QPC : urbanisme, obligation de démolir, proportionnalité et constitutionnalité

 

Décision 2024-1099 QPC - 10 juillet 2024 - M. Hervé B. et autre [Exécution provisoire des mesures de restitution en matière d’urbanisme] - Conformité

Décision n° 2024-1099 QPC

Texte intégral

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 mai 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 782 du 22 mai 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Hervé B. et Mme Élisabeth S. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1099 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ainsi que de l’article 515-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l’urbanisme ;
- la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
- l’arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2017 (chambre criminelle, n° 16-82.945) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Pierre-Étienne Rosenstiehl, avocat au barreau de Strasbourg, enregistrées le 2 juin 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 juin 2024 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par Me Rosenstiehl, enregistrées le 10 juin 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Rosenstiehl, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 3 juillet 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir son injonction d’une astreinte de 500 € au plus par jour de retard. L’exécution provisoire de l’injonction peut être ordonnée par le tribunal ». 
2. L’article 515-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 1981 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque le tribunal, statuant sur l’action civile, a ordonné le versement provisoire, en tout ou en partie, des dommages-intérêts alloués, cette exécution provisoire peut être arrêtée, en cause d’appel, par le premier président statuant en référé si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. Le premier président peut subordonner la suspension de l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations.
« Lorsque l’exécution provisoire a été refusée par le tribunal statuant sur l’action civile ou lorsque l’exécution provisoire n’a pas été demandée, ou si, l’ayant été, le tribunal a omis de statuer, elle peut être accordée, en cas d’appel, par le premier président statuant en référé ». 
3. Les requérants reprochent à ces dispositions de ne prévoir aucun recours permettant d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire d’une mesure de démolition prononcée par le juge pénal, y compris en cas d’appel. Ils font valoir à cet égard que, la cour d’appel n’étant pas tenue d’examiner ce recours à bref délai, ils seraient privés de la possibilité de contester utilement un ordre de démolition dont les effets peuvent pourtant être irrémédiables. Ils critiquent en outre l’absence de procédure équivalente à celle permettant de solliciter la suspension de l’exécution provisoire assortissant le versement de dommages-intérêts ordonnée par le juge pénal statuant sur l’action civile. Il en résulterait selon eux une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, du droit de propriété, du droit au respect de la vie privée, du principe de l’inviolabilité du domicile et du droit de mener une vie familiale normale.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme.
5. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
6. En application du premier alinéa de l’article L. 480-5 du code de l’urbanisme, en cas de condamnation d’une personne pour certaines infractions prévues par ce code, le tribunal peut ordonner une mesure de restitution consistant en un ordre de démolition, de mise en conformité des lieux ou des ouvrages, ou de réaffectation des sols.
7. Le premier alinéa de l’article L. 480-7 du même code prévoit que, dans ce cas, le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de cette mesure de restitution et qu’il peut assortir son injonction d’une astreinte.
8. Selon les dispositions contestées, le tribunal peut également ordonner l’exécution provisoire de cette injonction.
9. D’une part, l’exécution provisoire d’une mesure de restitution ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation.
10. D’autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le juge est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue, lorsqu’une telle garantie est invoquée.
11. Dès lors, au regard des conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être ordonnée par le juge, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
12. En second lieu, il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
13. D’une part, les dispositions contestées visent à assurer l’efficacité des mesures de restitution ordonnées par le juge pénal en cas de condamnation pour violation des règles prévues par le code de l’urbanisme. En les adoptant, le législateur a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
14. D’autre part, il revient au juge d’apprécier si le prononcé de l’exécution provisoire de la mesure de restitution est nécessaire au regard des circonstances de l’espèce.
15. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit être écarté.
16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée, le principe de l’inviolabilité du domicile et le droit de mener une vie familiale normale, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juillet 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 10 juillet 2024.
 
ECLI:FR:CC:2024:2024.1099.QPC

Publié par ALBERT CASTON à 10:49  

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