourra être rendue en son absence à la condition qu’il ait eu connaissance des pièces et des moyens.

A supposer qu’un salarié ou un employeur ait décidé de déposer une requête, régulière dans les formes et indiquant les moyens de droit à l’appui de ses demandes, il devra avant le bureau de conciliation communiquer ses pièces à la partie adverse. Ainsi, contrairement à l’imaginaire collectif et dans le respect du principe du contradictoire, il ne sera pas possible de donner directement devant le bureau de conciliation les pièces justificatives, pour conserver « l’effet de surprise ».

 

Si pour les praticiens, la communication des pièces dans le respect du principe du contradictoire est une mesure commune et automatique, cela ne l’est pas pour un justiciable non habitué aux pratiques judiciaires et aux principes de la procédure civile…

Par la suite, le défendeur devra à son tour adresser ses pièces au greffe et au demandeur dans la perspective de l’audience de conciliation, le but d’une telle procédure étant de gagner du temps dans la mise en état des dossiers.

 

2. Par présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation

 

Cette possibilité existait déjà avant le décret: le conseil de prud’hommes peut être saisi par la présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation.

Néanmoins, en pratique, elle est très rarement appliquée, voire même jamais.

En effet, d’une part, cela suppose que le salarié et l’employeur se présentent ensemble devant le bureau, ce qui semble assez peu envisageable puisque le litige soumis a nécessairement pour objet un conflit entre les parties…

D’autre part, ce mode de saisine est difficile à réaliser car le salarié doit savoir quel jour aura lieu l’audience de conciliation, se présenter à la bonne audience, à la bonne section…

Sans compter sur la désorganisation que cela peut provoquer pour le greffe et les conseillers dans la tenue de leur audience….

De la théorie à la pratique, il y a parfois un monde…

 

II/ La convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation

 

Après avoir surmonté les obstacles liés à la saisine des juridictions prud’homales et ne pas avoir oublié de communiquer ses pièces à la partie adverse, le bureau de conciliation et d’orientation peut enfin se tenir.

Auparavant, le bureau de conciliation consistait à entendre les parties, voir si un accord pouvait être trouvé – même si en pratique cela était rare – et donner le calendrier de procédure avec la date du bureau de jugement.

A compter du 1er août 2016, l’objectif affiché de cette première audience est radicalement différent à tel point que l’on peut s’interroger sur le nouveau rôle dévolu au bureau de conciliation et si le terme « conciliation » est toujours adéquat.

En effet, cette audience s’assimile davantage à une audience de mise en état qu’à une tentative de conciliation entre les parties.

Avant cette audience, les parties auront dû se communiquer les argumentaires juridiques ainsi que leurs pièces. Lorsqu’on l’est au stade où chaque partie déploie son arsenal juridique, il est difficile de trouver une conciliation par la suite…

En dépit du fait que le bureau de conciliation et d’orientation peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur qui en cas d’accord pourra être homologué par le bureau de conciliation et d’orientation, cette hypothèse devient de plus en plus théorique.

En réalité, afin de réduire les délais de jugement et éviter les renvois d’audience car l’une des parties n’a pas conclu ou communiqué ses conclusions dans les temps, le bureau de conciliation et d’orientation devient un bureau de mise en état, au même titre que les audiences de mise en état devant le tribunal de grande instance.

 

1.     Le bureau chargé de la mise en l’état

 

En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en état de l’affaire jusqu’à la date d’audience de jugement. Cela signifie que les parties devront justifier de la communication de leurs éléments et pièces dans les délais fixés. Plus précisément, le bureau peut également demander aux parties de fournir des explications sur le litige ainsi que de produire des documents ou justifications qui permettront d’éclairer le conseil de prud’hommes. 

A défaut de production des documents, le bureau de conciliation et d’orientation pourra radier l’affaire.

Ainsi, les pouvoirs dévolus aux conseillers à ce stade de la procédure sont beaucoup plus étendus et contraignent chaque partie à plus de diligences. L’objectif reste le même, éviter les renvois multiples lors de l’audience de jugement et y envoyer uniquement les affaires en état d’être plaidées.

Dès lors que l’affaire est jugée en état d’être plaidée par le bureau de conciliation et d’orientation, ce dernier renvoie l’affaire au bureau de jugement.

Toutefois, lorsque l’affaire est en état d’être immédiatement jugée et lorsque les parties sont d’accord, le bureau de conciliation et d’orientation peut se transformer en bureau de jugement et l’audience peut avoir lieu sur-le-champ, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Une fois de plus, le bureau de conciliation et d’orientation s’éloigne de plus en plus de son rôle de conciliation pour se substituer à de la mise en état et même au bureau de jugement.

Sachant que lors du bureau de conciliation et d’orientation, seuls deux conseillers sont présents au lieu de quatre lors du bureau de jugement, on peut se demander combien de conseillers jugeront le dossier dans une telle hypothèse.

Que la célérité de la justice soit accrue est un objectif louable mais il conviendrait de ne pas l’atteindre à n’importe quel prix…

 

2.   Le bureau de jugement

 

Dès lors que l’affaire est en l’état, cette dernière pourra être renvoyée, selon les cas:

-     devant le bureau de jugement dans sa formation normale, c’est-à-dire composé de deux conseillers employeurs et deux conseillers salariés.

-     devant le bureau de jugement dans sa formation restreinte, c’est-à-dire composé d’un conseiller employeur et un conseiller salarié, avec l’accord des parties. Seuls peuvent être renvoyés devant cette formation les litiges portant sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail – autrement dit les litiges les plus courants. Mais, surtout, il faut que les parties aient donné leur accord à cette procédure accélérée (les juges devant statuer dans un délai de trois mois).

-     devant la formation du bureau de jugement de départage composée de deux conseillers employeurs et de deux conseillers salariés, et présidée par un magistrat professionnel désigné par le TGI. Le recours à un juge professionnel a lieu au cas où un partage de voix existerait entre les conseilleurs salariés et les conseillers employeurs, comme cela est le cas actuellement. L’affaire est alors reprise dans un délai d’un mois, en théorie. En pratique, il faut plutôt compter un an.

 

Désormais, si une partie, ne comparait pas sans motif légitime ou n’est pas représentée à l’audience de conciliation, le bureau pourra juger l’affaire au fond en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués. Il statuera en tant que bureau de jugement en formation restreinte.

 

La nouvelle procédure prud’homale a pour maître mot : célérité et réduction des délais.

Or, pour parvenir à cet objectif, il a semblé au législateur plus judicieux - et clairement moins coûteux -  de complexifier la procédure en dissuadant les justiciables d’agir seuls et d’augmenter les pouvoirs du bureau de conciliation et d’orientation afin de juger les affaires les plus courantes en formation restreinte à deux conseillers plutôt que de donner davantage de moyens humains et financiers à des juridictions surchargées.

Cette réforme portera sans doute ses fruits et les craintes s’estomperont avec le temps mais il est certain qu’une période d’adaptation sera nécessaire aussi bien pour les greffes que pour les praticiens et justiciables qui risquent en premier de pâtir de cette situation.

 

En notre qualité de professionnel du droit, il nous appartiendra de veiller à ce que la célérité de la procédure ne soit pas au détriment de la qualité de la justice rendue au prétexte d’aller plus vite.