La clause de non concurrence est celle par laquelle le salarié s'interdit, lors de son départ de l'entreprise et pendant un certain temps par la suite, d'exercer certaines activités susceptibles de nuire à son ancien employeur. Insérée au contrat de travail ou par voie d'avenant, elle apporte une limitation à la liberté individuelle du salarié d'exercer un autre emploi mais elle est un moyen efficace pour l'employeur de ne pas voir s'installer un salarié qui, par l'expèrience acquise au sein de son entreprise, serait en mesure de le concurrencer.

 

Toutefois, la seule existence de cette clause dans le contrat de travail ne suffit pas toujours à la rendre opposable. En effet, pour justifier l'atteinte au travail qu'elle entraîne, la clause de non concurrence doit répondre à certaines conditions cumulatives pour être valable ;

- être assortie d'une contrepartie financière,

- être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise,

- être limitée dans le temps et dans l'espace,

- tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié (c'est au regard de ces spécificités que doivent s'apprécier la durée et l'étendue territoriale ou professionnelle de l'interdiction et la proportionnalité de la contrepartie financière).

 

Mais c'est surtout la question de la contrepartie financière qui fait l'objet d'un contentieux prud'homal abondant. A cet égard, la Cour de cassation considère qu'une clause de non concurrence ne comportant pas de contrepartie financière, ou une contrepartie financière dérisoire, est nulle. Dans ce cas, seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la clause, et s'il fait choix de respecter la clause, il pourra s'adresser au juge du travail pour voir fixer le montant de la contrepartie financière (l'indemnisation pourra, par exemple, être égale au montant de la somme prévue contractuellement au profit de l'employeur si le salarié avait violé la clause de non concurrence, ou être équivalente à ce qui se pratique habituellement, comme 30 % d'un mois de salaire pendant 24 mois).

 

La jurisprudence a également précisé que la contrepartie financière est acquise au salarié après la rupture du contrat de travail (qu'il s'agisse d'une démission, d'un licenciement ou d'une rupture conventionnelle), ce pendant toute la durée de son obligation de non concurrence, le point de départ étant la cessation effective des fonctions (par exemple, en cas de dispense de préavis, dès que le salarié quitte l'entreprise), et ce sans que le salarié, qui respecte la clause, ait à justifier de l'existence d'un préjudice (et donc même s'il vient à retrouver un emploi). Par contre, depuis l'arrêt du 7 mars 2007, l'employeur ne peut pas se libérer de la contrepartie financière en payant chaque mois, par anticipation, une majoration de salaire car :

- le montant de la contrepartie financière ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat,

- elle ne peut être versée avant la rupture du contrat de travail.

 

L'employeur n'est quant à lui pas désarmé. D'abord, il a la faculté de renoncer unilatéralement à l'exécution de la clause de non concurrence si le contrat de travail ou la convention collective le prévoit (à défaut, il lui faut l'accord du salarié). Cette renonciation doit intervenir dans le délai contractuel, délai qui court à compter du jour où le salarié ne fait plus partie des effectifs (terme du préavis ou dès réception de la lettre du salarié qui prend acte de la rupture de son contrat), l'une des raisons pour lesquelles il est préférable que cette renonciation soit faite par écrit ou dans la lettre de licenciement elle-même. En l'absence de délai de renonciation prévu par le contrat de travail ou la convention, l'employeur devra dénoncer la clause dans un « délai raisonnable ». La Chambre sociale de la Cour de cassation vient de le rappeler dans un arrêt du 1er juillet 2009 (pourvoi n° 07-44.923) sans pour autant préciser ce qu'elle entendait par « délai raisonnable » (elle a néanmoins estimé dans un arrêt du 13 juin 2007 que le délai d'un mois était « raisonnable »).

 

Ensuite, l'employeur peut saisir le juge s'il prouve que son ancien salarié viole la clause de non concurrence qui lui est par ailleurs réglée chaque mois ; par cette action judiciaire, le salarié pourra donc perdre le droit à la contrepartie financière, se voir enjoindre d'interrompre sa nouvelle activité et rembourser les sommes perçues.

 

Cette clause peut donc s'avérer redoutable d'efficacité si toutes les conditions de validité sont remplies, conditions précisées non pas par le législateur mais la jurisprudence.

 

Jean-Philippe SCHMITT

Avocat à DIJON (21)

Spécialiste en droit du travail

03.80.69.59.59

 

Soc. 1er juillet 2009 n° 07-44.923

 

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Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du mercredi 1 juillet 2009

N° de pourvoi: 07-44923

Non publié au bulletin Rejet

 

Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Laugier et Caston, avocat(s)

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

 

 

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2007), que M. X... a été engagé le 7 juillet 1999 par la société Afflelou en qualité de responsable de zone au service développement ; qu'outre la rémunération fixe, était contractuellement prévue une rémunération variable "correspondant à 10 % des droits d'entrée que notre société aura encaissé auprès de ses franchisés, à laquelle s'ajoutera une prime exceptionnelle de 50 000 francs à la suite de l'encaissement du dixième droit d'entrée au cours d'une même année civile" ; que le contrat de travail comportait également une clause de non-concurrence sans contrepartie financière ; que, licencié pour faute grave le 24 mai 2004, M. X... a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

 

Sur le premier moyen :

 

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de rappel de salaire, alors, selon le moyen :

 

1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions d'appel, M. X... faisait valoir que malgré ses demandes réitérées afin d'obtenir les éléments comptables de la société permettant de déterminer l'assiette des droits d'entrée et la rémunération variable y afférente, la société Afflelou s'était toujours opposée à faire la transparence sur ce point, quand ces éléments étaient pourtant capitaux dans la détermination de sa rémunération ; que dès lors en déboutant M. X... de sa demande de rappel de salaire, en se contentant d'analyser la clause de son contrat de travail relative à la rémunération, sans répondre au moyen pertinent de ce salarié relatif à la nécessaire prise en considération des éléments détenus par l'employeur pour le calcul de la rémunération, et partant, du rappel de salaire litigieux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

 

2°/ que la clause du contrat de travail de M. X... relative à la rémunération stipulait qu'en sus de son salaire annuel brut fixe de 240 000 francs sur douze mois, ce salarié bénéficierait "également d'une rémunération variable correspondant à 10 % des droits d'entrée" que la société Alain Afflelou "aura encaissés auprès de ses franchisés, à laquelle s'ajoutera une prime exceptionnelle de 50 000 francs à la suite de l'encaissement du dixième droit d'entrée au cours d'une même année civile" ; que le principe avait donc été arrêté, sans aucun aléa, que la rémunération annuelle de M. X... était constituée d'une partie fixe et d'une partie variable, laquelle correspondait à un pourcentage des droits d'entrée perçus par la société Afflelou auprès de ses franchisés, dont le taux avait été contractuellement fixé à 10 % ; que dès lors, en déboutant M. X... de sa demande de rappel de salaire, motifs pris que cette rémunération variable avait la nature de commissions dont le montant devait être calculé sur la seule activité générée par le salarié, quand elle participait pourtant de l'intéressement direct de M. X... aux droits d'entrée encaissés par la société Alain Afflelou, et non de l'activité propre du salarié, la cour d'appel a dénaturé l'article III, alinéa 2, du contrat de travail relatif à la partie variable de la rémunération de M. X... et ainsi violé l'article 1134 du code civil ;

 

3°/ qu'alors que la clause du contrat de travail de M. X... relative à la rémunération stipulait in fine qu'afin de prendre en compte la formation et le temps nécessaire à M. X... pour la prise de sa nouvelle fonction, l'employeur lui garantissait que sa rémunération variable serait au moins égale à 110 000 francs au cours des douze premiers mois de sa présence effective dans l'entreprise ; qu'il résultait de ces termes clairs et précis que cette rémunération variable de 110 000 francs ne concernait que la première année de l'activité professionnelle de M. X... au sein de la société Afflelou et qu'elle constituait pour ce salarié un minimum garanti pour cette première année ; que dès lors, en déboutant M. X... de sa demande de rappel de salaire, motifs pris qu'il résultait de ces termes, qui ne concernaient pourtant que la première année d'activité professionnelle de M. X..., que les droits encaissés étaient ceux résultant de l'activité propre de ce salarié et non d'un intéressement direct de ce dernier aux droits d'entrée encaissés par la société Afflelou, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'article III, alinéa 3, du contrat de travail de M. X... et ainsi violé, une seconde fois, l'article 1134 du code civil ;

 

Mais attendu que c'est par une interprétation que les termes ambigus de la clause litigieuse rendait nécessaire, que la cour d'appel, qui a retenu que celle-ci prévoyait une rémunération variable dont le montant devait être calculé sur la seule activité générée par le salarié, a pu déterminer, sans encourir les griefs du moyen, les sommes dues par l'employeur à ce titre ;

 

 

Sur le deuxième moyen :

 

Attendu qu'il n'y pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

 

Sur le troisième moyen :

 

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de condamnation de la société Alain Afflelou à lui verser des sommes au titre de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non concurrence et au titre des congés payés afférents, alors, selon le moyen :

 

1°/ que l'employeur ne peut renoncer unilatéralement à l'exécution d'une clause de non-concurrence dès lors qu'aucune possibilité de renonciation n'est prévue dans le contrat de travail et que cette clause est stipulée aussi bien en faveur de l'employeur que du salarié en raison de sa contrepartie financière ; que dès lors, en déboutant M. X... de sa demande de paiement par la société Afflelou de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, motifs pris que l'employeur renonçait à se prévaloir de la clause litigieuse stipulée dans son seul intérêt puisque non assortie d'une contrepartie financière, quand aucune possibilité de renonciation n'était pourtant prévue dans le contrat de travail de M. X..., la cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble les articles 1147 du code civil et L. 120-2 du code du travail ;

 

2°/ que le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue ; que dès lors, en déboutant M. X... de sa demande de versement par la société Afflelou de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, au motif inopérant que l'employeur renonçait à se prévaloir d'une clause stipulée dans son seul intérêt puisque non assortie d'une contrepartie financière, et après avoir ainsi constaté le caractère illicite de la clause litigieuse qui ne comprenait pas de contrepartie pécuniaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, une deuxième fois, le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble les articles 1147 du code civil et L. 120-2 du code du travail ;

 

3°/ que seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence ne comportant pas de contrepartie financière ; que dès lors, en déboutant M. X... de sa demande de versement par la société Afflelou de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, motif pris que l'employeur renonçait à se prévaloir d'une clause stipulée dans son seul intérêt, puisque non assortie d'une contrepartie financière, la cour d'appel a violé, une troisième fois, le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article L. 120-2 du code du travail ;

 

Mais attendu qu'ayant relevé qu'en l'absence de fixation par le contrat de travail ou la convention collective des modalités de renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence, l'employeur doit notifier cette renonciation dans un délai raisonnable à compter de la rupture des relations contractuelles ; que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait libéré le salarié de cette clause au moment de la notification de son licenciement, a, par ce seul motif, justifié sa décision déboutant le salarié de sa demande en paiement de contrepartie financière ; que le moyen n'est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE le pourvoi ;

 

Condamne M. X... aux dépens ;

 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille neuf.