L'exercice de certaines professions oblige d'être titulaire du permis de conduire. C'est le cas des VRP, des commerciaux, des chauffeurs, des ambulanciers, des livreurs… En cas de suspension du permis de conduire, c'est l'emploi même du salarié qui est menacé. Quelles sont les règles applicables ? Le salarié risque t-il de perdre son emploi ?

Les arguments plaidant pour le maintien du contrat de travail, et donc l'absence d'impact d'une suspension du permis de conduire sur l'emploi, concernent principalement la question du respect à la vie privée. En principe, le fait tiré de la vie personelle du salarié ne peut être invoqué par l'employeur, ce qui signifie qu'un permis de conduire suspendu à l'occasion de la vie privée (en dehors donc des horaires professionnels) ne devrait pas pouvoir être invoqué par l'employeur. Mais ce principe à des limites, notamment le cas où ce fait affecte la relation de travail. Et c'est bien le cas d'une suspension du permis de conduire lorsque les fonctions du salarié nécessitent l'usage d'un véhicule. L'employeur se prévaut ici des répercussions d'un fait tiré vie privée sur la relation professionnelle.

C'est dans ce sens que les arguments plaidant contre le maintien du contrat de travail sont les plus nombreux. La Cour de cassation ne s'y trompe pas depuis plusieurs années. Un arrêt du 24 janvier 2007 a pu ainsi solennellement rappeler que lorsque la suspension provisoire du permis de conduire empêche le salarié d'exercer ses fonctions, l'employeur peut l'invoquer à l'appui d'un licenciement.

D'autres arrêts ont confirmé cette jurisprudence, notamment un arrêt du 1er avril 2009 commenté sur ce blog (lire http://avocats.fr/space/jpschmitt/content/suspension-du-permis-de-condui...).

La Chambre sociale aborde à nouveau le sujet dans son arrêt du 22 septembre 2009, et ce à la suite de la « résistance » de la Cour d'appel saisie. Dans cette affaire, le salarié était directeur régional et avait vu son permis de conduire suspendu pour plusieurs mois par décision administrative, et ce à la suite d'une infraction au code de la route commise dans un cadre privé (conduite alcoolique). Pour remplir ses fonctions et continuer à visiter la clientèle en se déplaçant, le salarié avait eu recours à deux personnes extérieures à la société, par ailleurs anciens salariés. Ainsi, il se faisait véhiculer et continuait à exercer sans difficulté son emploi. Informé de cet état de fait, l'employeur a considéré que son salarié n'était plus en mesure d'effectuer les fonctions pour lesquelles il avait été embauché, de sorte qu'il a procédé à son licenciement.

La Cour d'appel a estimé que le salarié était en mesure de poursuivre l'exécution de son contrat de travail dès lors que deux anciens salariés de l'entreprise avaient accepté de conduire son véhicule pendant ses déplacements professionnels. Ainsi, elle a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation. En effet, dans son arrêt du 22 septembre 2009, la Chambre sociale retient « Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié dont le permis de conduire avait été suspendu ne pouvait plus remplir, par ses propres moyens, les missions inhérentes à sa fonction et alors que l'employeur n'était pas tenu d'accepter qu'il se substituât des tiers pour la conduite du véhicule que l'entreprise mettait à disposition pour les déplacements professionnels, la cour d'appel a violé l'article L1211-1 du Code du travail ».

Cet arrêt laisse à penser que c'est le cumul de deux éléments qui a conduit la cour suprème à sanctionner le salarié ;

- le fait que le salarié ne pouvait plus assumer ses fonctions par ses propres moyens,

- et le fait que le salarié ait eu recours à des personnes tierces pour des déplacements professionnels.

C'est vraisemblablement ce dernier élément qui a emporté la conviction des juges car le 1er n'apparaissait pas à lui seul, à mon sens, suffisant puisque le salarié s'était débrouillé pour continuer à assumer ses fonctions.

Jean-Philippe SCHMITT

Avocat à DIJON (21)

Spécialiste en droit du travail

03.80.48.65.00

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Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du mardi 22 septembre 2009

N° de pourvoi: 08-42304

Non publié au bulletin Cassation

M. Chauviré (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 1211-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé le 3 avril 1979 par la société Villeroy et Boch, et en dernier lieu délégué régional, a été licencié pour faute grave le 14 avril 2005 ;

Attendu que pour condamner l'employeur à verser au salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que M. X... était en mesure de poursuivre l'exécution de son contrat de travail dès lors que deux anciens salariés de l'entreprise avaient accepté de conduire son véhicule pendant ses déplacements professionnels ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié dont le permis de conduire avait été suspendu ne pouvait plus remplir, par ses propres moyens, les missions inhérentes à sa fonction et alors que l'employeur n'était pas tenu d'accepter qu'il se substituât des tiers pour la conduite du véhicule que l'entreprise mettait à disposition pour les déplacements professionnels, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mars 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille neuf.

03.80.48.65.00